Village de la Justice www.village-justice.com

Focus sur la réforme du corps des diplomates : impacts et critiques. Par Avraham Bessat, Juriste.
Parution : jeudi 26 janvier 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/plateforme-reforme-haute-fonction-publique-est-qui-change-pour-corps,43244.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le décret n°2022-561 du 16 avril 2022 portant application au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique et modifiant le décret n°69-222 du 6 mars 1969 (relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires), actant la suppression du corps diplomatique, avait susciter beaucoup de polémique et a fait couler beaucoup d’encre.
Il a fait l’object d’une récupération politique et a été présenter à l’opinion publique par certains politiciens comme étant le dernier coup fatal du président de la République à l’une des instituions régalienne de l’Etat français pourtant il a été réélu juste après, malgré la multiplication des propositions et promesses de réformes souvent polémiques et parfois incomprises.
Nous allons dans cet article, essayer, d’expliquer l’impact de ce décret, d’abord sur le corps des diplomates mais aussi faire apparaître l’objectif de cette réforme et son effet sur le déroulement des carrières dans la haute fonction publique de l’Etat, notamment en ce qui concerne la carrière diplomatique.

Parfois, dans le monde de la politique et plus exactement de la politique institutionnelle, il suffit d’un simple hashtag pour mette la lumière sur la gravité d’une situation ; c’était le cas de l’hashtag #diplo2metier à travers lequel les agents du ministère des affaires étrangères avaient appelé à la grève pour contester la réforme de la haute fonction publique voulu par le Président de la République Emmanuel Macron et qui a été programmée par le gouvernement pour l’année 2022.

Cette contestation a visé le décret n°2022-561 du 16 avril 2022 portant application au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique et modifiant le décret n°69-222 du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires, actant la suppression du corps diplomatique. Cette mesure a mis le ministère des Affaires étrangères en situation de crise.

Sur le plan politique, les partis politiques étaient presque unanimes sur le fait que cette réforme aura pour incidence de détruire l’une des institutions les plus anciennes du pays mais aussi du Monde en décortiquant son réseau diplomatique ; pour d’autres, il s’agissait d’une atteinte grave à l’un des piliers de l’État régalien.

Cependant, au-delà des déclarations politiques et de l’effervescence des objectifs électoraux des uns et des autres, il est important de savoir que la question relative à la réforme du corps diplomatique relève du domaine du droit et le traitement doit être pas excellence du ressort de la matière juridique.

De ce fait, pour comprendre les raisons ayant conduit aux mouvements de grève et de contestations à l’encontre de cette réforme, il faut mettre la lumière sur le côté juridique de cette dernière, c’est-à-dire sur le décret n°2022-561 du 16 avril 2022 cité ci-dessus.

La question est donc de savoir quelle est l’incidence du décret n°2022-561 du 16 avril 2022 sur la haute fonction publique applicable aux membres du corps diplomatique en France ?

Pour traiter cette question, il est primordial de mettre la lumière sur les mesures importantes de ce décret et leurs effets sur le corps diplomatique.

D’abord pour comprendre l’objectif du décret n°2022-561 du 16 avril 2022, il faut se référer à son Chapitre 1er intitulé : dispositions relatives à la création du corps d’extinction des conseillers des affaires étrangères et ministres plénipotentiaires (Articles 1 à 3).
Déjà, rien qu’en lisant l’intitulé de ce chapitre, on comprend l’objet juridique de ce décret et donc ses finalités sur le plan institutionnel.
Sur la place publique, cet intitulé a fait l’objet d’une forte récupération et interprétation politique visant l’opinion publique, mais on va essayer de vulgariser la question pour atteindre un grand nombre de personnes, n’ayant pas compris l’âme dudit décret et donc la volonté qui l’anime.

En analysant le décret, on constate que ce dernier prévoit deux grandes mesures qui vont métamorphoser en profondeur le corps diplomatique en France à travers la mise en place des modalités d’extinction, ou autrement dit de la fin du corps des conseillers des affaires étrangères et de celui des ministères plénipotentiaires prévue au 1 janvier 2023 et cela en application de l’article 13 du décret 2021-1550 du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrations de l’État.
Ce même article concerne aussi le corps préfectoral [1].

Donc, le Gouvernement a mis en place un chantier de réforme immense sur le plan des institutions régaliennes de l’État à travers un outil de réalisation constitutionnel fort dont est doté le président de la République et le Gouvernement : la légifération par décret.
Toutefois, on va mettre la lumière, uniquement, sur les mesures touchant le corps diplomatique, c’est-à-dire sur les deux grandes dispositions visant :
- l’extinction du corps des conseillers des Affaires étrangères et ;
- l’extinction du corps des ministres plénipotentiaires.

En effet le décret concerne les deux corps cités ci-dessus. A cet effet, les 800 hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères avaient jusqu’au 1er janvier 2023 pour formuler leur choix de rejoindre le corps des administrateurs communs, pour ceux qui veulent rester dans le corps diplomatique, ils peuvent le faire mais ce dernier disparaîtra automatiquement en application dudit décret à la retraite du dernier conseiller ou du dernier ministre plénipotentiaire, il s’agit donc en quelque sorte d’un droit d’option qu’ont les deux corps visés par la mesure d’extinction de ce décret.

Si on veut croire à la volonté de réforme de l’État, on peut interpréter la volonté du législateur par le fait de vouloir harmoniser et homogénéiser la carrière des hauts fonctionnaires à travers une politique d’ouverture de la haute fonction publique d’une manière à ce que, les diplomates auront la possibilité d’évoluer tout au long de leur carrière d’un ministère à un autre, en côtoyant des fonctionnaires et hauts fonctionnaires appartenant à d’autres ministères et administrations ; dans ce cadre, on comprend que même les préfets, les sous-préfets ou les inspecteurs des finances publiques par exemple, pourront à un moment donné de leur carrière postuler pour un poste de diplomatie.

On peut avancer l’hypothèse d’une volonté de mettre en place une mobilité de carrière dans la haute fonction publique et plus particulièrement à travers l’extinction des deux corps diplomatiques.
Cependant, si ce décret est défendu par le gouvernement et par la majorité, il ne reste moins que de dire, que son impact est irréversible sur la nature spécifique du corps diplomatique français, mais aussi sur le plan extérieur, avec un risque à moyen terme de perte en influence sur le plan de la politique étrangère. Influence qui à mon sens sera récupérable, à long terme, après que cette réforme sera ancrée et donc normalisée et acceptée, d’abord dans l’esprit des hauts fonctionnaires et ensuite dans le contexte à la fois juridique et politique français que ce soit dans le camps des alliances ou celui des oppositions.
Toutefois, rien ne va changer pour les représentations diplomatiques françaises à l’étranger, car bien évidement, elles ne vont pas disparaître, donc la France gardera sa splendeur diplomatique vis-à-vis des autres États si on évite d’exposer nos lacunes et/ou mécontentement à l’étranger en évitant donc d’ouvrir une faille qui risque d’impacter cette instituions régalienne mais cette fois-ci de l’extérieur en faisant d’elle un objet de récupération politique et de surenchère électorale.

Enfin, cette réforme tant critiquée, prévoit au-delà de la « mise en extinction » des deux corps citées ci-dessus, la création d’un corps commun à tous les hauts fonctionnaires et qui permettra à tous ceux sortis de l’Institut national de la fonction publique (INFP) qui a succédé à l’ENA après la réforme, de rejoindre un « pot commun » d’administrateurs de l’État où de diplomates.
Cela ouvrira de nouvelles perspectives de carrière et d’une manière plus équilibrée et équitable pour tous, car un sous-préfet, un préfet ou un inspecteur général des impôts ont aussi le droit de prétendre à une carrière diplomatique à un moment donné, ce qui va dynamiser et redonner du souffle à la haute fonction publique de l’État.

Avraham Ibrahim BESSAT

[1Voir le décret du 6 avril 2022 fixant le cadre réglementaire applicable aux emplois de préfet et de sous-préfet en matière de nomination, de classement ou dévolution, décret publié dans le prolongement de l’ordonnance du 2 juin 2021 relatif à la transformation de la fonction publique.