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Les modalités de remboursement d’un trop-perçu de rémunération par un agent public. Par Bénédicte Rousseau, Avocate.
Parution : mercredi 17 août 2022
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Par principe, le versement d’un trop-perçu de rémunération par un employeur public constitue une décision pécuniaire non créatrice de droits.
Dès lors, si un agent, fonctionnaire ou contractuel, a perçu une rémunération à laquelle celui-ci ne pouvait pas prétendre, l’administration peut lui en réclamer le remboursement, mais uniquement sous certaines conditions.

1. Quelles sont les hypothèses dans lesquelles un employeur public peut exiger le remboursement de sommes indûment versées à un agent ?

Si un agent perçoit une somme à laquelle celui-ci n’avait pas droit de la part de la personne publique qui l’emploie, son employeur peut lui demander le remboursement de cette somme dans un certain délai.

Cette situation peut se produire, par exemple :
- à la suite d’une erreur matérielle sur le calcul des éléments de rémunération (ex : erreur de liquidation tenant à une erreur de codification informatique des échelons et des indices majorés correspondants) ;

- lorsqu’une décision irrégulière a accordé à l’agent une rémunération à laquelle celui-ci n’avait en réalité pas droit (ex : versement du supplément familial de traitement pour des enfants qui ne sont plus à la charge de l’agent).

Ce sont tous les éléments de la rémunération de l’agent qui peuvent donner lieu à demande de remboursement, dès lors qu’ils lui ont été versés à tort : son traitement indiciaire, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement, la nouvelle bonification indiciaire, les diverses primes et indemnités, les frais de déplacement, etc.

2. À quelles conditions la saisie directe sur la paie d’un agent est-elle régulière pour rembourser un trop perçu de rémunération ?

Par principe, l’article L. 711-5 du code de la fonction publique prévoit que les dispositions du code du travail relatives aux saisies et cessions sont applicables à la rémunération de l’agent publics.

L’article L. 711-6 du même code ajoute que « les sommes indument perçues par un agent public en matière de rémunération donnent lieu à remboursement dans les conditions fixées par l’article 37-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations », qui vont être développées ci-après.

Dans l’idéal, l’employeur public émet un titre de recette comportantplusieurs informations à l’attention de l’agent concerné :
- La nature de la rémunération versée à tort ;
- La référence du texte (loi, décret, etc.) et/ou le fait générateur qui justifie la demande de remboursement ;
- Le montant de la somme due.

Sans doute, aux termes de l’article R. 3252-1 du code du travail,pour déclencher une procédure de saisie de rémunérations, le créancier doit-il être titulaire d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

Cependant, en ce qui concerne les retenues sur la paie des agents publics par l’administration, elles ne sont pas soumises à cette condition pour être régulières.

En effet, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, la retenue sur traitement est une mesure purement comptable qui n’est soumise à aucune procédure particulière et qui n’exige pas que l’intéressé ait été préalablement informé de la décision prise à son encontre avant que celle-ci ne soit exécutée (CE, 18 avril 1980, Michéa, n° 10892, mentionné aux Tables ; CE, 2 novembre 2015, M. P..., n° 372377).

Selon la plus haute juridiction administrative, la « compensation ayant lieu de plein droit, elle peut être opposée par le comptable sans qu’il soit besoin que l’autorité administrative compétente ait rendu exécutoire l’ordre de reversement ou ait autorisé les poursuites » (CE, 12 mars 1999, Ministre délégué au budget, n° 182411, mentionné aux Tables).

En bref : lorsque le remboursement concerne une créance de l’État ou d’une personne publique conduisant à une retenue sur la paie d’un de leurs agents, ni l’émission d’un titre de recette, ni l’information préalable des intéressés ne sont requises sous peine d’irrégularité de la procédure de saisie directe sur la paie de l’agent.

3. Les conditions auxquelles sont soumises les administrations pour exiger le remboursement d’un trop perçu de rémunération de la part d’un agent.

Même en l’absence de titre de recette, la créance correspondant aux sommes perçues sur les paies doit être exigible, c’est-à-dire que l’agent peut toujours contester un prélèvement qui serait injustifié ou prescrit.

S’agissant du délai pour exiger un remboursement d’un trop perçu par un agent public, l’émission du titre de recette ou le prélèvement direct sur la paie doit intervenir dans un délai précis, appelé délai de prescription d’assiette, d’une durée de 2 ans à partir du 1er jour du mois suivant le paiement erroné.

Une fois ce délai de 2 ans écoulé, l’administration ne peut plus émettre de titre de recette pour réclamer le remboursement d’un trop-perçu de rémunération, ni par conséquent faire des saisies sur les paies de l’agent concerné.

- Exemple 1 : pour une somme versée à tort en octobre 2021, le point de départ du délai de prescription est le 1er novembre 2021. Il prend fin le 31 octobre 2023. L’administration ne peut plus émettre de titre de recette à partir du 1er novembre 2023.
Lorsque l’erreur de paiement se poursuit sur plusieurs mois, chaque paiement erroné constitue un nouveau point de départ du délai de prescription.

- Exemple 2 : un agent a perçu d’octobre 2021 à juin 2022 une rémunération à laquelle il n’avait pas droit, le paiement erroné d’octobre 2021 peut donner lieu à demande de remboursement jusqu’au 31 octobre 2023, le paiement erroné de juin 2022 jusqu’au 30 juin 2024, etc.

Exceptions au délai de prescription d’assiette de 2 ans.

- Le délai d’émission du titre de recette est de 5 ans si l’agent n’a pas informé l’administration d’un changement dans sa situation personnelle ou familiale ayant un effet sur sa rémunération.
Ce délai de 5 ans débute le jour où l’employeur public a pris connaissance des faits justifiant la demande de remboursement de la rémunération indue.

- Si l’agent transmet une information inexacte, l’administration peut alors lui demander le remboursement de la rémunération indue correspondante à tout moment.

4. Hypothèses dans lesquelles l’employeur public ne peut pas demander le remboursement de rémunérations versées à tort aux agents.

L’établissement ou l’administration employeur ne peut pas demander le remboursement de rémunérations versées à tort à des agents sur la base d’une disposition réglementaire ayant fait l’objet d’une annulation par le Conseil d’État.

L’administration ne peut pas non plus demander le remboursement de rémunérations versées à tort sur la base d’une décision irrégulière devenue définitive de nomination dans un grade (avancement de grade, promotion interne ou titularisation d’un agent qui ne remplit pas les conditions – ces décisions sont en effet créatrices de droits et deviennent donc définitive si l’administration ne les retire pas dans le délai de 4 mois).

5. Quelles sont les modalités de récupération des sommes dues ?

La récupération des sommes dues peut se faire de deux façons différentes :

NB : Dans tous les cas, l’agent peut demander un report ou un échelonnement de sa dette auprès du comptable public – qui demeure libre de lui accorder ou non.

- par l’émission d’un titre exécutoire, correspondant à une décision écrite permettant au créancier d’obtenir le recouvrement forcé de sa créance (saisie des biens).

Il importe de préciser qu’une fois le titre de recette émis, le cas échéant, l’administration dispose d’un délai de 4 ans pour effectivement récupérer les sommes dues en adressant un avis des sommes à payer à l’agent (le plus souvent par courrier). C’est le délai de prescription de recouvrement, au-delà duquel l’employeur ne peut plus réclamer les sommes dues par l’agent.

- par prélèvement direct sur la rémunération de l’agent concerné.

Dans ce cas, le comptable public effectue une retenue sur sa paie sur un ou plusieurs mois selon la somme à récupérer.

On l’a vu, aucune obligation d’information préalable ne permet juridiquement de remettre en cause ce type de prélèvement. Toutefois, en cas d’abus ou de négligence de la part de l’administration (notamment de retard pour rectifier une erreur matérielle), sa responsabilité peut être engagée devant le tribunal administratif compétent.

La saisie des rémunérations est toutefois réglementée par les articles L. 3252-1à L. 3252-13du code du travail, complétés par les dispositions règlementaires des articles R. 3252-1à R. 3252-10du même code, applicables aux agents publics.

En application de ces dispositions, la retenue sur la paie ne peut pas dépasser la portion saisissable de la rémunération de l’agent (v. notammentl’article L. 3252-3 du code du travail).

v. également le Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts BOI-REC-FORCE-20-20-10-27/11/2019 du 27 novembre 2019 relatif à la saisie des rémunérations
pour davantage de précision sur le calcul de la quotité saisissable :

« Le calcul de la quotité saisissable doit tenir compte, après déduction des contributions et cotisations sociales obligatoires et de la retenue à la source prévue à l’article 204 A du CGI, du montant de la rémunération, de ses accessoires, ainsi que, le cas échéant, de la valeur des avantages en nature accordés au salarié (C. trav., art. L. 3252-3).

Exemple : Soit un salarié sans personne à charge dont la rémunération brute s’élève à 4 400 €, les contributions et cotisations sociales obligatoires à 1 000 € et la retenue à la source effectuée en application de l’article 204 A du CGI à 270 €. La rémunération nette mensuelle s’élève à 3 130 € (4 400 € - 1 000 € -270 €). Le montant de son salaire mensuel saisissable ou cessible s’élève à 1 774,15 €, en application du barème 2019 (révisé annuellement) mentionné à l’article R. 3252-2 du C. trav.

L’article R. 3252-2 du C. trav. détermine la proportion dans laquelle les sommes dues à titre de rémunération sont saisissables ou cessibles. Les différents seuils sont augmentés d’un montant par personne à la charge du débiteur saisi ou du cédant, sur justification présentée par l’intéressé, fixé à l’article R. 3252-3 du C. trav.

Ce même article définit les personnes considérées comme à charge :
- le conjoint ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou le concubin du débiteur, dont les ressources personnelles sont inférieures au montant forfaitaire du revenu de solidarité active mentionné à l’article L. 262-2 du CASF, fixé pour un foyer composé d’une seule personne tel qu’il est fixé chaque année par décret ;
- tout enfant ouvrant droit aux prestations familiales en application de l’article L. 512-3 du CSS et de l’article L. 512-4 du CSSet se trouvant à la charge effective et permanente du débiteur au sens de l’article L. 513-1 du CSS ;
- tout enfant à qui ou pour l’entretien duquel le débiteur verse une pension alimentaire ;
- l’ascendant dont les ressources personnelles sont inférieures au montant forfaitaire du revenu de solidarité active mentionné à l’article L. 262-2 du CASF, fixé pour un foyer composé d’une seule personne et qui habite avec le débiteur ou auquel le débiteur verse une pension alimentaire ».

Par ailleurs, et en toute hypothèse, l’article L. 3252-5 du code du travail pose le principe général selon lequel, dans tous les cas, une somme minimale doit être laissée à la disposition de l’agent dont la rémunération est saisie.

Cette règle s’applique quel que soit le type de créance.

L’article R. 3252-5 du code du travail précise que cette rémunération garantie est égale au revenu de solidarité active (RSA) pour un foyer composé d’une personne seule. Ce seuil, révisé annuellement, s’établit à 575,52 euros en 2022 (v. le décret n° 2022-699 du 26 avril 2022 portant revalorisation du montant forfaitaire du revenu de solidarité active).

6. Quels sont les recours à la disposition des agents dont la direction demande le remboursement de sommes versés à tort ?

6.1 L’agent peut commencer par adresser à son employeur une demande de remise gracieuse ou un échelonnement de sa dette.

L’agent concerné peut adresser à son établissement employeur une demande de remise gracieuse, soit pour effacer la dette, soit pour en solliciter l’échelonnement dans le temps.

Dans ce cas, il peut invoquer, par exemple, sa situation difficile en termes de ressources, les charges élevées de famille, une somme importante due par ailleurs (impôts, achat immobilier…), etc.

L’administration peut décider de rejeter ou d’admettre dans sa totalité ou partiellement la demande de remise gracieuse.

En cas d’acceptation, l’agent sera dispensé de rembourser totalement ou partiellement les sommes indûment perçues.

6.2 En l’absence de conciliation amiable, l’agent peut adresser une réclamation auprès du comptable public ou une demande indemnitaire à son employeur, suivies d’un recours contentieux devant le tribunal administratif en cas de refus de faire droit à ses réclamations.

Si l’agent conteste le bienfondé du paiement indu, son montant (notamment si la somme saisie dépasse la portion saisissable ou limite sa rémunération en deçà du minimum garanti) ou la manière fautive dont l’administration a procédé au prélèvement sur sa paie, celui-ci peut légitimement saisir le tribunal administratif.

- Hypothèse n° 1 : les sommes n’ont pas encore été remboursées ni saisies sur la paie

Préalablement au recours contentieux, l’agent doit adresser sa contestation au comptable public de l’administration ou de l’établissement qui l’emploie en insistant sur le sursis de paiement.

Le courrier de contestation doit être accompagné des pièces ou justifications utiles à la demande, et il doit être en principe adressé au comptable public au plus tard dans les 2 mois suivant la réception de l’avis des sommes à payer ou de la saisie sur salaire.

Le comptable public accuse réception de la contestation et la transmet à l’administration employeur, laquelle dispose ensuite d’un délai pour répondre de 6 mois à partir de la date de réception de la contestation par le comptable.

En l’absence de réponse de l’administration employeur à la fin du délai de 6 mois, la contestation est réputée rejetée.

Dans ce cas, l’agent peut saisir le tribunal administratif dans les 2 mois suivant le rejet de la contestation, implicite ou explicite.

Important : tant que le jugement du tribunal administratif n’est pas intervenu, l’administration ne peut pas exiger le remboursement de la somme qu’elle réclame.

- Hypothèse n° 2 : les sommes ont déjà été remboursées ou saisies sur la paie

Si l’administration a déjà procédé à la saisie des sommes qu’elle estime correspondre à un trop perçu de rémunération (ou si le remboursement a déjà été effectué sur le fondement d’un titre de recette), l’agent peut contester le bienfondé de la demande de remboursement.

Dans ce cas, il s’agit d’engager la responsabilité pour faute de l’administration employeur (négligence dans la comptabilité, saisie de sommes insaisissables…).

L’agent peut alors demander le versement d’une indemnité en réparation du préjudice subi.

Là encore, avant de saisir le tribunal (avec représentation par avocat obligatoire), l’agent doit impérativement adresser à son employeur une demande indemnitaire préalable par lettre RAR.

Ce n’est qu’après la notification d’un rejet de sa demande ou du silence gardé par l’administration pendant un délai de deux mois que l’agent pourra saisir le juge administratif (dans le délai de deux mois suivant la réponse explicite ou implicite de l’employeur).

Néanmoins, en cas d’urgence caractérisée par une situation financière très difficile, une procédure de référé suspension est envisageable avant qu’une réponse de l’administration n’ait été notifiée.

Bénédicte Rousseau Avocate en droit public et droit social
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