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Fadettes et données de connexion, quelles incidences suite aux décisions de la Cour de cassation de juillet 2022 ? Par Juliette Chapelle, Avocate.
Parution : mercredi 4 janvier 2023
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La chambre criminelle de la Cour de cassation dans des arrêts du 12 juillet 2022 a tiré les conséquences des décisions rendues par la Cour de Justice de l’Union Européenne en matière de conservation des données de connexion et à l’accès à celles-ci dans le cadre de procédure pénale.
Toutefois, pratiquement, les solutions dégagées ne sont pas satisfaisantes, tant le flou règne encore.
Arrêts de la Cour de Cassation, chambre criminelle du 12 juillet 2022.

Quel était le régime antérieur aux décisions du 12 juillet 2022 ?

Il convient de distinguer la conservation des données et l’accès aux données.

Concernant la conservation des données, l’article L34-1, III du Code des postes et des communications électroniques, dans sa version en vigueur au moment des faits, imposait aux opérateurs de services de télécommunications électroniques la conservation généralisée et indifférenciée, pour une durée maximale d’un an, des données de connexion énumérées à l’article R10-13 dudit code, pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales.

Concernant l’accès aux données, les articles 60-1 (enquête de flagrance) et 77-1-1 (enquête préliminaire) du Code de procédure pénale prévoient la procédure en matière de réquisitions. Il en est de même pour les articles 60-2 (enquête de flagrance) et 77-1-2 (enquête préliminaire) du Code de procédure pénale, qui régissent quant à eux la communication d’informations contenues dans un système informatique.

Selon le système antérieur, en enquête de flagrance, le procureur de la République ou l’officier de police judiciaire pouvait prendre des réquisitions écrites pour obtenir communication d’informations intéressant l’enquête. En enquête préliminaire, seul le procureur de la République, ou sur son autorisation, l’officier de police judiciaire, pouvait faire de même.

Quelle est la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne ?

La Cour de Justice de l’Union Européenne prohibe la conservation généralisée et indifférenciée des données. Cependant, elle autorise la conservation rapide dans le cadre de la lutte contre la criminalité grave, en vue de l’élucidation d’une infraction déterminée, dans le respect des conditions matérielles et procédurales prévues en droit européen.

Sur l’accès aux données, les juges européens ont fixés 4 conditions : (i) les données ont été conservées conformément aux exigences du droit européen, (ii) l’accès a eu lieu pour la finalité ayant justifié la conservation ou une finalité plus grave, sauf conservation rapide, (iii) l’accès est limité au strict nécessaire et (iv), s’agissant des données de trafic et de localisation, si l’accès est circonscrit aux procédures visant à la lutte contre la criminalité grave et soumis au contrôle préalable d’une juridiction ou d’une autorité administrative indépendante.

Or, le procureur de la République français n’est pas une autorité indépendante.

Qu’a décidé la chambre criminelle de la Cour de cassation ?

Concernant la conservation des données, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que la législation actuelle est en conformité partielle partielle des dispositions des articles L34, III et R10-13 du Code des postes et des communications électroniques relatives à la conservation généralisée et indifférenciée.

A cet égard, la chambre criminelle pose deux conditions pour qu’elles soient conformes : (i) elles imposent une obligation de conservation des données de trafic et de localisation pour la recherche, la constatation et la poursuite des infractions incriminées aux articles 410-1 à 422-7 du Code pénal et la juridiction saisie d’une requête ou d’une exception de nullité doit vérifier si, à la date de la conservation des données litigieuses, il existait une menace grave, réelle et actuelle ou prévisible pour la sécurité nationale.

Quant aux dispositions relatives à la conservation rapide des données, les juges de la haute juridiction confirment leur conformité dès lors que les éléments de fait justifiant la nécessité de cette mesure d’investigation répondent à un critère de criminalité grave et la conservation de ces données respectent les limites du strict nécessaire.

Sur l’accès aux données, la Cour de cassation juge que les articles du Code de procédure pénale sont non-conformes car ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante.

Quelles sont les conséquences pratiques de ces arrêts ?

Cette jurisprudence est critiquée tant par les avocats que par les autorités de poursuites. Les avocats critiquent le large pouvoir d’appréciation laissé aux juges sur la condition relative à la notion de criminalité grave, ainsi que l’absence de définition de la notion de stricte nécessité.

Quant aux autorités de poursuites, elles critiquement notamment le besoin d’autorisation de nombreuses réquisitions, alourdissant la procédure pénale.

Concernant l’autorité de contrôle, plusieurs pistes sont évoquées mais elles comportent toutes des inconvénients. Le juge d’instruction manque de moyens, à l’instar du juge des libertés et de la détention. Le recours à une autorité administrative indépendante pourrait être envisagée, comme la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, mais elle n’a pas de pouvoir contraignant et cette nouvelle mission représenterait une charge importante.

A ce jour, aucune réforme législative n’est en cours, alors même que seul le législateur permettrait de mettre plus de clarté dans cette jurisprudence.

Merci à Julie Fragonas, élève-avocate au cabinet pour ses recherches et réflexions.

Juliette Chapelle Avocate au barreau de Paris [->cabinet@chapelleavocat.com] https://www.chapelleavocat.com/
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