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La réouverture des débats : une voie de recours méconnue. Par Rémi Oliveras, Clerc d’Huissier.
Parution : mardi 26 juillet 2022
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Après les fameux jugements du Tribunal correctionnel de Louvakou-Dolisie (Gabon), en date des 8 octobre 1985 et 27 mai 1986, condamnant des inculpés pour faits de sorcellerie, il convient de se pencher sur une décision rendue le 20 juin 2022 par le Juge de l’exécution de Basse-Terre dont l’originalité mérite de s’y attarder.

Dans une procédure de divorce classique, un jugement de divorce en date du 5 Décembre 2019 condamne le mari/débiteur « à verser à [la créancière] la somme de 120 000 euros à titre de prestation compensatoire », et « dit que [le débiteur] pourra se libérer de cette somme en 96 mensualités de 1 250,00 euros ». Le jugement est signifié le 20 Décembre 2019.

Un arrêt de la cour d’appel de Basse-Terre en date du 23 novembre 2020 confirme le jugement déféré. L’arrêt est signifié le 3 Décembre 2020.

Du strict point de vue du professionnel de l’exécution, un premier problème se pose.

En effet, sauf à considérer que le non-paiement d’une seule mensualité entraîne caducité de l’échéancier, la décision est inexécutable : si le débiteur peut se libérer en 96 mensualités, le juge aux affaires familiales ne précise pas la date de départ de l’échéancier (le mois suivant la signification ? Immédiatement ?), ni sa sanction en cas d’irrespect.

Afin de trancher ces difficultés, et l’huissier de Justice instrumentaire étant chargé de l’exécution, une requête en saisie des rémunérations a été déposée au Tribunal Judiciaire de Basse-Terre le 14 janvier 2021, pour une audience le 9 mars 2021.

Le débiteur, convoqué, n’a pas comparu.

Le juge en saisie des rémunérations constate la non-conciliation en l’absence du débiteur, et ordonne la mise en place de la saisie des rémunérations pour la somme de 127 182,82 euros, incluant le principal, frais et intérêts.

Les décisions donnant lieu à exécution ont donc été interprétées en un sens ou elles pouvaient être exécutables, et où l’intégralité du capital restant dû est considéré comme étant immédiatement exigible faute de règlement d’une seule mensualité.

Fort de cette décision favorable aux intérêts de la créancière, une saisie-attribution des primes de participation aux résultats de l’entreprise et de tout autres primes ne rentrant pas dans le calcul du salaire a été diligentée entre les mains de l’employeur le 19 mars 2021, dénoncée le 23 mars 2021.

Le débiteur a contesté cette saisie-attribution le 23 avril 2021. Il demande le cantonnement de la saisie-attribution à la somme de 3 870 euros, arguant que la décision de première instance n’a obtenue force exécutoire que le 3 Décembre 2020 (date de signification de l’arrêt), et qu’il ne peut être poursuivi pour la totalité de la créance, le jugement initial lui laissant la possibilité de régler par mensualités de 1 250,00 euros.

Une requête aux fins de nomination d’un séquestre est déposée par l’huissier de justice instrumentaire le 29 avril 2021, sur le fondement de l’article R211-16 du Code des procédures Civiles d’Exécution, qui prévoit que :

« En cas de contestation, le tiers saisi s’acquitte des créances échues entre les mains d’un séquestre désigné, à défaut d’accord amiable, par le juge de l’exécution saisi sur requête ».

Par un courrier en date du 31 mai 2021, l’employeur informe l’Huissier de Justice avoir versé au débiteur les primes, pour un montant de 11 900 euros.

La contestation n’a donc plus de raison d’être, ni la demande de séquestre, l’employeur ayant choisi délibérément de passer outre la saisie-attribution. La créancière conserve toujours la possibilité d’une action contre l’employeur.

Le jugement en contestation de la Saisie-attribution est rendu le 29 Novembre 2021 (RG 21/00033). Notons que le juge a joint la requête en nomination d’un séquestre à l’audience sur le fond.

Les attendus sont éloquents.

« Attendu qu’il résulte des pièces versées au débats que l’huissier de justice a saisi le juge des rémunérations pour des montants ne correspondants pas aux décisions de justices rendues ;
Qu’il a procédé à la signification d’un procès-verbal de saisie-attribution qui a été contestée par le débiteur ;
Qu’il apparaît donc que l’huissier de justice instrumentaire a failli dans sa mission de recouvrement d’une créance en exécution d’une décision de justice rendue […].
Par ces motifs,
Juge que l’huissier de justice instrumentaire a failli dans la mission de recouvrement dont il était chargé en procédant à la signification d’un acte de saisie-attribution dont il ne pouvait ignorer qu’il outrepassait les montants qu’il pouvait effectivement saisir,
Cantonne la saisie pratiquée le 19 mars 2021 à la somme de 15 150,04 euros […]
 ».

Si l’huissier de justice instrumentaire a « failli » dans sa mission de recouvrement, quid du magistrat chargé de la saisie des rémunérations dont la mission prévue à l’article R3252-19 du Code du travail consiste à « vérifier le montant de la créance en principal, intérêts et frais » ?

L’huissier de justice instrumentaire a commencé le recouvrement en déposant une requête en saisie des rémunérations afin qu’un magistrat puisse interpréter la décision initiale de condamnation à une prestation compensatoire en un sens ou cette dernière puisse être exécutable.

Il est particulièrement curieux de considérer que l’huissier de justice instrumentaire a failli dans sa mission de recouvrement en « outrepassant les montants qu’il pouvait effectivement saisir », alors que ce montant a préalablement été vérifié par le juge d’instance chargé de la saisie des rémunérations. Quant à considérer comme une défaillance d’avoir un acte contesté par le débiteur, il ne s’agit là que de l’exercice d’une voie de recours prévues par les textes et non pas d’une défaillance.

Du point de vue du praticien, cette décision pour le moins mal rédigée, est de plus inutile car elle ne cantonne qu’une saisie-attribution dont les sommes ont déjà été reversées au débiteur par la mauvaise foi de l’employeur. Cette saisie-attribution ne concerne que des primes non comptabilisées dans le salaire.

La saisie des rémunérations, elle, est toujours en place et n’a pas été contestée. Mais l’employeur refuse toujours obstinément de saisir les rémunérations de son salarié.

Les obligations de l’employeur, prévues à l’article R3252-10 du Code du travail, sont claires : « Le tiers saisi verse mensuellement les retenues pour lesquelles la saisie est opérée dans les limites des sommes disponibles ».

Après des relances émanant tant de l’Huissier de Justice instrumentaire que du tribunal Judiciaire, une ordonnance de contrainte est prise le 21 avril 2022 par le nouveau juge de l’exécution chargé de la saisie des rémunérations, qui condamne l’employeur à verser la somme de 127 182,82 euros au greffe du tribunal, et déclare l’employeur personnellement débiteur des retenues qui auraient dû être opérées.

Deux juges successifs en saisie des rémunérations se sont donc prononcés, l’un contre le débiteur, le second contre son employeur, et tous deux ont interprétées les décisions initiales en un sens ou l’intégralité du capital restant dû devient immédiatement exigible faute de règlement d’une seule mensualité.

In cauda venenum ! Après cet enchevêtrement de décisions, le juge de l’exécution de Basse-Terre est revenu sur son jugement du 29 Novembre 2021, par un nouveau jugement du 20 juin 2022.

« Vu les conclusions du débiteur déposées le 23 mai 2022 tendant à solliciter du Juge de l’exécution de cantonner la saisie des rémunérations et de lui impartir un délai pour répliquer aux arguments et demandes de la créancière, lesquelles n’ont pas été portées à sa connaissance […].

Aux motifs que : « Un élément nouveau justifie de la saisine du juge de l’exécution dans le prolongement du jugement du 29 novembre 2021 ».

L’avocat du débiteur a donc déposé des conclusions en ré-ouverture des débats six mois après que le jugement cantonnant la saisie-attribution ait été rendu, que le dit-jugement ait été signifié au débiteur et au tiers-saisi, et que ledit jugement soit devenu définitif. L’huissier de justice instrumentaire possède un certificat de non-appel et de signification.

Le juge de l’exécution, au visa de l’article 444 du Code de procédure civile qui prévoit que :

« Le président peut ordonner la réouverture des débats. Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés », ainsi qu’au visa de l’article 784 du Code de Procédure Civile, qui prévoit que : « L’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue ; la constitution d’avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.
Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l’instruction, l’ordonnance de clôture n’est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout
 »,
ordonne la ré-ouverture des débats et fixe l’examen de l’affaire au 26 septembre 2022 ».

- Le premier fondement, l’article 444 du Code de Procédure Civile, ne tient pas.

Cet article s’insère dans un titre XIV intitulé « Le jugement », chapitre I « Dispositions générales », et dans une section I sobrement appelée : « Le débat, le délibéré, le jugement ».

L’instance se termine par le rendu du jugement. Les débats ont lieu, puis le délibéré, puis le jugement est rendu (le tribunal « vide » son délibéré, ce qui met fin à l’instance !). Le président peut effectivement ré-ouvrir les débats en cours d’instance … Or en l’espèce, ce jugement ré-ouvre les débats d’une instance morte.

- Le second fondement juridique, l’article 784 du même code, ne tient pas davantage. Cet article évoque l’ordonnance de clôture propre à la procédure écrite, qui peut être révoquée « en cas de cause grave depuis qu’elle a été rendue ».

Nous retrouvons la distinction évoquée précédemment entre les débats, le délibéré et le jugement. Il est possible de révoquer une ordonnance de clôture (ou son « équivalent » en procédure orale) en cours d’instance. Dès le jugement rendu, la voie de recours est l’appel. Pas la ré-ouverture des débats.

L’élément nouveau justifiant de la saisine du juge de l’exécution mérite lui aussi commentaire. Comment peut-on considérer comme nouveau la saisie des rémunérations en date du 09 mars 2021, alors que cette dernière est pourtant citée dans la décision du 29 Novembre 2021 ?

S’agit-il de l’ordonnance de contrainte prise à l’encontre de l’employeur ? Mais dans ce cas, c’est à ce dernier d’agir, et non pas au salarié de demander la réouverture des débats. C’est à l’employeur d’exercer les voies de recours contre l’ordonnance de contrainte, et non pas d’imaginer un appel circulaire qui a été supprimé en matière civile depuis près de deux siècles …

Au surplus, les conclusions déposées par l’avocat du défendeur ont pour but de cantonner la saisie des rémunérations en date du 9 mars 2021.

L’article R3252-8 du Code du travail dispose que « Les contestations auxquelles donne lieu la saisie sont formées, instruites et jugées selon les règles de la procédure orale ordinaire devant le tribunal judiciaire ».

L’article 510 du Code de procédure civile prévoit qu’ :

« Après signification d’un commandement ou d’un acte de saisie ou à compter de l’audience prévue par l’article R3252-17 du Code du travail, selon le cas, le juge de l’exécution a compétence pour accorder un délai de grâce ».

Excepté le fait qu’une nouvelle instance aurait dû être introduite (et que cette nécromancie d’instance est particulièrement curieuse), les pouvoirs du juge de l’exécution seront limités : délai de grâce ou de paiement dans la limite de deux ans, par décision spécialement motivée [1].

Il va falloir motiver spécialement l’accord de délais de grâce à un débiteur qui n’a rien versé spontanément en plus d’une année et multiplie les procédures pour éviter d’avoir à verser le moindre centime, et dont il a fallu la condamnation judiciaire de son employeur pour que ce dernier se décide enfin à mettre en place la saisie des rémunérations.

Enfin, l’article 1343-5 du Code civil va à l’encontre de « l’argumentaire » développé par l’avocat du débiteur : persistant à laisser le champ libre au débiteur de verser les mensualités de 1 250,00 euros quand il l’entend, la seule possibilité qu’il lui reste sera de régler les 120 000 euros en 24 mois…. Et non plus en 96 mois.

Une fois le jugement rendu, ce sont les voies de recours ordinaires ou extraordinaires qu’il faut exercer.

Il est particulièrement surprenant de constater que la ré-ouverture des débats est considéré comme une voie de recours ordinaire, ce qui induit de nouvelles interrogations : la décision de cantonnement de la saisie-attribution sera-t-elle maintenue ? Est-elle toujours en vigueur ? Quid de la demande de nomination d’un séquestre qui n’a jamais été jugée lors du jugement du 29 Novembre 2021 ?

En résumé, voilà une nouvelle voie de recours contre l’incompétence.

Rémi Oliveras Clerc Collaborateur d'Huissier de Justice - Etude Nouvel (97100)

[1Article 1343-5 du Code civil.

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