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Des messages à connotation sexuelle justifient un licenciement pour faute grave. Par Cécile Villié, Avocat.
Parution : vendredi 12 août 2022
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Si la jurisprudence pose en principe qu’un fait tiré de la vie personnelle ne peut ni caractériser une faute, ni justifier en lui-même un licenciement, la protection des intérêts de l’entreprise peut parfois justifier qu’il puisse être retenu à l’appui d’une mesure de licenciement, y compris disciplinaire.

Faire des avances à une salariée d’une entreprise cliente peut-il mener au licenciement ?

Oui, répond la Cour de cassation. En effet, les contacts de l’entreprise ne doivent pas être utilisés à des fins privées. Une utilisation non autorisée peut constituer une faute grave pouvant entraîner le licenciement. Bien plus, tout message envoyé vers un contact de l’entreprise auquel le salarié a accès dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail revêt un caractère professionnel.

C’est un véritable coup d’éclat réalisé par la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français en date du 12 juillet 2022 [1]. Dans une affaire opposant un salarié licencié pour faute grave à son employeur, les juges de la Cour de cassation ont débouté l’employé de sa demande de nullité du licenciement au motif que ce dernier a adressé des messages obscènes et injurieux à l’employée d’une entreprise cliente ; en considérant que cela s’est produit dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.

Dans cette affaire, la Cour de cassation vient apporter une illustration du principe désormais bien établi selon lequel : un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement du salarié à une obligation découlant de son contrat de travail ou se rattache à la vie professionnelle [2].

Néanmoins, cet arrêt est assez étonnant car la Cour de cassation est, d’usage, très stricte quant au caractère personnel, privé de la vie du salarié en dehors de l’entreprise, dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à l’obligation de loyauté.

En effet, si la Cour de cassation rappelle très souvent que l’obligation de loyauté du salarié oblige ce dernier à mesurer ses propos ainsi que ses relations à l’extérieur de l’entreprise, même dans la sphère privée [3], elle s’est prononcée ici sur le fait même de savoir si un événement de la vie personnelle du salarié telle qu’une relation amoureuse, de par sa proximité avec le cadre professionnel, ne relevait pas, en réalité, de la sphère de l’entreprise.

En l’espèce, un chef d’équipe, embauché le 20 mars 1997 est licencié pour faute grave en date du 16 mars 2016. Le motif invoqué à l’appui de ce licenciement est que ce salarié avait envoyé des messages à connotation sexuelle à la salariée d’une entreprise cliente. Si l’on en croit l’employeur, ce fait, par ailleurs marqué par l’interdiction du chef d’équipe d’accéder au site de l’entreprise cliente, a causé un trouble caractérisé à l’entreprise. L’employé se défend farouchement : ces échanges, qui ont eu lieu dans un cadre privé, fussent-ils avec une salariée d’un partenaire commercial, ne caractérisent pas un comportement rendant impossible le maintien d’un salarié jusque-là irréprochable et n’ont provoqué aucun trouble caractéristique dans l’entreprise.

Ces arguments sont balayés par la Cour de cassation qui raisonne en deux temps. D’abord, l’intéressé a obtenu les coordonnées de la salariée dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Il s’est servi de ses coordonnées téléphoniques professionnelles à des fins purement personnelles, ce qui constitue un usage abusif de ses prérogatives dans l’entreprise.
En sus, il a tenu des propos à caractère sexuel à l’égard de cette salariée avec laquelle il était en contact exclusivement en raison de son travail. Ainsi, que ce soit « dans un contexte privé » ou pas, ces propos avaient été tenus dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, ils revêtent donc un caractère professionnel.

Néanmoins, si d’une part on peut apprécier l’efficacité du raisonnement de la Cour, on peut s’inquiéter d’autre part de sa relative simplicité, surtout lorsque le salarié en cause n’a jamais fait l’objet, en 19 ans, d’une seule mesure disciplinaire. Enfin, on pourrait regretter l’absence de motivation par les juges quant à l’existence d’un trouble suffisamment sérieux à l’entreprise.

Cécile Villié, Avocat - droit du travail Barreau de Paris www.villie-avocat.com [->contact@villie-avocat.com]

[1Cass. soc., 12 juillet 2022, n°21-14.777.

[2Cass. soc., 16 janv. 2019, n°17-15.002

[3Cass. soc., 30 sept. 2020, n° 19-10.930, Cass. soc. 23 juin 2021, n° 19-21.651