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Les caméras augmentées, témoins de la prééminence de l’Intérêt Général sur les droits individuels. Par Quitterie Desjacques, Etudiante.
Parution : vendredi 7 octobre 2022
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Le nombre de caméras intelligentes se déploient dans les lieux publics tout autant que leurs fonctionnalités et options. Ces dispositifs constitués de logiciels de traitements automatisés, d’images associées à des caméras, permettent d’extraire diverses informations à partir de flux vidéos. Les algorithmes relèvent ainsi certaines données, grâce à des images capturées en temps réel.

La CNIL a explicité le 19 juillet 2022 sa position concernant les conditions de déploiement de ces caméras augmentées, au regard des droits et libertés fondamentaux, mais aussi des enjeux sociologiques et économiques.

I. Le champ d’application de la prise de position de la CNIL.

Cet été, la CNIL est intervenue afin de se prononcer sur cette intelligence artificielle en pleine croissance et sur les conditions de son déploiement.

Par ailleurs, elle ne s’exprime pas sur les dispositifs de reconnaissance biométrique, qui font l’objet d’une prise de position à part datant du 15 novembre 2019 [1].
De même, ne sont pas concernés :
- les usages des dispositifs vidéos mis en place dans des lieux privés ou strictement domestiques,
- les dispositifs détectant des sons,
- les caméras exploitées en temps différé ou
- celles exploitées à des fins de recherches scientifiques au sens du RGPD.

Ces différentes données permettant une identification individuelle sont qualifiées de “sensibles [2]. Le RGPD limite donc fortement leur traitement, voire les interdit, ce qui n’est pas le cas des caméras augmentées visées par la commission le 19 juillet 2022.

Cette dernière se concentre donc ici sur des appareils mis en place par les autorités publiques, qui sont prêtes à débourser de grandes sommes pour préserver et sauvegarder l’ordre public. La sécurité nationale est un objectif qui pousse les États à privilégier de nouvelles innovations, même si elles portent atteintes à certains droits individuels et collectifs

II. Un usage "juste" des caméras augmentées.

Afin d’implanter et de pérenniser ces caméras augmentées, la CNIL souligne la nécessité de poser un socle solide de confiance. Il s’agit de trouver l’équilibre parfait entre surveillance légitime permettant la sauvegarde de l’intérêt général, et préservation des libertés.

A) Comment faire un usage juste des caméras augmentées, préservant les libertés individuelles ?

La mise en place de ces dispositifs révolutionnaires soulève évidemment des problématiques concernant le droit à l’image et le droit au respect de la vie privée et familiale [3]. La grande problématique apparaît dès lors que les individus sont filmés par des dispositifs invisibles sans même avoir donné leur consentement.

Les caméras peuvent être capables de détecter automatiquement le nombre de personnes dans un lieu, déterminer leur sexe, leurs caractéristiques physiques ou encore de repérer certains comportements. Une augmentation massive du nombre de dispositifs de surveillance, qui sont par nature intrusifs, conduirait à un risque d’analyse généralisée non maîtrisée dans l’espace public. Par exemple, parmi ces caméras augmentées, certaines pourraient être placées sur des panneaux publicitaires afin d’adapter la publicité en fonction de l’âge, du sexe, ou encore des habits d’un passant [4].

La CNIL met en garde les autorités publiques : le niveau d’intrusion dans la vie privée des passants est ici élevé. La Commission a notamment pour objectif d’éviter que les autorités publiques puissent prendre des décisions individuelles contre une personne au regard d’un comportement adopté et détecté par une caméra. De même, la création d’un système de notation des personnes par les caméras menace les libertés individuelles.

B) Garantir un usage juste des caméras augmentées en visant la collectivité.

Les études sociologiques de Durkheim et l’école anti-individualiste, selon lesquelles les Hommes subissent moins les sanctions ou les décisions prises à leur encontre lorsque la collectivité entière est touchée, semblent être reflétées dans la mise en place de ces dispositifs.

C’est pourquoi les autorités doivent faire preuve d’adaptabilité : si certains dispositifs sont trop intrusifs au niveau individuel, ils pourront cependant être acceptés s’ils sont collectifs et donc moins intrusifs.

Les caméras augmentées peuvent avoir pour seul objet la production d’une information statistique, pour conduire des analyses ou parfois, aboutir à une décision collective.

Par exemple, l’enregistrement de vidéos dans le métro afin d’étudier la densité de fréquentation d’une station et les heures d’affluence a un but d’analyse exclusivement. Les risques pour les droits et libertés des personnes sont réduits et dépendront du type de décision qui sera prise a posteriori.

Toutefois, la multiplication de ces enregistrements pourrait entraîner en parallèle un changement de comportement des individus qui seront amenés à savoir qu’ils sont filmés dans les lieux publics. Ils adopteront donc un comportement irréprochable sous l’œil des caméras, car la peur de la sanction et la “peur du gendarme” planeront alors au-dessus de leur tête.

III. La pertinence et la légitimité des conditions de licéité des caméras augmentées.

Avant tout, la CNIL énonce que les exigences en matière de protection des données personnelles doivent être respectées et qu’ainsi, la mise en place de caméras dans les espaces publics doit être nécessaire et proportionnée au but légitime recherché.

La difficulté juridique est que ce triple contrôle de proportionnalité peu précis laisse au juge une certaine marge de manœuvre afin de décider du caractère excessif ou non du dispositif de surveillance. Les juges, gardiens des libertés, constateront facilement que les caméras sont des dispositifs proportionnés au regard de leur finalité : la préservation de la sécurité publique.

De même, la CNIL ajoute dans son rapport que la justification de l’installation de ces caméras, fondée sur l’ordre public, permet d’exclure le droit d’opposition contre le traitement de ces données à des fins statistiques [5].

Les pouvoirs publics semblent favoriser, par l’installation de ces appareils intelligents, la protection de l’intérêt général sur les libertés et droits individuels.

IV. L’impossible répression des infractions par les caméras augmentées.

Dans le prolongement de la jurisprudence du Conseil d’État sur les caméras piétons et les drones, la mise en œuvre de tels dispositifs semble relever des domaines constitutionnellement réservés à la loi [6]. L’intervention législative apparaît comme un moyen de lutter contre les abus des pouvoirs publics, dans l’installation de ces caméras augmentées.

Par exemple, les traitements algorithmiques de détection de comportements suspects emportent un changement de degré dans la surveillance à distance de la voie publique, et augmentent les risques d’abus. L’intervention législative est donc nécessaire. Ici, on touche à la sphère pénale dépassant largement la logique préventive et expérimentale.

La loi française n’autorise à ce jour pas l’usage par la puissance publique de ces caméras aux fins de détection et de poursuite d’infractions. La CNIL souligne que seul un débat démocratique pourra donner naissance à un tel dispositif, et que la loi devra en fixer les cas d’usages précis et des garanties protectrices. La Commission ajoute qu’une telle norme nécessite d’abord de prouver l’efficacité de ces caméras et ses avantages innovants de rapidité, de fiabilité et de traçage, qui rendraient leur utilisation nécessaire.

La mise en place des caméras augmentées implique, par leur essence même, l’étude des risques de l’exploitation des données personnelles, afin d’éviter une intrusion disproportionnée des pouvoirs publics dans la vie privée et dans la liberté des individus.

En cas de dispositifs excessivement attentatoires, les recours contre l’État pour manquement à ses obligations, au regard des textes constitutionnels et conventionnels, seront ouverts aux victimes.

Quitterie Desjacques, Etudiante en Master 1 Propriété Intellectuelle - Panthéon-Assas Université

[3Article 9 Code civil et article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

[6Article 34 de la Constitution.