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Directives anticipées : a-t-on le droit de (ne pas) mourir ? Par Maud Rouchouse, Avocat.
Parution : lundi 29 août 2022
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L’épineuse question du refus de soins n’a pas fini d’agiter les consciences, les polémistes et les juridictions…
L’idée des directives anticipées n’aurait-elle pas dû résoudre cette embarrassante question ?
Force est de constater que la rédaction même du texte et son interprétation semblent vider de son sens le terme même « d’anticipation », voire de « directive ».

Aux termes de l’article L1111-11 du Code de la santé publique :

« Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions de la poursuite, de la limitation, de l’arrêt ou du refus de traitement ou d’acte médicaux. […]
Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation et lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale
 ».

Dans un arrêt du Conseil d’Etat du 20 mai 2022 n°463713, une famille a saisi le Juge des référés afin de tenter d’imposer les directives anticipées du patient…peine perdue ?

Dans cette affaire, le patient, âgé de 47 ans avait été victime d’un traumatisme grave survenu au cours d’un accident de la voie publique.

Il était porteur, lors de l’accident, d’un document signé par lui dans lequel, d’une part, il indiquait refuser toute transfusion sanguine « même si le personnel soignant estime qu’une telle transfusion s’impose pour me sauver la vie » et d’autre part, il désignait son frère comme personne de confiance.

Lors de l’hospitalisation, le frère du patient a rappelé à l’équipe médicale que son frère étant témoin de Jéhovah, il ne souhaitait en aucune circonstance recevoir une transfusion sanguine.

L’équipe médicale, qui avait connaissance des directives et de la volonté exprimée par la personne de confiance a estimé avoir respecté la volonté du patient tout en procédant aux transfusions nécessaires à sa survie.

L’argumentaire était le suivant : « la stratégie transfusionnelle » normalement appliquée à des patients dans l’état de Monsieur C. est « libérale et non restrictive et aurait aboutie, en conséquence, à des transfusions d’un volume de sang plus élevé » contrairement aux nombres de transfusions reçues par le patient.

Serait-ce la quantité qui compte ?

Il semble que ce soit l’avis du Conseil d’Etat :

« Le droit pour le patient majeur de donner son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale. En ne s’écartant des instructions médicales écrites dont M.C… était porteur lors de son accident que par des actes indispensables à sa survie et proportionnés à son état, alors qu’il était hors d’état d’exprimer sa volonté, les médecins de l’hôpital d’instruction des Armées Sainte-Anne n’ont pas porté atteinte à ce droit, non plus qu’aux libertés fondamentales garanties par les stipulations internationales invoquées d’atteintes manifestement illégales ».

Plus de 10 ans après, l’affaire Senanayake [1], la position du législateur et des juridictions n’aura donc pas évolué.

La vie à tout prix.

La question des directives anticipées n’avait peut-être pas pour objectif de régler cette particulière question des transfusions sanguines ?

Doit-on alors imaginer que les directives anticipées n’ont que pour objectif d’asseoir une position relative à la fin de vie programmée, hors toute circonstance d’urgence ?

Peut-on choisir réellement ou non d’être maintenu en vie ?

L’arrêt du Conseil d’Etat du 19 août 2022 n°466082 nous laisse dans l’expectative…

Dans cette affaire, un homme de 44 ans a été victime d’un accident l’ayant plongé dans un coma avec absence d’activité cérébrale et lésions anoxiques sévères.

Alors que l’équipe médicale a entamé le processus d’arrêt des thérapeutiques, il a été porté à leur connaissance, par le médecin traitant du patient, un courrier qu’il lui avait fait parvenir 2 ans avant l’accident indiquant au titre de ses directives anticipées qu’il souhaitait, dans le cas où il ne serait plus en mesure de s’exprimer, être maintenu en vie, même artificiellement, en cas de coma prolongé jugé irréversible.

Malgré ce courrier, l’équipe médicale a considéré que ces directives étaient inappropriées et non conforme à la situation médicale. Un nouveau processus d’arrêt des traitements a été mis en place.

La vie à tout prix ?

La famille a sollicité la suspension de la décision médicale, en soulevant une question prioritaire de constitutionnalité afin de vérifier la conformité à la Constitution du texte qui laisse la possibilité au médecin de juger si les directives sont ou non « manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale ».

Le Conseil d’Etat a renvoyé cette question au Conseil Constitutionnel.

Affaire à suivre…

Maud ROUCHOUSE AVOCAT 46 rue Blatin 63000 CLERMONT-FERRAND 3 rue de la Barre 69002 LYON 04.73.28.11.66 mr.avocat.conseil@gmail.com www.avocat-maud-rouchouse.fr

[1CE. Ass. 26 octobre 2001.

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