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L’exception d’inexécution : suspendre l’exécution du contrat face à l’inexécution de son cocontractant. Par Elsa Haddad, Avocat et Marie Collet, Juriste.
Parution : mardi 30 août 2022
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Nul ne peut se faire justice soi-même, dit la maxime.

Cependant, l’article 1217 du Code civil, qui énonce les différentes sanctions applicables à l’inexécution d’un contrat, pose le principe de l’exception d’inexécution, par lequel une partie à un contrat peut refuser d’exécuter sa propre obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne.

Cet outil juridique, qui fait exception à la force obligatoire des contrats, s’avère particulièrement efficace pour contraindre son cocontractant de s’exécuter, ou prévenir le risque d’inexécution de ce dernier.

Cette exception est cependant strictement encadrée par le Code civil, qui ne l’autorise que si l’inexécution du cocontractant est suffisamment grave - et par conséquent le recours à l’exception d’inexécution proportionné - ce critère étant interprété de façon stricte par les tribunaux.

Dans ces conditions, comment une partie à un contrat peut-elle recourir à l’exception d’inexécution ? Quelles sont les conséquences pratiques de cette sanction ? Peut-elle être cumulée avec les autres sanctions de l’inexécution du contrat prévues par le Code civil ?

Cet article a ainsi pour objet de vous présenter le principe et les effets de l’exception d’inexécution. Cependant, ce mécanisme étant parfois difficile à appréhender, il vous est recommandé de vous faire conseiller préalablement à sa mise en œuvre à l’encontre de votre cocontractant.

I- L’appréciation de l’inexécution de l’obligation du cocontractant.

L’article 1219 du Code civil énonce :

« Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave ».

Dans le cadre d’un contrat synallagmatique – par lequel les parties s’obligent réciproquement l’une envers l’autre – une partie est donc en droit de ne pas exécuter son obligation si l’autre partie n’exécute pas la sienne (A) et si cette inexécution est suffisamment grave (B).

A. La caractérisation de l’inexécution de l’obligation du cocontractant.

Les articles 1217 et 1219 du Code civil posent pour condition implicite à la mise en œuvre de l’exception d’inexécution que l’obligation du cocontractant soit devenue exigible, à une date ou suite à la survenance d’un évènement prévus par le contrat, si dernier n’a pas n’exécuté pas cette obligation, ou ne l’a exécuté que partiellement.

Cette condition d’exigibilité de l’obligation du cocontractant est appréciée de façon souple, une créance non sérieusement contestable pouvant justifier le recours à l’exception d’inexécution pourvu qu’elle soit certaine.

L’exception d’inexécution est également opposable en cas de risque d’inexécution du cocontractant en application de l’article 1220 du Code civil qui dispose qu’une « une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

Une partie peut donc refuser d’exécuter son obligation si son cocontractant n’exécute pas sienne, mais il lui est aussi possible d’anticiper le risque d’inexécution de ce dernier, en suspendant l’exécution de sa propre obligation, à la condition que les conséquences de l’inexécution du cocontractant soient suffisamment graves.

B. L’appréciation du caractère suffisamment grave de l’inexécution du cocontractant.

Les articles 1219 et 1220 du Code civil posent pour condition principale à la mise en œuvre de l’exception d’inexécution que l’inexécution de l’autre partie doit être doit être suffisamment grave.

La jurisprudence interprète cette condition de gravité du manquement du cocontractant de façon stricte, de façon à ce que le recours à l’exception d’inexécution reste une riposte proportionnée à la gravité dudit manquement.

La Cour de cassation décide à ce titre de façon constante que :

« l’inexécution par l’une des parties de quelques uns de ses engagements n’affranchit pas nécessairement l’autre de toutes ses obligations ; il appartient au juge de décider d’après les circonstances si cette inexécution est suffisamment grave pour entraîner pareil résultat » [1].

Ainsi, il a été jugé que :

« n’est pas fondé à suspendre le paiement des loyers le locataire qui invoque une ventilation défectueuse des locaux loués (…) sans apporter la preuve de leur caractère dangereux, ni même d’une imperfection rendant impossible l’usage normal des locaux » [2].

Dans un arrêt du 17 juin 2022, la Cour d’appel de Paris a récemment rappelé que la partie qui entend se prévaloir des dispositions des articles 1219 et 1220 du Code civil doit pouvoir rapporter la preuve d’une mauvaise exécution du contrat par son cocontractant, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, aucun délai n’ayant été prévu pour la réalisation des missions de ce dernier [3].

En revanche, la Cour de cassation a décidé, dans le cadre de locaux loués inutilisables, que le bailleur n’avait pas respecté ses obligations d’assurer une jouissance paisible des lieux et de garantir les vices cachés en refusant de faire exécuter les travaux de consolidation des locaux nécessaires, et que par conséquent, les preneurs étaient fondés à opposer l’exception d’inexécution en refusant de payer leur loyer [4].

La partie qui entend suspendre l’exécution de son obligation en raison de l’inexécution de son cocontractant doit ainsi pouvoir justifier de la gravité de l’inexécution de ce dernier, ce critère étant déterminant pour fonder juridiquement le recours à l’exception d’inexécution.

Vous pouvez par conséquent refuser d’exécuter votre obligation si votre cocontractant n’a pas exécuté la sienne ou ne l’a exécuté que partiellement, que cette obligation soit devenue exigible ou s’il est manifeste qu’elle ne sera pas exécutée dans les temps, à la condition que cette inexécution soit suffisamment grave et donc que le recours à l’exception d’inexécution soit proportionné. `

II. L’exercice de l’exception d’inexécution.

L’exception d’inexécution a pour effet de suspendre temporairement l’exécution des obligations du créancier tant que son cocontractant ne s’est pas exécuté (A), cette sanction étant cumulable avec les autres sanctions prévues par l’article 1217 du Code civil si l’inexécution du cocontractant demeure (B).

A. La suspension des obligations du créancier.

La mise en œuvre de l’exception d’inexécution suspend l’exécution des obligations de celui qui l’oppose, dans l’attente que son cocontractant défaillant exécute sa propre obligation.

Le créancier d’une obligation n’est pour cela pas tenu à une mise en demeure préalable [5]. Cependant, une partie qui entend suspendre l’exécution de ses obligations en cas de risque d’inexécution de son cocontractant en application de l’article 1220 du Code civil, doit lui notifier cette suspension dans les meilleurs délais.

Cette suspension est sans incidence sur le contrat, qui conserve vocation à être exécuté. Ainsi, l’exécution de l’obligation du cocontractant rétablit l’obligation de l’autre partie d’exécuter ses obligations contractuelles, car le contrat demeure [6].

Par conséquent, l’exercice de l’exception d’inexécution seule ne permet pas au créancier de l’obligation de rompre le contrat, qui doit pour cela faire en faire prononcer judiciairement la résolution [7].

L’exception d’inexécution vous permet donc de suspendre provisoirement l’exécution de vos obligations, tant que votre cocontractant n’a pas exécuté la sienne. Si l’inexécution du cocontractant persiste, vous pouvez tout à fait recourir aux autres sanctions de l’inexécution du contrat prévues par les articles 1217 et suivants du Code civil.

B. Le cumul possible avec les autres sanctions de l’inexécution du contrat.

L’article 1217 du Code civil prévoit expressément que les sanctions prévues en cas d’inexécution du contrat son cumulables lorsqu’elles ne sont pas incompatibles, le créancier disposant de la liberté de choisir cette sanction, sous réserve de la possibilité de sa mise en application au cas d’espèce.

Aussi, en cas d’échec de l’exercice de l’exception d’inexécution, il est tout à fait possible d’exercer les autres sanctions à l’encontre du cocontractant défaillant, et le cas échéant, d’obtenir réparation du préjudice causé par le manquement de ce dernier.

L’exécution forcée en nature.

L’article 1221 du Code civil prévoit que le créancier d’une obligation peut en poursuivre l’exécution forcée en nature, après mise en demeure.
Cette exécution forcée peut en principe être réclamée pour toute inexécution, sauf :
- en cas d’inexécution impossible : par exemple lorsque la fabrication d’un véhicule a cessé, le vendeur est dans ce cas condamné à verser une indemnité équivalente à la valeur de la chose vendue [8] ;
- lorsque il y a une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier.

L’article 1222 du Code civil prévoit également, qu’après mise en demeure, le créancier peut faire exécuter lui-même l’obligation, dans un délai et un coût raisonnable, ou sur autorisation du juge, faire détruire ce qui a été fait en violation de l’obligation et obtenir le remboursement des sommes engagées pour cela.

La réduction du prix.

L’article 1223 du Code civil prévoit qu’en cas d’exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut notifier au débiteur sa décision de réduire proportionnellement le prix de la prestation, après mise en demeure et s’il n’a pas encore payé tout ou partie de la prestation, le débiteur devant donner par écrit son accord quant à l’acceptation de la réduction du prix.

Si le créancier a déjà payé, et n’obtient pas l’accord du débiteur pour la réduction du prix, il peut demander au juge la réduction de prix.

La résolution du contrat.

L’article 1124 du Code civil prévoit que le contrat peut être résolu soit en application d’une clause résolutoire, soit en cas en cas d’inexécution suffisamment grave, par une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice.

L’article 1226 du Code civil précise que la résolution du contrat par voie de notification se fait aux risques et périls du créancier, qui, sauf en cas d’urgence, doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

En conclusion, l’exception d’inexécution s’analyse comme un outil très efficace pour contraindre son cocontractant de s’exécuter. Elle présente également l’avantage de pouvoir se cumuler avec les autres sanctions de l’inexécution du contrat prévues par le Code civil. Ainsi, si l’inexécution de votre cocontractant persiste, vous pourrez dans un second temps exercer une autre sanction à l’encontre de ce dernier, et en tout état de cause, demander réparation du préjudice qui vous est causé. Les conditions de l’exception d’inexécution étant strictement encadrées, mieux vaut être conseillé en amont par un professionnel pour éviter de perdre le bénéfice de cet outil juridique très efficace pour sortir des situations de blocages contractuelles.

Elsa Haddad, Avocat et Marie Collet, Juriste, Elsa Haddad Avocats www.elsahaddad-avocats.fr

[1Cass. soc. 21 octobre 1954, Bull. civ. IV, n°613.

[2Cass. civ 1ère, 26 mai 1961, Bull. civ. I, n°264.

[3CA Paris, 17 juin 2022, n°19/14411.

[4Cass. civ. 3ème, 1er mars 1995, n°93-13.812.

[5Cass. com., 27 janvier 1970.

[6Cour d’appel d’Orléans, 23 octobre 1975.

[7Cass. com., 15 janvier 1973 ; Cass. com., 1er mars 1992.

[8Cass. com., 5 octobre 1993, n°90-21.146.