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Frais d’hébergement des personnes âgées : attention aux recours sur succession. Par David Taron, Avocat.
Parution : mercredi 20 juillet 2022
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Confrontés à l’augmentation continue des besoins en terme d’hébergement des personnes âgées, les départements doivent, de plus en plus, mobiliser leurs finances afin de garantir un hébergement aux usagers impécunieux.
L’aide sociale à l’hébergement ayant un caractère alimentaire, elle s’avère récupérable, notamment sur la succession.
De ce fait, un nombre croissant de départements opèrent des récupérations sur succession, au prix de conflits avec les héritiers.
Dans ce contexte, la Cour de cassation vient de préciser le cadre d’action des collectivités départementales.

Dynamique implacable, le vieillissement de la société emporte avec lui de nombreuses conséquences financières et patrimoniales affectant tant les particuliers que les pouvoirs publics.

Ce constat est particulièrement marqué pour qui s’intéresse à l’hébergement des personnes âgées qui, pour des raisons diverses, sont conduites à quitter leur domicile pour être accueillies en établissement.

Les concernant, les frais d’hébergement devront, en principe, être acquittés sur leurs deniers propres. Ce n’est que si elles ne disposent pas de ressources suffisantes que des tiers pourront les subroger dans la prise en charge desdits frais. Ces tiers sont de deux ordres : les obligés alimentaires et le conseil départemental (il existe cependant une compétence résiduelle de l’Etat).

Ce dernier n’interviendra qu’à titre subsidiaire, au titre de l’aide sociale à l’hébergement (ASH), c’est-à-dire si et seulement si la personne âgée et ses obligés alimentaires ne disposent pas des ressources suffisantes pour faire face aux frais d’hébergement.

Mais cette générosité n’est pas sans contrepartie. Il faut en effet savoir que l’aide sociale à l’hébergement compte parmi les prestations pouvant faire l’objet d’un recours en récupération, notamment sur la succession du bénéficiaire de l’aide sociale à l’hébergement [1].

Ce recours sur succession s’impose aux héritiers et s’exerce sur l’actif net successoral, c’est-à-dire une fois que toutes les dettes de l’intéressé ont été réglées. L’ensemble de l’actif net de la succession est visé mais les héritiers ne sont, bien entendu, pas inquiétés sur leur patrimoine propre

On peut le constater, la mobilisation de l’aide sociale peut avoir des conséquences très importantes sur les familles des résidents hébergés en établissements d’accueil des personnes âgées, et ce dès après le décès de ces derniers.

Un récent arrêt de la Cour de cassation (Cass. Civ.2ème, 7 juillet 2022, n°21-13.527) en fournit une parfaite illustration.

L’affaire ici jugée opposait l’héritier unique d’une personne décédée à la maison de retraite d’un hôpital au département qui avait financé les frais d’hébergement de cette dernière.

La défunte avait résidé pendant environ cinq années en maison de retraite et avait bénéficié de l’aide sociale à l’hébergement versée par le département. Par dérogation à la règle selon laquelle l’aide sociale doit être versée au résident, le département avait procédé à des paiements directement entre les mains de l’hôpital gestionnaire, sans déduction de la participation due par le résident.

Au décès de la résidente, le département avait ordonné une récupération sur la succession, pour un montant de 98 398,83 euros. L’enjeu financier était donc important.

Pour contester ce recours, l’héritier faisait essentiellement valoir que :
- le paiement direct de l’aide sociale à l’hébergement à l’hôpital faisait obstacle à toute récupération sur la succession, un tel paiement direct étant contraire aux dispositions pertinentes du code de l’action sociale et des familles ;
- l’intégralité des frais d’hébergement ne pouvait pas être réclamée dans la mesure où le département n’avait pas sollicité une participation de la défunte alors même que le code de l’action sociale et des familles dispose que 90 % des ressources du résident est affecté au paiement des frais d’hébergement.

Ces arguments ont été écartés par la Cour de cassation, laquelle a considéré : 1) que le département était bien fondé à verser directement l’aide sociale à l’hébergement au gestionnaire et 2) qu’un financement intégral des frais d’hébergement s’avère possible.

1. La légalité du paiement direct des frais d’hébergement au gestionnaire.

Le procédé choisi par le département s’appuyait sur son règlement d’aide sociale. Ce règlement - il convient de le préciser - constitue, pour les départements, un document obligatoire « définissant les règles selon lesquelles sont accordées les prestations d’aide sociale » [2]. Il peut prévoir des conditions d’attribution et des montants plus favorables que ceux fixés par le législateur [3].

L’héritier contestant le recours sur la succession considérait que le versement direct de l’aide sociale à l’hébergement à l’hôpital gestionnaire de la maison de retraite était contraire aux dispositions de l’article R131-5 du code de l’action sociale et des familles, lequel dispose que les aides sociale « sont payées au lieu de résidence de l’intéressé, soit à lui-même, soit à une personne désignée par lui ».

Selon le moyen ainsi développé, cette contrariété était illégale dans la mesure où ce versement direct ne constituait pas une mesure de faveur au sens de l’article L121-4 précité. En effet, lesdites modalités de versement ne concernaient ni les conditions d’attribution ni le montant de l’aide sociale.

Pour la Cour de cassation, ce raisonnement devait être invalidé.

En effet, selon la haute juridiction, la question des modalités de versement (i.e. le paiement direct au gestionnaire) peut être réglée librement par le règlement départemental d’aide sociale. Il se déduit de l’arrêt que la problématique des conditions d’attribution et du montant de l’aide se trouve hors du champ de l’analyse [4].

A l’examen, tout porte à croire que les juges de cassation se sont implicitement référés à la notion de gestion d’affaires [5], comme semblent en attester la référence au fait d’agir « dans l’intérêt exclusif et pour le compte du bénéficiaire de l’aide sociale » ainsi qu’au « droit commun des obligations » (paragraphe 15 de l’arrêt).

Il est cependant regrettable que la Cour de cassation ne réponde pas véritablement au moyen tiré de la violation de l’article R131-5 du code de l’action sociale et des familles dont les termes semblent pourtant clairs.

La difficulté semble ici avoir été un peu facilement éludée même si, sur le fond, cela n’aurait certainement rien changé au problème. Car, que l’aide sociale à l’hébergement soit versée au résident ou au gestionnaire de l’établissement, elle continue à constituer une avance, récupérable dans le cadre d’une succession.

2. La possibilité d’un financement intégral des frais d’hébergement par l’aide sociale.

Comme cela a été mentionné en introduction, les personnes hébergées doivent en principe participer à leurs frais d’hébergement. Plus précisément, il résulte de la combinaison des articles L132-3, L132-4 et R132-2 du code de l’action sociale et des familles que les personnes âgées accueillies au titre de l’aide sociale dans des établissements sociaux ou médico-sociaux doivent s’acquitter elles-mêmes de la participation financière mise à leur charge pour leur hébergement et leur entretien, dans la limite de 90% de leurs ressources.

Selon le moyen développé dans le pourvoi, en s’abstenant d’exiger une participation de la défunte, le département aurait exagérément grevé l’actif successoral, de sorte que la somme à récupérer devait se trouver minorée.

L’argument ainsi développé trouvait des limites juridiques, mais aussi pratiques.

Sur un plan pratique, il est légitime de penser que les sommes conservées par la défunte (et donc non versées au gestionnaire de la maison de retraite) sont venues augmenter l’actif successoral. D’une certaine manière il s’agit peu ou prou d’un jeu à somme nulle.

D’un point de vue juridique, la Cour de cassation, suivant en cela les juges du fond, relève que l’état de santé de la résidente ne lui permettait pas de signer elle-même les documents administratifs et médicaux nécessaires à son admission et qu’il ne pouvait pas davantage être attendu de sa part qu’elle accomplisse des démarches pour matérialiser sa contribution volontaire.

Confronté à cet état d’incapacité, la participation pleine et entière du département se justifiait, une fois encore - semble-t-il - dans le cadre d’une gestion d’affaires.

Qui plus est, la haute juridiction rappelle que le règlement départemental d’aide sociale prévoyait la possibilité d’un versement de l’aide sociale à l’hébergement, sans déduction de la participation du résident, l’objectif étant d’assurer une continuité dans la prise en charge.

Clairement donc, la Cour de cassation confirme que les départements disposent d’une grande latitude pour récupérer les sommes avancées au titre de l’aide sociale à l’hébergement. Peu importent à cet égard les modalités de versement de ces sommes aux établissements gestionnaires.

La préservation des deniers publics paraît ici de mise.

David Taron Avocat au Barreau de Versailles

[1Article L132-8 du code de l’action sociale et des familles.

[2Article L121-3 du code de l’action sociale et des familles

[3Article L121-4 du code de l’action sociale et des familles

[4« 10. L’article L121-4 du code de l’action sociale et des familles précise que le conseil départemental peut décider de conditions et de montants plus favorables que ceux prévus par les lois et règlements applicables aux prestations mentionnées à l’article L121-1 et que le département assure la charge financière de ces décisions. Au demeurant, il n’interdit pas au conseil départemental d’organiser dans le règlement départemental d’aide sociale des modalités particulières de versement de l’aide sociale destinées à en assurer l’effectivité telles que son versement direct à l’établissement d’accueil de la personne âgée ».

[5Article 1301 du code civil : « Celui qui, sans y être tenu, gère sciemment et utilement l’affaire d’autrui, à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire, est soumis, dans l’accomplissement des actes juridiques et matériels de sa gestion, à toutes les obligations d’un mandataire ».