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L’article L3121-10 du Code du Travail français, contre le droit européen ? Par Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat.
Parution : lundi 5 septembre 2022
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La distinction entre le temps de travail et la période de repos a une importance fondamentale dans domaine du droit européen. En France, il y a deux concepts existants : la garde et l’astreinte. La Cour de Justice de l’union européenne (CJUE) a récemment dicté des arrêts qui permettent d’éclaircir ce qui doit être compris par temps de travail et période de repos. La question qui nous est posée est la suivante : l’article L3121-10 CT, lequel limite le calcul de la période de temps de travail, est-il contraire à la jurisprudence européenne et à la directive ?

Une distinction fondamentale qui existe en France est celle qui permet de différencier la garde et l’astreinte. Selon si la garde est développée sur le lieu du travail ou sur un autre lieu différent, on va trouver des différences importantes entre ces deux concepts et une importante frontière du droit français entre le temps de travail et la période de repos.

La garde, qu’est-ce que c’est ? Tout en prenant en considération l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 juin 2011, 09-70.324, on peut définir la garde comme la période correspondante à la

« permanence des soins assurée en continuité par les médecins de l’établissement contraints de demeurer sur place ou de se tenir dans un local de garde prévu à cet effet afin de rester pendant toute la durée de leur garde à la disposition immédiate de l’employeur sur leur lieu de travail ».

En conclusion, pour qu’une période soit qualifiée comme garde en France, il faut que le salarié se trouve dans le lieu du travail pour rester là durant toute ladite période.

La période d’astreinte est définie dans l’article L3121-9 CT :

« Une période d’astreinte s’entend comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l’employeur, doit être en mesure d’intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise ».

En principe, la période d’astreinte permet au travailleur de se vaquer librement à des activités personnelles, à condition d’être joignable à tout moment.

La qualification d’une période comme d’astreinte suppose donc que deux éléments soient présents :
- L’élément spatial, selon lequel le salarié n’est pas sur son lieu de travail,
- L’élément de la disponibilité. Le salarié doit être en mesure et disponible pour intervenir pour accomplir un travail au service de l’entreprise sans que cette disposition soit permanente et immédiate. En théorie, le salarié est libre de se dédier à ses propres intérêts sauf s’il reçoit un appel de l’entreprise en demandant sa prestation de services.

Tout en suivant l’article L3121-10 CT, en principe, il y a deux situations pendant la période d’astreinte :
- Si le salarié doit intervenir, le temps de cette intervention est considérée comme temps du travail effectif ;
- Au contraire, si le salarié n’intervient et simplement, il doit être joignable, ce temps n’est pas considéré comme travail effectif.

Quel est le problème de l’article L3121-10 CT  ? Qu’il y a une potentielle non-conformité dudit article avec la directive 2003/88/CE. Ladite potentielle non-conformité aura des conséquences pour les salariés. La formulation actuelle de l’article L3121-10 CT (« exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien prévue à l’article L3131-1 et des durées de repos hebdomadaire prévues aux articles L3132-2 et L3164-2 »), laquelle qualifie toute période d’astreinte comme temps du repos (à l’exception des durées d’intervention effectives), peut être contraire au droit européen. La loi française ne permet pas une appréciation des circonstances et contraintes imposées au salarié pendant la période d’astreinte.

Il faut que le CT français soit modifié tout en prenant en compte les derniers arrêts de la CJUE (Voir l’article Période de garde sous régime d’astreinte selon la CJUE : temps de travail ou période de repos  ?). Comme nous avons vu dans les arrêts de la Cour luxembourgeoise, il y a plusieurs notes caractéristiques de chaque période de garde sous régime d’astreinte et elles peuvent déterminer que ce temps soit qualifié bien temps du travail bien période de repos. L’arrêt CJUE du 9 mars 2021 est la preuve de la non-conformité plus que probable de la loi française avec la directive européenne.

En conclusion, si un salarié français réalise une période de garde sous régime d’astreinte, s’il est obligé à intervenir plusieurs fois, et s’il veut que toute la période d’astreinte soit qualifiée comme temps du travail, il pourrait trouver des difficultés dans les tribunaux.

Il n’y a aucun doute que la jurisprudence de la CJUE lie les juridictions françaises.

Bien sûr, il y aura un changement des résolutions judiciaires motivé par l’arrêt précédemment cité, et la rédaction actuelle du CT français devra être révisée.

Luis Fernando Paillet Alamo, Elève-Avocat