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Conditions de recevabilité du contentieux de remise en état du domaine public. Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : vendredi 26 août 2022
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Dans un arrêt du 14 juin 2022 (req. n°455050), le Conseil d’Etat est venu confirmer que l’exécution des mesures de remise en l’état du domaine public maritime naturel dépend de l’engagement d’une procédure de contravention de grande voirie et d’une condamnation prononcée par le juge administratif à cette fin.

Plus précisément, le Conseil d’Etat juge que

« l’occupant du domaine public maritime naturel ne peut être contraint à le remettre en état qu’à la suite d’une condamnation prononcée par le juge administratif au titre de l’action domaniale à l’issue de la procédure de contravention de grande voirie. Une mise en demeure de procéder à cette remise en état adressée par l’administration à l’occupant du domaine public maritime naturel avant l’engagement d’une procédure de contravention de grande voirie, par l’établissement d’un procès-verbal de contravention conformément à l’article L774-2 du Code de justice administrative, constitue un acte dépourvu d’effets juridiques propres qui ne présente pas le caractère d’une décision susceptible de recours ».

CE, 14 juin 2022, SA Immobilière de la Pointe du Cap Martin, req. n°455050 :

Dans cet arrêt, la société Immobilière de la Pointe du Cap Martin a été titulaire du 3 juillet 1968 au 31 décembre 1997 d’autorisations successives délivrées par le préfet des Alpes-Maritimes en vue d’occuper une dépendance du domaine public maritime attenante à une parcelle lui appartenant, supportant une plage artificielle en béton, une planche plongeoir ainsi que deux canalisations alimentant une piscine d’eau de mer située sur sa propriété.

Après avoir à plusieurs reprises constaté l’occupation sans titre de cette dépendance par cette société, le préfet des Alpes-Maritimes l’a, d’une part, mise en demeure de procéder à la démolition de tous les ouvrages situés sur le domaine public maritime et lui a, d’autre part, demandé de libérer de toute occupation, sur sa propriété, une bande de recul de trois mètres au droit de la limite du domaine public maritime. Il convient de préciser que par la même décision, le préfet indiquait qu’à défaut de démolition des ouvrages, dans le délai imparti, le préfet serait dans l’obligation de dresser une contravention de grande voirie et de demander au président du tribunal administratif d’engager des poursuites à l’encontre de la société pour occupation illégale du domaine public maritime.

La société contrevenante a contesté ladite demande.

Tant le Tribunal administratif de Nice que la Cour administrative d’appel de Marseille ont rejeté la demande de la société.

Saisi d’un pourvoi en cassation, il appartenait au Conseil d’Etat de se prononcer sur la question de savoir si un contrevenant peut contester la mise en demeure de remettre en état une dépendance du domaine public maritime naturel alors même qu’aucune procédure de contravention de grande voirie n’a été engagée et qu’aucune décision juridictionnelle n’a été rendue.

Le Conseil d’Etat a répondu par la négative et jugé la requête irrecevable.

Faisant œuvre de pédagogie, le Conseil d’Etat a précisé les différentes étapes inhérentes à la procédure de contravention de grande voirie. Dans un premier temps, il rappelle que conformément aux dispositions de l’article L2132-3 du Code général de la propriété des personnes publiques :

« Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d’amende ».

Aux termes de l’article L2132-2 du Code général de la propriété des personnes publiques, les contraventions de grande voirie ont pour objet de sanctionner les atteintes de toute nature au domaine public, autre que routier. L’atteinte est caractérisée dès lors qu’il y a occupation sur le domaine public, sans droit ni titre [1]. La seule circonstance qu’une personne occupe illégalement le domaine public justifie la rédaction d’un procès-verbal de contravention [2] et par suite des poursuites pour contravention de grande voirie.

Dans un second temps, le Conseil d’Etat rappelle que les autorités chargées de la conservation du domaine public maritime naturel engagent des poursuites conformément à la procédure de contravention de grande voirie prévue par les articles L774-1 à L774-13 du Code de justice administrative. Il appartient à un agent habilité de rédiger un procès-verbal constatant le manquement.

Conformément aux dispositions de l’article L2132-21 et de l’article L2132-23 du Code général de la propriété des personnes publiques,

« sous réserve de dispositions législatives spécifiques, les agents de l’Etat assermentés à cet effet devant le tribunal judiciaire, les agents de police judiciaire et les officiers de police judiciaire sont compétents pour constater les contraventions de grande voirie ».

Il s’agit, notamment, des fonctionnaires des collectivités territoriales et de leurs groupements, des adjoints au maire et les gardes champêtres, des agents de l’Etat assermentés à cet effet.

Conformément à l’article L774-2 du Code de justice administrative, dans les dix jours qui suivent la rédaction d’un procès-verbal de contravention, le préfet notifie au contrevenant la copie du procès-verbal. L’acte de notification est adressé au tribunal administratif.

Dans le cadre de cette procédure, le contrevenant peut être condamné par le juge à deux types de sanctions :

- au titre de l’action publique : le contrevenant peut être condamné à une amende. En effet, l’article L2132-26 du CG3P prévoit que « Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d’un montant plus élevé, l’amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l’article 131-13 du Code pénal.
Dans tous les textes qui prévoient des peines d’amendes d’un montant inférieur ou ne fixent pas le montant de ces peines, le montant maximum des amendes encourues est celui prévu par le 5° de l’article 131-13.
Dans tous les textes qui ne prévoient pas d’amende, il est institué une peine d’amende dont le montant maximum est celui prévu par le 5° de l’article 131-13
 ». Le montant de l’amende doit être proportionné à la gravité du manquement [3].

- au titre de l’action domaniale : le juge peut condamner le contrevenant à remettre lui-même les lieux en état en procédant à la destruction des ouvrages construits ou maintenus illégalement sur la dépendance domaniale ou à l’enlèvement des installations. Conformément à une jurisprudence constante, en l’absence de décision de justice, l’administration ne peut procéder à la démolition des ouvrages implantés illégalement :

« l’autorité administrative ne peut, sauf urgence ou en application de textes législatifs particuliers l’y habilitant, agir d’office pour prendre ou reprendre possession d’une parcelle du domaine public, sans avoir, au préalable obtenu du juge compétent, une décision enjoignant à l’occupant de vider les lieux » [4].

Si le contrevenant n’exécute pas les travaux dans le délai prévu par le jugement ou l’arrêt, l’administration peut procéder d’office à la réalisation des travaux si le juge l’a autorisée à le faire. Si elle fait procéder d’office à ces travaux, à ses frais, elle pourra demander au contrevenant le remboursement des frais exposés ou à exposer pour la remise en état du site [5].

Après avoir relevé que la mise en demeure était intervenue préalablement à la mise en œuvre de la procédure de contravention de grande voirie, le Conseil d’Etat en a conclu qu’il s’agissait d’un acte dépourvu d’effets juridiques propres qui ne présentait pas le caractère d’une décision susceptible de recours. Ainsi, si un contrevenant souhaite contester la mise en demeure qui lui a été adressée, il devra s’assurer, préalablement, de l’engagement de la procédure de contravention de grande voirie.

« 2. Aux termes du premier alinéa de l’article L2132-3 du Code général de la propriété des personnes publiques : "Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d’amende". En application de ces dispositions, les autorités chargées de la conservation du domaine public maritime naturel engagent des poursuites conformément à la procédure de contravention de grande voirie prévue par les articles L774-1 à L774-13 du Code de justice administrative.

Dans le cadre de cette procédure, le contrevenant peut être condamné par le juge, au titre de l’action publique, à une amende ainsi que, au titre de l’action domaniale, à remettre lui-même les lieux en état en procédant à la destruction des ouvrages construits ou maintenus illégalement sur la dépendance domaniale ou à l’enlèvement des installations. Si le contrevenant n’exécute pas les travaux dans le délai prévu par le jugement ou l’arrêt, l’administration peut y faire procéder d’office si le juge l’a autorisée à le faire. Ces dispositions font ainsi dépendre l’exécution des mesures de remise en l’état du domaine de l’accomplissement régulier d’une procédure juridictionnelle préalable et d’une condamnation à cette fin par le juge.

3. Ainsi qu’il a été dit au point 2, l’occupant du domaine public maritime naturel ne peut être contraint à le remettre en état qu’à la suite d’une condamnation prononcée par le juge administratif au titre de l’action domaniale à l’issue de la procédure de contravention de grande voirie. Une mise en demeure de procéder à cette remise en état adressée par l’administration à l’occupant du domaine public maritime naturel avant l’engagement d’une procédure de contravention de grande voirie, par l’établissement d’un procès-verbal de contravention conformément à l’article L774-2 du Code de justice administrative, constitue un acte dépourvu d’effets juridiques propres qui ne présente pas le caractère d’une décision susceptible de recours ».

Anne-Margaux Halpern Avocat - Droit public des affaires

[1CE, 25 septembre 2013, req. n°354677.

[2CAA Marseille, 30 septembre 2014, req. n°12MA03762.

[3CE, 25 octobre 2017, req. n°392578.

[4TC, 24 février 1992, req. n°2685.

[5CAA Lyon, 28 novembre 2019, req. n°18LY02621 ; CAA Marseille, 16 décembre 2014, req. n°12MA03550.