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Communication électronique en matière pénale : attention à l’irrecevabilité des adresses CEP. Par Patrick Lingibé, Avocat.
Parution : mardi 2 août 2022
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Cet article fait un commentaire d’un arrêt rendu le 27 juillet 2022 par la Cour de cassation dans le domaine de la communication électronique en matière pénale [1].

Par un arrêt rendu le 27 juillet 2022 [2], la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur la validité de la transmission d’un document en matière pénale par voie de communication électronique.

Le 18 mars 2022, M. Y. a été mis en examen et placé en détention provisoire le 23 mars 2022 dans le cadre d’une information ouverte contre lui du chef d’extorsion avec arme.

Il a présenté une demande de mise en liberté qui a été rejeté par le juge des libertés et de la détention le 14 avril 2022.

Monsieur Y. a saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Fort-de-France le 3 mai 2022, laquelle a confirmé l’ordonnance du juge des libertés et de la détention.

Un pourvoi a été formé contre cet arrêt au motif tiré de ce que le mémoire déclaré irrecevable à tort avait été adressé par courriel au greffe de la chambre de l’instruction à la même adresse que celle utilisée par le greffier pour adresser à l’avocat du mis en examen l’avis d’audience.

Dans sa décision, la Cour de cassation rappelle :

« 8. Il résulte des articles 198, D. 591 et D. 592 du code de procédure pénale que les mémoires produits devant la chambre de l’instruction peuvent être transmis par un moyen de télécommunication sécurisé à l’adresse électronique de ladite chambre, dans les conditions prévues par une convention passée entre le ministère de la justice et les organisations nationales représentatives des barreaux. »

Pour une meilleure compréhension de cette décision, nous reproduisons ci-dessous les trois articles du code de procédure pénale cités dans l’attendu précité.

Article 198 du code de procédure pénale modifié par l’article 16 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire :

« Les parties et leurs avocats sont admis jusqu’au jour de l’audience à produire des mémoires qu’ils communiquent au ministère public et aux autres parties.

Ces mémoires sont déposés au greffe de la chambre de l’instruction et visés par le greffier avec l’indication du jour et de l’heure du dépôt ou sont adressés au greffier, au ministère public et aux autres parties par télécopie ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, qui doit parvenir aux destinataires avant le jour de l’audience. »

Article D. 591 du code de procédure pénale modifié par l’article 3 du décret n° 2022-546 du 13 avril 2022 portant application de diverses dispositions de procédure pénale de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire :

« Selon les modalités figurant dans une convention passée entre le ministère de la justice et les organisations nationales représentatives des barreaux, les avocats des parties peuvent transmettre par un moyen de télécommunication sécurisé à l’adresse électronique de la juridiction ou du service compétent de celle-ci, et dont il est conservé une trace écrite, les demandes, déclarations et observations suivantes :
1° Les demandes de délivrance de copie des pièces d’un dossier prévues par l’article R. 155 ;

1° bis. Les demandes et observations adressées au procureur de la République en application de l’article 77-2, ainsi que les saisines du procureur général prévues par cet article ;

2° Les demandes tendant à l’octroi du statut de témoin assisté prévues par l’article 80-1-1 ;

3° Les demandes d’investigations sur la personnalité prévues par le neuvième alinéa de l’article 81 ;

4° Les demandes de la partie civile prévues par l’article 81-1 ;

5° Les demandes d’actes prévues par l’article 82-1 ;

6° Les demandes tendant à la constatation de la prescription prévues par l’article 82-3 ;

7° Les constitutions de partie civile et les plaintes adressées au procureur de la République respectivement prévues par les premiers et deuxièmes alinéas de l’article 85 ;

8° La requête en restitution d’objet placé sous main de justice prévue par le deuxième alinéa de l’article 99 ;

9° Les demandes d’un témoin assisté tendant à sa mise en examen, prévues par l’article 113-6 ;

10° Les demandes de délivrance d’une copie du dossier de l’instruction prévues par le quatrième alinéa de l’article 114 ;

11° Les déclarations de la liste des pièces dont l’avocat souhaite remettre une reproduction à son client, prévues par le septième alinéa de l’article 114 ;

12° Les déclarations de changement de l’adresse déclarée prévues par le dernier alinéa de l’article 116 ;

13° Les demandes de confrontations individuelles prévues par l’article 120-1 ;

14° Les demandes d’expertises prévues par l’article 156 ;

15° Les demandes de modification de la mission d’un expert ou d’adjonction d’un co-expert prévues par l’article 161-1 ;

16° Les observations concernant les rapports d’expertise d’étape, prévues par l’article 161-2 ;

17° Les observations et les demandes de complément d’expertise ou de contre-expertise, prévues par l’article 167 ;

18° Les observations concernant les rapports d’expertise provisoires, prévues par l’article 167-2 ;

19° Les observations, les demandes d’actes et les observations complémentaires faites en application de l’article 175 ;
20° Les demandes formées en application de l’article 77-2 ;

21° Les demandes formées en application de l’article 495-15.

Toute autre demande prévue par des dispositions du présent code et pour laquelle ces dispositions permettent qu’elle soit faite par simple lettre peut également être transmise conformément aux dispositions du présent article.

La réception de la demande sur la boîte aux lettres électronique du destinataire donne lieu à l’émission d’un accusé de réception électronique, qui fait, s’il y a lieu, courir les délais prévus par le présent code. Toutefois, lorsque la demande a été reçue en dehors des jours ouvrables ou avant 9 heures ou après 17 heures, les délais ne commencent à courir que le premier jour ouvrable suivant. Toute demande transmise à une adresse électronique ne figurant pas sur la liste des adresses transmise par le ministère de la justice en application de la convention prévue au premier alinéa est irrecevable ».

Article D. 592 du code de procédure pénale modifié par le décret n° 2021-1130 du 30 août 2021 pris pour l’application des dispositions de la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée et portant diverses modifications du code de procédure pénale :

« Les dispositions de l’article D. 591 sont également applicables aux dépôts des mémoires devant la chambre de l’instruction, prévus par l’article 198. »

La Cour de cassation rappelle sur ce point la convention qui a été signé le 5 février 2021 entre le ministère de la justice et le Conseil national des barreaux (CNB) [3] :

« 9. Une telle convention a été signée le 5 février 2021 avec le Conseil national des barreaux (CNB) et a pour objet de garantir notamment la sécurité des échanges entre les avocats et les juridictions, l’intégrité des actes transmis et l’identification des acteurs de la communication électronique.

10. A cette fin, elle prévoit, à son article 6.3, ainsi que dans ses annexes 5 et 9, que les avocats ne peuvent transmettre, en matière pénale, de messages électroniques aux juridictions qu’aux adresses de messagerie déclarées par le ministère de la justice au CNB comme éligibles à la communication électronique pénale, ces adresses devant répondre au format spécifique prévu par ladite convention et ses annexes. »

Dès lors la sanction d’un acte transmis en dehors des adresses normées et convenues de la communication électronique pénale est l’irrecevabilité dudit acte.

En l’espèce, l’avocat de Monsieur Y. avait transmis son mémoire par voie électronique sur l’adresse professionnelle du greffier et non pas sur l’adresse du CEP réservé à cet effet. La Cour de cassation confirme la position de la chambre d’instruction d’avoir rejeté l’acte transmis par le mauvais canal :

« 11. Ainsi, est irrecevable le mémoire déposé devant la chambre de l’instruction qui a été envoyé à une autre adresse électronique que celle transmise par cette juridiction comme éligible à la communication électronique pénale.
12. En l’espèce, l’arrêt attaqué énonce que le mémoire transmis sur la messagerie professionnelle nominative d’un Page 2 / 3 Pourvoi N° - 27 juillet 2022 greffier, et non sur la messagerie qui devait être utilisée en application de la convention précitée, est irrecevable.

13. En l’état de ces seules énonciations, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application des textes visés au moyen.

14. Dès lors, le moyen doit être écarté. »

Cette décision est l’occasion d’attirer l’attention des avocats sur la nécessité impérative pour eux de s’approprier les outils très performants qui ont été créés et mis à leur disposition par le Conseil national des avocats pour l’exercice de leurs activités, notamment en matière pénale.

La version V. 2 du RPVA créée par le Conseil national des barreaux est sur ce point une révolution numérique et technologique [4].

Patrick Lingibé Membre du Conseil National des barreaux Ancien vice-président de la Conférence des bâtonniers de France Avocat associé Cabinet Jurisguyane Spécialiste en droit public Diplômé en droit routier Médiateur Professionnel Membre du réseau interprofessionnel Eurojuris Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM) www.jurisguyane.com

[1CEP : pour communication électronique pénale.

[3Le Conseil national des barreaux est un établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale. Il est en application de l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques chargé de représenter la profession d’avocat notamment auprès des pouvoirs public.

[4Voir l’intéressante interview de M. le Bâtonnier Philippe Baron, président de la commission numérique du CNB et de M. Hervé Crozé, professeur agrégé des facultés de droit : Revue Procédures, Regards croisés sur le nouvel e-Barreau, Lexis Nexis, n° 6 juin 2022