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Motifs contaminants = virus juridiques du licenciement. Par Grégory Chatynski, Juriste.
Parution : vendredi 5 août 2022
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Si les coronavirus et autres varioles du singe portent gravement atteinte à la santé, les virus juridiques portent, eux, gravement atteinte aux intérêts de certains employeurs qui ont le malheur d’être imprudents, ou mal conseillés.

La Cour de cassation, par un arrêt du 29 juin 2022 (n°20-16.060), vient ainsi de rappeler à un employeur, qui l’a payé cher (près 800 000 euros), la notion de « motifs contaminants », véritables virus du licenciement qui atteignent irrémédiablement la validité du licenciement par sa nullité, et ce indépendamment de l’éventuelle validité d’autres griefs.

La Cour de cassation, par un arrêt du 29 juin 2022 (n°20-16.060), rappelle que :

« (…) Sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Le caractère illicite du motif du licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié, de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement. La cour d’appel a d’abord constaté que (…). Elle en a exactement déduit, sans avoir à examiner les autres griefs invoqués dans la lettre de licenciement, dès lors qu’il était notamment reproché au salarié cet exercice non abusif de sa liberté d’expression, que le licenciement était nul  ».

Ainsi, lorsque l’illicéité d’un motif (par ex, violation d’une liberté fondamentale) rend le licenciement nul, celui-ci contamine les autres motifs qui ne pourront justifier du licenciement (voir l’avis complet de l’avocate générale dans cette affaire, sur le site de la Cour de cassation) :
« De manière générale, il est ainsi admis que lorsqu’un grief contenu dans la lettre de licenciement est constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, il entraîne à lui seul la nullité du licenciement. La conséquence est l’effet contaminant de ce motif : il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse. L’idée sous-jacente est que l’illicéité de l’un des motifs du licenciement déteint sur l’opération tout entière et la contamine. On peut également penser que la détermination de la véritable cause du licenciement serait difficile. Enfin,
ce qui est nul ne peut produire aucun effet et il ne peut donc être renvoyé à d’autres motifs de licenciement, que le juge est dès lors dispensé de vérifier
 ».

Pour bien comprendre cette notion de « motif contaminant », il suffit de rappeler qu’une lettre de licenciement peut contenir divers griefs - parfois concurrents (faute et insuffisance professionnelle) mais jamais contradictoires (interdiction de licencier pour motif personnel et pour motif économique) - susceptibles de valider la rupture si au moins l’un des griefs est lui-même valable.

Ainsi, si l’un des griefs n’est pas admis par le juge (par ex, un faut fautif est prescrit, mais l’insuffisance professionnelle est reconnue), le licenciement reste valable.

Cette règle porte toutefois une exception des plus remarquables : un grief discriminatoire, ou portant sur l’exercice d’une liberté fondamentale (ester en Justice ; liberté d’expression…) est à ce point prohibé que non seulement ce grief, s’il est le seul, ne peut justifier la rupture du contrat, mais, combiné à d’autres, rend à lui seul le licenciement nul, et pas seulement sans cause réelle ni sérieuse.

Ainsi, ce grief interdit est une forme d’arme biologique de haute intensité : inactivation des autres griefs (prise en compte toutefois des autres griefs dans la détermination du préjudice article L. 1235-2-1 du Code du Travail) ; atomisation du licenciement ; indemnisation minimale majorée (6 mois de salaire minimum) ; pulvérisation du barème Macron (pas de plafond).

1. Un employeur ne pouvait reprocher au salarié ni la création d’un syndicat (liberté d’association syndicale), ni la publication d’un tract syndical « qui ne contenait aucun propos injurieux, diffamatoire ou excessif (et donc qui) ne caractérisait pas un abus de la liberté d’expression du salarié » [1] ;

2. Un employeur ne pouvait licencier un salarié qui avait dénoncé, à tort, des faits de harcèlement, dès lors que ce dernier n’était pas de mauvaise foi [2] ;

3. De même, « le caractère illicite du motif du licenciement tiré de la participation à une grève emporte à lui seul la nullité de ce licenciement », sauf faute lourde [3].

4. De même est en faute l’employeur qui a utilisé un motif du licenciement discriminatoire :
- « tiré des activités syndicales du salarié, (qui) emporte à lui seul la nullité du licenciement » [4] ;
- Pour exercice normal du droit de grève [5] ;
- « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions » (lanceur d’alerte) : « La cour d’appel a constaté que le licenciement était motivé par le fait que l’intéressé, dont elle a relevé la bonne foi, avait signalé (…). La cour d’appel a, à bon droit, déduit de ces seuls motifs que le licenciement était nul » [6] ou encore « en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité » [7].

5. Saisir la justice est un droit fondamental, dont le reproche contamine les autres griefs : « Mais attendu qu’ayant retenu, hors toute dénaturation, que l’employeur reprochait au salarié dans la lettre de licenciement d’avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail, la cour d’appel, qui a ainsi implicitement mais nécessairement écarté la preuve d’un abus ou d’une mauvaise foi de ce dernier dans l’exercice de son droit d’ester en justice, en a exactement déduit que ce grief, constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement » [8] ;

6. La Cour d’appel de Paris l’a aussi rappelé par décision du 7 octobre 2020 (RG 18-08016) : parmi un grief d’absence injustifiée, il était reproché au salarié d’avoir eu « l’outrecuidance de saisir le conseil de prud’hommes » ; mal lui en a pris : licenciement nul ;

7. Il en est de même de la liberté fondamentale de témoigner ou d’attester : « Attendu qu’en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice, le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur » [9].

Tous ces licenciements sont nuls, que le grief soit unique ou en concours avec d’autres griefs.

Les employeurs sont donc avisés d’être particulièrement prudents dans la rédaction de la lettre de licenciement quitte, si plusieurs griefs sont concurrents (et suffisamment sérieux), d’abandonner le grief susceptible de provoquer la nullité de la rupture s’il existe un risque non nul qu’il soit ensuite jugé illicite et contaminant.

Grégory Chatynski Responsable juridique droit social Ancien Conseiller prud\'homal Employeur, Industrie Conseiller prud\'homal Employeur, Encadrement (2023-2025)

[1Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 juillet 2012, 11-10.793.

[2Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 mars 2009, 07-44.092 ; Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 31 mars 2010, 07-44.675.

[3Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juillet 2009, 08-40.139.

[4Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 juin 2010, 08-40.628.

[5Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 21 avril 2022, 20-18.402.

[6Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 septembre 2021, 19-25.989.

[7Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 janvier 2022, 20-10.057.

[8Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 février 2016, 14-18.600.

[9Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 29 octobre 2013, 12-22.447.