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Dire le droit et être compris : quand les magistrats belges se saisissent de la question.
Parution : vendredi 18 août 2023
Adresse de l'article original :
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Il y a déjà plus de 20 ans que les magistrats belges se sont saisis de la problématique du langage judiciaire, complexe pour ne pas dire abscons aux yeux de beaucoup de justiciables. L’Association Syndicale des Magistrats (un des deux syndicats de magistrats belges) a formalisé ses réflexions dans un ouvrage très pédagogique, et dont la lecture ne leur est pas réservée...
Dans la préface du livre Paul Martens (Président émérite de la Cour constitutionnelle belge) indique que pour les "esprits attachés aux formules du passé" (et il confesse faire un peu partie de cette catégorie), "il faudra [qu’ils] rengainent leur nostalgie et inventent des compromis entre leur goût des belles phrases et leur devoir d’être lisibles".
Jean-François Funck, un des magistrats qui a initié ce projet, présente les origines de l’ouvrage au Village de la Justice.

Jean-François Funck

Jean-François Funck est Juge au tribunal de l’application des peines de Bruxelles. Ancien président de l’Association syndicale des magistrats, il a initié ce projet qui remonte à l’année 2000, et qui s’inscrit dans le prolongement de l’affaire Dutroux et des bouleversements qu’elle a engendrés dans le monde judiciaire belge, et notamment la nécessité de rendre la Justice plus compréhensible.

Il nous explique : « Le groupe de travail était composé d’avocats, d’huissiers, de magistrats et d’un linguiste.
L’idée : rendre plus compréhensible le langage judiciaire. Et rendre compréhensible, cela peut se faire de deux manières :
- expliquer le vocabulaire, et donc il faudra un effort de citoyen ;
- ou l’inverse : que les magistrats fassent l’effort pour être plus compréhensibles. Tel a été notre choix.

« Nous avions l’habitude d’utiliser des formules compliquées, absolument pas dans le langage courant... »

Ce dont nous nous sommes rendus compte en travaillant sur ce projet c’est que nous avions l’habitude d’utiliser des formules compliquées, absolument pas dans le langage courant. Nous "faisions du Proust" finalement !
Donc le premier effort, possible, c’est simplement d’utiliser des mots de la langue courante, sans appauvrir pour autant le langage juridique.
Notre méthodologie a consisté à lire les décisions judiciaires, phrase après phrase, et à les réécrire de façon simplifiée... »

Le résultat, le voici traduit dans l’ouvrage intitulé :

"Dire le droit et être compris. Comment rendre le langage judiciaire plus accessible. Guide pour la rédaction des actes judiciaires. "

Et c’est un réel beau travail que l’association syndicale des magistrats présente à travers cet ouvrage.

Si la seconde partie s’attèle à décortiquer les actes judiciaires en eux-mêmes (en matière civile et pénale) [1], la première partie, plus généraliste, donne quant à elle une ligne de conduite et de nombreux exemples de formulations, de termes et de tournures de phrases à éviter, ainsi que des solutions pour les remplacer.

Il est important de préciser qu’il est tout à fait possible que vous soyez amusés à plusieurs reprises par les exemples de phrases soulevés, tant il vous sautera aux yeux, ainsi mis en exergue, que ces phrases sont à la fois peu compréhensibles et parfois risibles... mais que vous les avez sans doute déjà utilisées !

A souligner d’ailleurs : cet ouvrage, destiné initialement aux magistrats, ne leur est pas pour autant réservé. Il intéressera tous ceux qui souhaitent professionnellement se faire entendre et comprendre du plus grand nombre, et qui accepteront de réserver les tournures de phrases plus littéraires à d’autres écrits...

A titre d’exemples : la syntaxe étrangère au français courant...

...et le casse-pipe de la double négation :

A lire aussi : le témoignage de Stéphane Wegner, magistrat (Vice-président du Tribunal administratif de Grenoble) et Anne Vervier, linguiste, Experte en communication écrite et en langage clair, qui ont relevé le défi : expliquer en quoi consiste le langage juridique clair, énumérer ses bénéfices et surtout démontrer, par l’exemple, comment (ré) écrire une décision de Justice en langage clair pour ses destinataires : les justiciables.
L’article (dont le titre est directement inspiré de l’ouvrage ici évoqué) est à lire .

Et dans le même ordre d’idée : Du côté de la France, un lexique administratif édité par le Ministère de la fonction publique et de la réforme de l’État à retrouver ici. Il présente les termes les plus souvent utilisés par l’Administration et propose des mots et expressions pour les remplacer.

Informations techniques :
Titre : Dire le droit et être compris. Comment rendre le langage judiciaire plus accessible. Guide pour la rédaction des actes judiciaires.
Auteur : Association syndicale des magistrats
Éditeur : Bruylant et Anthémis.
ISBN : 978-2-8072-0336-5
Prix : 41 euros
Nombre de pages : 156
Parution : 15/12/2017

Par Nathalie Hantz Rédaction du Village de la Justice

[1A noter : la dernière édition a refondu les deux éditions précédentes, qui distinguaient procédure civile (1ère édition) et procédure pénale (2ème édition).