Village de la Justice www.village-justice.com

Le risque pénal dans les entreprises. Par Alain Bollé, Avocat.
Parution : mercredi 31 août 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/risque-penal-dans-les-entreprises,43501.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Les entreprises ne doivent pas négliger le risque pénal, les conséquences sont personnelles et peuvent emporter une peine d’emprisonnement. Les risques financier et de non-conformité entrainent des conséquences sur la pérennisation de la société, mais le risque pénal est une mesure individuelle occasionnant indéniablement des conséquences importantes pour l’avenir du dirigeant et de sa famille.

Le risque pénal a toujours été une préoccupation du dirigeant d’entreprise, confronté à une réglementation toujours plus complexe. Sa responsabilité personnelle peut facilement être engagée.

Il a tout intérêt à faire preuve d’une grande rigueur dans la gestion du risque pour son entreprise. En effet, le défaut d’application de la réglementation est susceptible d’entraîner des sanctions pénales, notamment en cas d’abus de biens sociaux, de travail dissimulé, de délit d’entrave, de blanchiment de capitaux, ou encore lors de la mise en danger de la vie d’autrui…

Cependant, le dirigeant n’est pas le seul à prendre ce risque, la responsabilité pénale peut s’étendre aux autres membres physiques de la société, ainsi qu’à la structure elle-même par la mise en jeu de la responsabilité pénale de la personne morale. Depuis la loi du 31 décembre 2005 la responsabilité pénale de la personne morale a été généralisée à toutes les entreprises.
Le dirigeant doit veiller personnellement au strict respect des règles et de la législation en vigueur.
La Cour de cassation a confirmé le principe de sa responsabilité pour les entorses à la réglementation :

« la responsabilité pénale pèse sur le chef d’entreprise auquel il appartient de veiller au respect de la législation ».

Au sein de l’entreprise, le risque pénal est prégnant. Cependant, le dirigeant dispose de moyens lui permettant de s’exonérer de sa responsabilité, complètement ou en partie. Par ailleurs, il peut recourir à des outils de prévention et de détection du risque pénal.

I. Le risque pénal au sein de l’entreprise.

Le dirigeant, personne physique, dirige, gère et représente sa société. Le statut de dirigeant recouvre les organes de gestion (président du conseil d’administration, conseil d’administration, gérants, directeurs généraux, ...). Il peut être le représentant légal d’une entreprise (gérant d’une SARL, président d’une SAS…).
Le chef d’entreprise peut commettre personnellement des infractions, mais sa responsabilité peut également être engagée pour une incrimination commise par l’un de ses employés. En outre, sa société peut être utilisée où servir à commettre des actes criminels.

1.1. Le dirigeant responsable de son propre comportement.

A l’occasion de son activité professionnelle, le dirigeant est susceptible de commettre de nombreuses infractions, abus de biens sociaux, fraude fiscale et sociale, travail dissimulé, corruption, banqueroute… Les exemples ne sont pas exhaustifs. Par ailleurs, l’entreprise peut également être utilisée par des organisations criminelles pour blanchir l’argent obtenu illégalement à travers de structures sociétales.

Préalablement, il est utile de rappeler que la personne morale est juridiquement indépendante de la personne physique, leurs patrimoines étant distincts. Très souvent, notamment dans les petites structures, le dirigeant croit à tort qu’elle lui appartient et qu’il peut disposer des fonds à sa convenance, mais il n’en est rien.

Le comportement du dirigeant est pénalement sanctionnable lorsqu’il agit sciemment dans un but personnel en portant atteinte à l’intérêt de la société. Il peut être poursuivi pour la prise en charge par l’entreprise de ses dépenses personnelles, rémunération de sa femme de ménage, remboursement d’un prêt, d’une prime d’assurance et de l’entretien de son véhicule à usage privé, frais de voyage, rénovation d’un appartement privé, primes d’assurance sur la vie… et notamment lorsque son compte courant associé devient débiteur.
Il est fréquent qu’un dirigeant fasse l’objet de poursuites judiciaires lors de la prise en charge par la société du salaire de son épouse ou d’un tiers en l’absence de contrepartie (emploi fictif).

Le dirigeant peut agir, malgré l’interdiction posée par la loi, après l’ouverture d’une procédure collective, redressement ou de la liquidation judiciaire. Cet état se caractérise lorsqu’une entreprise ne dispose plus d’une trésorerie suffisante pour faire face à ses dettes, on parle alors de cessation de paiements. La constatation est faite par le tribunal de commerce et entraine, selon l’état financier de la société, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire.

Dans ce cas, le dirigeant, qui profite des biens de la société, se rend coupable de banqueroute s’il a, notamment, détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur, frauduleusement augmenté le passif de l’entreprise, tenu une comptabilité fictive ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité. Les éléments de l’infraction de banqueroute sont assez proches de ceux de l’abus de confiance, la qualification de ces infractions dépend de la constatation de la date de cessation de paiement. Le dirigeant peut être tenté, lorsque son entreprise connait des difficultés financières de vendre des actifs de la société.

Une partie de l’activité d’une société peut être soustraite aux obligations fiscales, on parle alors de fraude fiscale . Il suffit que la société ne déclare pas ses revenus au fisc. Certains domaines d’activité favorisent cette incrimination, la restauration, le bâtiment, la formation… En effet, il peut être tentant pour le restaurateur de ne pas déclarer la totalité de sa recette. Ce phénomène est favorisé dans les entreprises gérant des espèces, une partie de la recette peut être dissimulé. Mais, l’utilisation de chèques permet la dissimulation des fonds, il suffit de demander au tireur de ne pas indiquer le nom du bénéficiaire, mention qui étonnamment n’est pas obligatoire.

Corollairement, le travail dissimulé également appelé populairement « travail au noir », ou plus familièrement encore « travail au black », permet de dissimuler toute ou partie du travail ou de l’activité. Les exemples sont nombreux, absence de déclaration préalable à l’embauche, absence de bulletin de paie ou mention sur ce bulletin de faux horaires de travail, dissimulation d’un emploi salarié par recours à de faux travailleurs indépendants, fausse sous-traitance lorsque les sous-traitants sont en réalité subordonnés à l’employeur.
Le dirigeant doit donc impérativement veiller à effectuer toutes ses déclarations auprès des organismes compétents afin d’éviter d’être sanctionné par le juge pour emploi dissimulé.

La corruption a pour finalité, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particulières et pour le corrompu une rétribution en échange de sa complaisance. Les actes de corruption sont connus. Ils peuvent se caractériser par une proposition, une invitation ou même une sollicitation. Entre autres constitue un acte de corruption le fait de proposer d’offrir un cadeau au responsable des achats d’une entreprise cliente pour garantir le renouvellement d’un contrat, d’attribuer un marché en contrepartie de l’embauche d’un proche, une prime extraordinaire par le directeur général d’une entreprise en contrepartie d’un agissement irrégulier de son DRH, l’attribution de nouveaux contrats en échange d’un poste honorifique. Il peut également s’agir d’inviter un cadre pour obtenir des informations stratégiques, un fournisseur pour garantir le renouvellement d’un contrat, ou encore, solliciter une commission en contrepartie de l’attribution d’un contrat ou favoriser l’embauche d’un proche.

Par ailleurs, la société peut être utilisée pour blanchir l’argent sale à l’insu de son dirigeant Le blanchiment consiste à transformer le produit de la criminalité, notamment lors de la prise de participation ou de l’augmentation du capital. Mais, la pénétration de fonds illégaux peut également être réalisée par le paiement de certains clients auprès de commerçants peu regardant sur l’origine des fonds. Le blanchiment de capitaux est la transformation du produit de la criminalité pour lui donner une apparence légale, acquérir des biens dans une société avec de l’argent de la criminalité, puis les revendre pour justifier de la possession des fonds. L’infraction de blanchiment peut être consécutive d’infractions d’abus de biens sociaux, de fraude fiscale…, plus généralement de toute infraction dès lors qu’il y a un mécanisme de transformation. Bien évidemment, le dirigeant peut également participer activement et en toute conscience au blanchiment de capitaux.

Les opérations entrainant des mouvements de capitaux constituent l’essentiel de l’activité quotidienne des sociétés dont le but est de dégager des bénéfices. Le terme « capitaux » est pris dans un sens général et concerne tous les mouvements de fonds. Depuis la loi du 06 décembre 2013, le dirigeant doit être extrêmement prudent. Cette disposition a introduit une présomption de blanchiment dans le code pénal. Cette entrée en vigueur oblige le dirigeant à justifier de la possession légale des fonds.

1.2. Le dirigeant, responsable du comportement de ses salariés.

Les salariés représentent un réel risque pénal pour les sociétés. En effet, 47% des entreprises considèrent que les salariés sont la principale source de risque. Selon le ressenti des dirigeants interrogés les employés seraient à l’origine d’une recherche de la responsabilité du chef d’entreprise. L’activité d’une entreprise présente de nombreuses sources de risque, le dirigeant doit veiller personnellement à une application des prescriptions règlementaires.

S’agissant de l’activité de ses salariés, la responsabilité pénale du dirigeant peut être engagée pour délit de mise en danger d’autrui, pour des manquements graves aux mesures de sécurité ou de prudence même en l’absence de dommage, harcèlement moral et sexuel, infractions à la discrimination, ou encore pour travail dissimulé.
Le dirigeant peut être responsable du fait d’autrui sans être ni l’auteur ni le complice de l’infraction il peut donc être déclaré responsable d’une infraction qu’il n’a pas commise.

Ce point est précisé par la décision de la Cour de cassation :

« la responsabilité pénale peut naitre du fait d’autrui, dans les cas exceptionnels où certaines obligations légales imposent le devoir d’exercer une action directe sur les faits d’un subordonné ».

Les juges retiennent la responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise lors d’infractions commises sans intention. C’est notamment le cas lorsque son préposé, dans le cadre de son travail, commet une imprudence ou une négligence . Le dirigeant est présumé avoir commis une faute relative à son devoir de contrôle. Il appartient au chef d’entreprise de veiller personnellement à la stricte et constante exécution des prescriptions réglementaires. La chambre criminelle de la Cour de cassation a condamné pénalement un dirigeant pour homicide involontaire parce qu’il n’avait pas accompli les diligences normales pour faire respecter les prescriptions qui s’imposaient à la personne morale. La responsabilité pénale de la personne morale a été généralisée pour toutes les infractions commises à partir du 31 décembre 2005. Les infractions intentionnelles commises par des salariés de la société n’engagent pas la responsabilité des dirigeants.

Ce principe, de la responsabilité pénale du dirigeant, parait être en contradiction car la loi prévoit que « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».
Cependant le premier alinéa de l’article 121-3 du Code pénal est complété par deux autres pouvant servir de fondement aux poursuites du dirigeant.
Premièrement, sa responsabilité peut être engagée en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité, s’il n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
C’est également le cas, lorsqu’il crée où contribuer à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qu’il n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter, mais aussi s’il est établi qu’il a, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer.
Les règles de sécurité imposées aux entreprises sont nombreuses. De façon générale, l’employeur doit prendre des mesures pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale des employés. L’outil principale est l’évaluation des risques.
Le chef d’entreprise doit évaluer les risques découlant de l’activité de l’entreprise. Ils sont répertoriés dans un document unique, obligatoire pour toutes les entreprises comptant au moins un salarié. Ce document détermine la démarche de prévention. Il liste et hiérarchise l’ensemble des risques. Il préconise des actions limitant les risques, voire les suppriment. L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation pour la santé et la sécurité des travailleurs. Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.

La forme du document unique répond à des exigences de cohérence, de commodité et de traçabilité. La cohérence est caractérisée par le regroupement des données obtenues de l’analyse des risques, la commodité par le résultat de l’analyse dans un document unique et la traçabilité par la transcription des résultats de l’évaluation des risques.

Il s’agit d’évaluer les risques pour la sécurité et la santé des employés, notamment portant sur :
- Les procédés de fabrication ;
- Les équipements de travail ;
- Les substances ou préparations chimiques ;
- L’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations ;
- La définition des postes de travail.

L’évaluation des risques se traduit dans un document unique. L’inventaire consiste à identifier les dangers, puis à les analyser, notamment s’agissant de leurs conditions d’exposition. L’unité de travail se définit par un poste ou plusieurs types de postes de travail ou par l’activité. Elle peut également couvrir des lieux différents.

L’actualisation du document unique est réalisée au moins une fois par an, en cas de modification organisationnelle ou lors de l’identification d’un nouveau risque. Le document est tenu à la disposition de certaines catégories de personnes. La première catégorie est composée des instances représentatives du personnel, des personnes soumises à un risque pour leur sécurité ou leur santé ou du médecin du travail. La seconde catégorie regroupe l’inspection du travail, les agents des services de prévention des organismes de sécurité sociale et les agents de l’inspection du travail.

II. Des possibilités d’exonération pour le dirigeant.

Le dirigeant peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en la transférant à un collaborateur, il s’agit d’une délégation de pouvoir qui prévient efficacement sa responsabilité. Il faut néanmoins qu’elle soit évoquée le plus tôt possible au cours d’une procédure judiciaire, pour éviter d’être écartée.

Par ailleurs, le dirigeant dispose d’autres outils, notamment la mise en œuvre d’une cartographie des risques pénaux, une formation spécifique et la mise en place d’un mécanisme relatif aux lanceurs d’alerte.

2.1. Un transfert de responsabilité par la délégation de pouvoirs.

Le dirigeant, dans les entreprises importantes, ne peut pas surveiller tous les secteurs d’activité en même temps. Il peut déléguer une partie de ses pouvoirs à des intermédiaires, mais cela implique, pour lui d’en rapporter la preuve.
Si, la délégation de pouvoirs présente un véritable intérêt dans les sociétés de taille importante, elle peut difficilement être invoquée dans les sociétés dans lesquelles le dirigeant à la possibilité de tout contrôler lui-même.
Ce principe a été précisé, par le ministre du travail, en réponse à une question ministérielle le 29 juillet 1985 au sujet d’entreprises artisanales « Elles ne peuvent se prévaloir de la délégation de pouvoirs ».

Le dirigeant fournit tous les outils nécessaires à la réalisation de la mission à son délégataire. Cette délégation se traduit par une indépendance vis-à-vis de l’organisation hiérarchique. Le délégataire devra d’initiative prendre des mesures sans en référer au dirigeant. Cela ne signifie évidemment pas que le dirigeant abandonne ses pouvoirs entre les mains de son délégataire. La délégation reste limitée par son champ d’application et dans le temps.
La délégation est limitée à une partie spécifique des pouvoirs du dirigeant de la société. La même mission ne peut être donnée à des personnes différentes.
La mise en œuvre de la délégation requiert la réunion de plusieurs conditions de validité :
- Elle doit être antérieure à la commission de l’infraction ;
- Elle doit être réelle ;
- Elle doit concerner un domaine précis ;
- Elle requiert l’accord du délégataire, car il doit disposer de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires à l’application de la règlementation.

Le 11 mars 1993 la Cour de cassation a posé les conditions de la mise en œuvre de cette délégation en précisant les moyens propres au délégataire :
1. Le délégataire doit disposer de la compétence nécessaire ;
2. Il doit posséder l’autorité inhérente pour ce poste ;
3. Il doit disposer des moyens nécessaires pour satisfaire à sa mission.

La compétence se mesure par le niveau de savoir et de savoir-faire. Le savoir s’acquiert par la formation qui doit évidemment concernée le domaine délégué. Cette vérification ne pose aucune difficulté si le délégataire est titulaire de diplômes adéquats ou lorsqu’il a suivi une formation interne. En revanche, en l’absence de diplôme ou de formation interne, le chef d’entreprise devra s’assurer de son niveau de connaissance.
Le savoir est insuffisant s’il reste théorique, il doit être accompagné d’une véritable connaissance technique, le savoir-faire. S’agissant d’une délégation relative au risque pénal, le délégataire doit, entre autres, connaitre les mécanismes de sécurité interne (nature des infractions, complicité des salariés) et externe (fraude…).
Le délégataire doit disposer de l’autorité. Il doit être en mesure d’imposer des ordres et les faire respecter. Son positionnement dans l’organisation est déterminant. En matière pénale, l’objet de la délégation de pouvoirs concerne la protection globale de la société, de ses dirigeants et collaborateurs. Le délégataire doit pouvoir prescrire des mesures de sécurité à l’ensemble du personnel de la société et pas seulement à un groupe restreint. Par ailleurs, il ne doit pas se trouver dans une situation l’obligeant à recevoir des prescriptions qui seraient contraires à celles qu’il doit mettre en œuvre, même si ses prescriptions sont validées par la direction de l’établissement.
Le délégataire doit disposer de moyens nécessaires, pour accomplir sa mission, financiers et matériels. Il n’y a pas d’obligation à ce qu’il dispose d’un budget dédié, il peut simplement avoir une autorisation d’engager des dépenses, par exemple pour l’acquisition ou la création de logiciels informatiques ou autre matériel de sécurité. Les moyens matériels s’articulent traditionnellement par une mise à disposition de bureau, de téléphone, d’informatique…
Les conditions inhérentes à l’effectivité de la délégation ont été définies par la Cour de cassation (compétence, autorité, moyen). Mais, la première décision est celle du choix du délégataire. Ce choix constitue une décision importante, non seulement en raison de ses conditions intrinsèques, mais également parce que le dirigeant doit avoir toute confiance dans le délégataire, qui doit posséder de véritables qualités personnelles en matière d’éthique, d’adhésion à la politique de la société et de pédagogie.
La délégation de pouvoirs, véritable transfert d’une partie des prérogatives du dirigeant, peut être source de contentieux, notamment pour déterminer les niveaux de responsabilité, par exemple lors d’un accident du travail. La preuve de cette délégation doit se concrétiser par un écrit, qui doit être sans ambiguïté et précis.
Le dirigeant de la société, lors de la rédaction de la délégation de pouvoir, doit avoir à l’esprit son éventuel examen par le juge répressif. Il convient d’anticiper le risque pénal, pour cela une bonne connaissance de la matière est indispensable. Ces conditions excluent d’emblée une rédaction à partir d’un modèle obtenu sur un site Internet ou par d’autres moyens. Il faut prendre en compte l’évolution de la législation et de la jurisprudence en vigueur. Dès lors, cette tâche devra être réalisée avec le concours d’un juriste.
Le délégataire doit accepter cette mission, il endosse le risque pénal. Ce consentement éclairé lui permet d’accepter les risques encourus en pleine connaissance. Il peut ainsi être tenu pour responsable, notamment lorsque les faits sont consécutifs d’une absence de moyens mis à sa disposition mais qu’il n’a pas utilisé en matière de sécurité. Il encourt également une responsabilité pénale, notamment lors de la fourniture d’instructions. En effet, celle-ci peut contribuer à la commission d’une infraction pouvant entraîner sa responsabilité. Il est prudent pour le dirigeant d’entreprise de formaliser le consentement dans la convention de la délégation de pouvoirs.

La délégation, outil de transmission des pouvoirs et de responsabilisation, ne signifie pas que le dirigeant abandonne ses prérogatives entre les mains de son délégataire. Il doit mettre en œuvre des mesures de contrôle, pour d’une part vérifier l’efficacité du dispositif et d’autre part s’assurer que le délégataire agit dans le cadre strict de son mandat.

2.2. Les autres moyens de réduire le risque pénal.

L’efficacité du dispositif repose aussi sur la réalisation d’une cartographie des risques pénaux, des actions de formation et un contrôle de l’efficacité des mesures, puis la mise en œuvre d’une procédure de remontée de l’information.
Afin de prévenir le risque pénal, encore faut-il le circonscrire. L’efficacité du dispositif de prévention se traduit par l’élaboration d’une cartographie du risque pénal. La cartographie des risques se conçoit comme l’identification et la description d’une manière objective et structurée des risques existants. Elle expose les différentes caractéristiques des risques. Il convient de connaitre les évènements susceptibles de se produire, en matière de fraude interne ou externe, puis s’interroger sur la probabilité de la survenance de cet évènement pour en déterminer les conséquences. L’objectif de cette analyse est de réagir à l’évènement, c’est-à-dire de le prendre en compte.

En pratique, la cartographie du risque pénal suit traditionnellement les étapes suivantes :
- Identifier les secteurs d’activité et les salariés exposés ;
- Évaluer les risques de sanctions (pénaux ou d’atteinte à l’image) ;
- Hiérarchiser les risques ;
- Définir les actions à mettre en œuvre de prévention et de détection ;
- Réaliser des contrôles.

La cartographie des risques ne doit pas seulement être le résultat d’une démarche intellectuelle, mais, servir de base d’analyse pour sensibiliser et obtenir l’adhésion du management et des collaborateurs de l’entreprise. Elle se traduit par la mise en place de codes de conduite, codes de déontologie, codes d’éthique, permettant à tous les niveaux de sensibiliser l’ensemble du personnel sur le risque pénal qui peut impacter non seulement le dirigeant, mais également les collaborateurs de l’entreprise. La mise en place de différents documents pour une bonne application doit évidemment être bien expliquée à l’ensemble du personnel, ce qui implique d’en vérifier la bonne compréhension.

L’application des différentes mesures de prévention du risque pénal doit se traduit par la mise en place de formation . Elle doit permettre d’appréhender l’ampleur du risque pénal pour les personnes morales et les personnes physiques, d’expliquer la politique de prévention et former les différents collaborateurs aux comportements à adopter lors de la mise en cause pénale, notamment lors des réquisitions, auditions, perquisitions…

Il convient également de définir la notion du risque pénal, notamment par une présentation des incriminations et des sources légales et réglementaires pouvant concerner l’entreprise. Puis, d’aborder les obligations de sécurité du dirigeant en matière de droit pénal du travail, notamment la spécificité des délits non intentionnels. La formation se poursuivra par la présentation des personnes chargées du contrôle et du déclenchement des poursuites pour terminer sur les conséquences d’une mise en cause et de la diversité des sanctions.

La mise en œuvre de ces outils, cartographie du risque pénal, formation des collaborateurs est inutile sans un système de remontée d’informations, lorsque la société, le dirigeant ou les collaborateurs sont les victimes. En effet, pour réagir efficacement, le dirigeant doit être informé des évènements, notamment criminogènes, qui prospèrent dans la société.

Il ne s’agit évidemment pas de mettre en place un système de délation qui aurait peu de chance de fonctionner en raison d’un rejet par les employés. Mais, sans information le dirigeant, outre la saisine de la justice, ne pourra pas mettre en œuvre des mesures de protection. Il suffit d’appliquer le mécanisme prévu pour les lanceurs d’alerte, l’objectif restant la protection des salariés et de l’entreprise.

Le lanceur d’alerte désigne une personne ou un groupe de personnes estimant avoir découvert des éléments considérés comme menaçants pour la société et qui de manière désintéressée décide de les porter à la connaissance du dirigeant.

La Commission nationale de l’informatique et des libertés propose, par un accès sur son site, une autorisation unique AU-004 d’alertes professionnelles permettant aux employés de signaler des problèmes fondés sur une obligation légale ou un intérêt légitime. L’émetteur de l’alerte, sous certaines conditions, gravité des faits, examen préalable nécessaire, peut rester anonyme.

En l’absence de précision, plusieurs possibilités s’offrent au dirigeant de l’entreprise pour faire remonter les informations. Il peut mettre en place un site Intranet, un formulaire spécifique…

Les entreprises ne doivent pas négliger le risque pénal, les conséquences sont personnelles et peuvent emporter une peine d’emprisonnement. Le risque financier et de non-conformité entrainent des conséquences sur la pérennisation de la société, mais le risque pénal est une mesure individuelle occasionnant indéniablement des conséquences importantes pour l’avenir du dirigeant et de sa famille.

La prévention de ce risque passe par une mise en œuvre de mesures adaptées.

Il n’y a pas à opposer les intérêts de la société, des dirigeants et ceux des employés, l’implication des uns entraînera immanquablement des conséquences sur les autres.

Alain Bollé, avocat spécialiste en droit, Barreau du Val d’Oise, Membre fondateur du cercle K2.