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Licenciement en partie fondé sur une violation de la liberté d’expression : nullité. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : jeudi 4 août 2022
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Sauf abus, le salarié jouit d’une liberté d’expression au sein de l’entreprise et en dehors de celle-ci.

Toute limitation apportée à cette liberté fondamentale doit être justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché [1].

Dès lors qu’aucun abus n’est caractérisé dans le cadre de l’exercice de cette liberté, le salarié ne peut faire l’objet d’une sanction fondée sur celle-ci, à défaut de quoi celle-ci est nulle.

Depuis l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, la règle est explicitement consacrée par l’article L1235-3-1 du Code du travail.

Par cet arrêt du 29 juin 2022 (n° 20-16.060), la Cour de cassation affirme que le licenciement d’un salarié fondé, même partiellement, sur l’exercice de sa liberté d’expression est nul.

1) Les faits.

Un salarié, engagé en qualité d’« Executive Director » au sein du groupe Tereos et affecté à la filiale située en Roumanie de ce dernier, est licencié pour faute grave.

Le licenciement du Directeur exécutif était justifié par le fait d’avoir :
- adressé une lettre au président du directoire du groupe mettant en cause le directeur régional ainsi que les choix stratégiques du groupe, tout en insinuant que ce dernier aurait été informé de faits de corruptions ;
- refusé d’assumer ses responsabilités inhérentes à ses fonctions ;
- menacé de communiquer auprès de tiers, tels que les institutions roumaines, les équipes locales et fournisseurs, de faits dont il aurait eu connaissance, de façon à négocier son départ.

Dans un arrêt du 7 mai 2020, la Cour d’appel d’Amiens a considéré que le licenciement était nul.

La société s’est pourvue en cassation.

2) Absence de caractérisation d’un abus de l’exercice de la liberté d’expression.

Dans un arrêt du 29 juin 2022, la Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel d’Amiens selon lequel le licenciement du salarié repose en partie sur l’exercice par ce dernier de la liberté d’expression et est, par conséquent, nul.
Plus précisément, la Cour de cassation relève que les juges du fond ont constaté que la lettre envoyée par le salarié au président du directoire du groupe (premier grief détaillé ci-dessus) :
- faisait suite à l’absence de réaction de sa hiérarchie qu’il avait alertée le 2 décembre 2016 sur des difficultés en matière de sécurité et de corruption ;
- ne comportait aucun terme injurieux, excessif ou diffamatoire à l’encontre du supérieur hiérarchique du salarié ou de l’employeur.

3) Théorie du « motif contaminant » qui entraine la nullité du licenciement.

Ce faisant, la Cour de cassation confirme l’application par la Cour d’appel de la théorie dite du « motif contaminant » selon laquelle les juges du fond n’ont pas à apprécier les autres griefs invoqués aux fondements du licenciement dès lors que l’un d’eux justifie à lui seul la nullité du licenciement (Conclusions de l’Avocate générale, Madame Laulom, p. 3).
La même théorie a par ailleurs été appliquée par la Cour de cassation notamment en cas de violation du droit du salarié d’exercer une action en justice [2] ou en matière de harcèlement moral [3].

Sources :
- Cass. soc., 29 juin 2022, n° 20-16.060 ;
- Avis de Madame Laulom, Avocate générale, 29 juin 2022.

Pour aller plus loin sur la notion de la liberté d’expression :

- F. Chhum, « Droit des Journalistes : une transaction sur la liberté d’expression est valable, PPDA/TF1 » (22 janv. 2014) [4] ;
- F. Chhum, « Principe d’un niveau plus élevé de protection de la liberté d’expression d’un avocat dans la critique de l’action des magistrats à l’occasion d’une procédure judiciaire » (17 déc. 2016) [5] ;
- F. Chhum et S. Bouschbacher, « "Blague" sexiste d’un animateur de télévision : la Cour de cassation juge le licenciement justifié » (29 avr. 2022) ;
- F. Chhum, S. Bouschbacher, « Lanceurs d’alerte : nullité du licenciement suite à la dénonciation par le salarié de faits illicites » (7 juill. 2021).

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Art. 10 §1 de la CEDH ; C. trav. art. L1121-1 ; Cass. soc., 22 juin 2004, n° 02-42.446.

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[5Accéder à l’article ici.