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Action en qualification d’un contrat de pigiste en contrat de travail : le délai de prescription est de 5 ans. Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste.
Parution : jeudi 21 juillet 2022
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Par un arrêt du 11 mai 2022 (n° 20-14.421), la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur l’application de la prescription quinquennale à la mise en œuvre de l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat de travail, dont la nature juridique est indécise ou contestée.

Il résulte de la combinaison des articles 2224 du Code civil et L1471-1, alinéa 1, du Code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle et relève de la prescription de l’article 2224 du Code civil.

La qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l’activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé.

C’est en effet à cette date que le titulaire connaît l’ensemble des faits lui permettant d’exercer son droit

1) Faits.

Un photographe a travaillé pour le compte d’une société de presse et d’édition Sapeso Sud-Ouest pendant la période du 27 février 2001 au 1er avril 2004, en qualité de correspondant local de presse, puis à compter du 1e juin 2004, comme journaliste pigiste.

Ensuite il a travaillé selon des contrats à durée déterminée pendant une période de un à deux mois en 2008 et une autre en 2009, avant de reprendre une activité de pigiste jusqu’en mai 2015, date à laquelle il a cessé toute collaboration.

De son activité de pigiste, le photographe a saisi en juillet 2016, la juridiction prud’homale afin de constater l’existence d’un contrat de travail régissant l’ensemble de sa collaboration avec l’entreprise.

Cependant, sa demande a été rejetée par un arrêt de la cour d’appel de Pau rendu le 30 janvier 2020, considérant que son action était prescrite, sur le fondement de l’article L1471-1 alinéa 1 du Code du travail, dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, selon lequel

« toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».

En effet, la cour d’appel a reproché au photographe-pigiste le fait qu’il était en mesure de connaître les faits qui lui permettaient d’exercer ses droits en vue d’une requalification contractuelle, au terme de son dernier contrat de travail à durée déterminée.

Par conséquent, la cour d’appel a fait courir la prescription à compter, non pas de la fin de la collaboration en mai 2015, mais à compter du 25 octobre 2010, date à laquelle l’employeur a refusé au journalise un congé paternité.

Dès lors, en juillet 2016, le photographe n’était plus fondé à agir, en raison de la prescription de deux ans.

Ainsi, le photographe s’est pourvu en cassation sur le fondement de l’article L1471-1 alinéa 1 du Code du travail et sur le fondement de l’article 2224 du Code civil qui dispose que

« les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

2) Moyens.

Le photographe fait grief à l’arrêt de la cour d’appel de l’avoir débouté de sa demande de requalification de sa relation contractuelle qu’il entretenait avec la société qui bénéficiait de ses services.

Pour soutenir son pourvoi, le photographe soutient qu’il résulte de la combinaison de l’article L1471-1 du Code du travail et de l’article 2224 du Code civil, que l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle, et relève de la prescription de l’article 2224 du Code civil.

De plus, le photographe tire la conséquence de l’application de la prescription quinquennale que « le point de départ du délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé », donc non plus à partir du jour où il a repris une activité de pigiste, mais du jour où celle-ci a pris fin.

3) L’action en qualification de contrat de travail relève-t-elle de la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil ? Oui, répond la Cour de cassation.

La Cour de cassation répond par la positive, et casse et annule l’arrêt de la cour d’appel de Pau en ce qu’il déclare irrecevable le photographe en toutes ses demandes.

Contre la cour d’appel qui a soutenu que l’article L1471-1 du Code du travail a institué, en lieu et place de la prescription quinquennale, une prescription biennale, la Cour de cassation applique le délai de droit commun de l’article 2224 du Code civil.

Car en effet, le délai de deux ans ne pouvait être appliqué qu’aux situations visées par la disposition du Code de travail, ce qui n’était pas le cas de l’action en reconnaissance d’un contrat de travail, qui ne se confond nullement avec une action portant sur l’exécution d’un contrat de travail.

Dès lors, les juges de la Cour de cassation ont considéré que « l’action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d’une action personnelle et relève [par conséquent] de la prescription de l’article 2224 du Code civil, et fait donc courir le délai à la date à laquelle la relation contractuelle a cessé », à partir de mai 2015 en l’espèce.

Ainsi, le photographe est fondé à agir pour demander la qualification de contrat de travail.

Cette solution est favorable aux salariés et à la protection de leurs droits, car ils ont plus de temps pour agir en qualification de contrat de travail.

Il faut approuver cet arrêt.

Sources.

- Cass.soc., 11 mai 2022, n° 20-14.421 Décision - Pourvoi n°20-14.421 Cour de cassation.

- Prescription aux prud’hommes pour les salariés et cadres : comment ça marche avant les ordonnances Macron à venir ?

- CDD/CDDU : quel est le point de départ du délai de prescription en cas de fin de collaboration ?

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum