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La protection juridique des sous-traitants en cas d’impayés. Par Kahina Bennour, Avocat.
Parution : jeudi 4 août 2022
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Du fait de la défaillance d’entreprises "majors" ayant recours à de nombreux sous-traitants dans certains secteurs d’activités (transports, construction, fibre optique ..), les sous-traitants font face à des problématiques d’impayés de leurs factures.

L’objet de cet article est de préciser quelle est la protection accordée aux sous-traitants en cas d’impayés et que sont les garanties de paiements.

L’article 1 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 définit la sous-traitance comme une :

« opération par laquelle un entrepreneur, appelé entrepreneur principal, confie sous sa responsabilité à un autre entrepreneur, appelé sous-traitant, l’exécution de tout ou partie du marché privé ou d’une partie du marché public conclu avec le maitre d’ouvrage ».

Cette loi de 1975 a mis en place un régime de protection visant à favoriser la reconnaissance et l’encadrement de l’intervention du sous-traitant, ainsi que garantir le paiement de ses prestations.

En principe, le sous-traitant doit être payé par son cocontractant, à savoir l’entrepreneur principal. Cependant, la situation d’insolvabilité de ce dernier laissait le sous-traitant impayé sans possibilité d’exercer un recours contre le maître d’ouvrage. Ainsi, dans le but de protéger les sous-traitants de tout risque de non-paiement par l’entrepreneur principal, la loi de 1975 envisage différentes mesures protectrices selon que le marché est public ou privé.

Dans le cadre d’un marché privé, la loi de 1975 a instauré plusieurs mécanismes de protection financière au profit des sous-traitants impayés leur permettant de bénéficier d’une garantie de paiement soit par le biais d’une délégation de paiement, ou de manière alternative par un système de cautionnement, soit par l’exercice d’une action directe contre le maître.

L’action directe en paiement.

Dans le cas d’une défaillance de l’entrepreneur principal, l’article 12 de la loi de 1975 permet au sous-traitant d’exercer une action directe en paiement contre le maitre d’ouvrage dès lors qu’il n’a pas obtenu le paiement de ses prestations auprès de l’entrepreneur principal, un mois après en avoir été mis en demeure. Cette action permet au sous-traitant d’obtenir le paiement de ce qui lui est dû, mais seulement dans la limite de ce que le maitre de l’ouvrage doit encore à l’entrepreneur principal (article 13 de la loi de 1975).

Cette action directe étant d’ordre public, toute clause visant à l’écarter est nulle et inopposable au sous-traitant.

Le cautionnement.

La loi de 1975 envisage une autre garantie de paiement au sous-traitant, à savoir le cautionnement bancaire fournie par l’entrepreneur principal lors de la signature du contrat de sous-traitance. En effet, l’article 14 de la loi de 1975 dispose que « à peine de nullité du contrat, les paiements de toutes les sommes dues au sous-traitant en application du contrat sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l’entrepreneur auprès d’un établissement qualifié et agréé par décret ».

La délégation de paiement.

Alternativement au système de cautionnement, l’article 14 de la loi de 1975 prévoit la possibilité pour le sous-traitant d’invoquer la délégation de paiement du maître de l’ouvrage à concurrence du montant des prestations exécutées par ce dernier, en l’absence de caution de l’entrepreneur principal. Ce mécanisme permettant au sous-traitant d’être directement payé par le maitre de l’ouvrage suppose nécessairement l’accord du maitre de l’ouvrage [1].

En effet, la délégation de paiement, prévue par l’article 1336 du Code civil, constitue une opération juridique par laquelle le délégant (ici l’entrepreneur principal), obtient d’une autre personne, le délégué (le maitre de l’ouvrage), qu’elle s’oblige envers une troisième personne, le délégataire (sous-traitant), qui l’accepte comme débiteur. La délégation peut être parfaite ou imparfaite. La délégation imparfaite correspond à celle dans laquelle le délégataire ne libère pas le délégant de son obligation préexistante envers lui (article 1338 du Code civil). Cette opération apporte une garantie au sous-traitant puisqu’il pourra obtenir le paiement de ses factures sur deux patrimoines au lieu d’un seul, à savoir celui du maitre de l’ouvrage ou de l’entrepreneur principal, ce qui renforce ses chances de paiement. Par opposition, la délégation parfaite suppose que le délégant soit déchargé de son obligation envers le délégataire qui n’aura plus qu’un seul débiteur, le maitre d’ouvrage (article 1337 du Code civil). La jurisprudence a précisé que le mécanisme de la délégation de paiement dans la sous-traitance s’apparente à une délégation imparfaite.

Le paiement direct (pour les marchés publics).

Dans le cadre d’un marché public, l’article 6 de la loi de 1975 prévoit un mécanisme de paiement direct par le maitre d’ouvrage afin de rémunérer le sous-traitant agréé pour la part de marché dont il assure l’exécution, sans que le paiement ne passe par le patrimoine de l’entrepreneur principal.

Une double condition d’acceptation et agrément du sous-traitant imposée par la loi de 1975 visant à lutter contre la sous-traitance occulte.

L’article 3 de la loi de 1975 prévoit une obligation pour l’entrepreneur de faire accepter les sous-traitants par le maitre de l’ouvrage lors de la conclusion et durant toute la durée du contrat ou du marché. L’entrepreneur principal est également tenu de soumettre les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance à l’agrément par le maître. Cet agrément porte ainsi non seulement sur le nom des sous-traitants mais aussi sur les conditions de paiement. En vertu de cet article, l’entrepreneur principal est aussi tenu de communiquer au maître de l’ouvrage à sa demande, les contrats de sous-traitance.

Ces obligations pesant sur l’entrepreneur principal permettent ainsi de lutter contre les formes de sous-traitance occulte et de protéger le sous-traitant, non seulement contre les éventuels abus commis par l’entrepreneur principal, mais aussi au niveau de la détermination de la rémunération versée au titre de ses prestations.

En définitive, la loi de 1975 a instauré différents mécanismes pour garantir la protection du sous-traitant et afin de s’en assurer, le législateur affirme de manière directe ou indirecte le caractère d’ordre public de ces dispositions, notamment en prévoyant que toute renonciation au paiement direct (L. 1975, Art.7) ou à l’action directe en paiement est réputée non écrite (Art. 12) ou en déclarant que « sont nuls et de nul effet, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions de la présente loi » (Art.15).

Kahina Bennour Avocat au barreau de Paris [->k.bennour@bo-legal.fr ] www.bo-legal-avocats.fr

[1Cass. 3ème civ., 27 avril 2017.