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[Mali] Réflexion sur le pluralisme juridique en matière de succession. Par Solomane Coulibaly, Étudiant.
Parution : mercredi 7 septembre 2022
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Une analyse descriptive du pluralisme juridique malien en matière de succession au Mali.
Cet article traite des règles de droit commun des successions et, soulève la problématique liée à l’incompatibilité des pratiques identitaires, retenues par le législateur, avec les exigences de l’État de droit.

L’organisation de toute société nécessite qu’elle soit soumise à un ensemble de règles juridiques en vigueur à un moment donné, quel que soit la source de celles-ci, que l’on appelle droit positif. En matière de successions au Mali, le droit positif se conçoit à l’aune de plusieurs exigences d’ordre culturel, hormis la vocation principale de l’édification d’une règle légale. Dans un tel contexte, par le biais des règles supplétives, le choix d’un pluralisme juridique s’est fortement dessiné dans le paysage juridique successoral malien.

Par pluralisme juridique [1], il faut entendre par là l’existence de plusieurs régimes juridiques pour régir une matière donnée, c’est-à-dire une même situation donnée. En matière successorale, le pluralisme juridique est une méthode qui consiste à mettre en parallèle plusieurs systèmes juridiques différents pour résoudre un même problème [2].
Pour ce qui est la succession, elle revêt deux sens : « Dans un premier sens, la succession se définit comme la transmission des biens d’une personne décédée ; dans un second sens, le patrimoine transmis » [3]. Le premier sens guidera notre réflexion.
Ainsi, le pluralisme juridique en matière de succession au Mali s’analyse comme l’ensemble des règles en vigueur pour résoudre la transmission des biens d’une personne décédée.

Un nombre foisonnant de règles aussi bien juridiques stricto sensu que celles relevant d’autres domaines sensibles de la société malienne constituent le pluralisme juridique en matière successoral malien. À l’instar de ces règles, la dévolution successorale peut également être soumise à des règles découlant de la volonté manifestée par le défunt avant sa mort, c’est-à-dire le testament [4] (succession intestat), mais qui ne doit pas être confondue avec la catégorie de statut successoral autonome [5] de volonté exprimée autrement, consacrée par le législateur, qui fait également partie du pluralisme juridique. Pour notre part, dans le cadre de cette étude, nous ne nous intéresserons qu’à la dévolution successorale légale (succession ab intestat), c’est-à-dire l’absence de testament.

De l’interprétation de l’article 751 du code des personnes et de la famille, certains auteurs considèrent que le législateur retient quatre régimes successoraux [6] composant le pluralisme juridique. De toutes les façons, en s’inscrivant dans une telle démarche, le législateur malien a ouvert une brèche en laissant permettre l’option pour les sujets de choisir des règles qui sont aux antipodes des principes fondamentaux de l’État de droit.

En effet, historiquement, l’adoption de la loi n°2011-087 du 30 décembre 2011 portant code des personnes et de la famille en République du Mali, qui institue le pluralisme juridique en son sein, a été la plus controversée, en ce qu’elle a suscité des hostilités d’une franche partie de la population en raison de la sensibilité de la matière. Alors même que, d’une part, depuis l’indépendance, le Mali ne s’était doté d’aucune législation qui puisse régir la succession, quand bien même il y a eu plusieurs tentatives sans issue pour les mêmes causes, et de l’autre, l’idée directrice dans laquelle le législateur s’était immergé consistait à mettre sur pied un ensemble cohérent de règles uniformes pour régir le droit des successions.

Compte tenu de l’impératif qui était d’adopter cette loi afin de venir à bout de ce vide juridique [7], le législateur a cédé le pas devant les farouches oppositions des couches sociales, puis qu’il était pris dans l’étau, en consacrant les différentes pratiques identitaires pour régir la succession, aux moyens des règles interprétatives dans son arsenal juridique qui, lorsque les conditions sont réunies, sont susceptibles de s’appliquer.
Ce qui ne demeure pas sans difficultés, en raison du caractère antinomique de ces pratiques identitaires aux exigences de l’État de droit, notamment l’égalité des successibles qui n’est pas respectée par ces diverses pratiques identitaires au Mali. D’où le syncrétisme des sources du droit de la succession, qui ne manque pas de créer des « conflits normatifs » [8]. Contrairement à ses homologues sénégalais [9] et Togolais [10] qui ont opté pour une approche peu diffuse et moins confuse des régimes successoraux dans leur législation.

En considération de ce qui précède, interrogeons nous sur cette question : En quoi consiste le pluralisme juridique en matière de succession au Mali ?

Le pluralisme juridique successoral malien consiste, au regard de l’article 751 du code des personnes et de la famille [11], en l’étude de la dévolution successoral de droit commun (I) d’une part, et de l’autre, en l’étude de la dévolution successorale relatives aux pratiques identitaires (II).

I. La dévolution successorale de droit commun.

L’application de la dévolution successorale de droit commun nécessite des conditions (A), dont le respect aboutit aux effets qui en découlent (B).

A. Les conditions d’application de la dévolution successorale de droit commun.

Il faut ici mettre en évidence, de prime abord, le caractère subsidiaire des règles de droit commun, ensuite les conditions préalables pour succéder, pour enfin appesantir sur le droit d’option des successibles.

L’article 751, en son alinéa 2, du code des personnes et de la famille en République du Mali, pose le caractère subsidiaire de l’application du droit commun des successions, en ce qu’il n’admet le recours à celui-ci qu’en l’absence de religion ou de coutume établie par écrit, par témoignage, par le vécu ou par la commune renommée, ou encore en l’absence de volonté manifestée autrement par le défunt.

Concernant les conditions préalables, elles sont relatives à l’ouverture des successions et aux qualités pour succéder.

D’une part, l’ouverture des successions est subordonnée à la fin de la personnalité juridique.
Celle-ci prend fin par le décès [12], à la suite de laquelle est établi un acte de décès qui permet de procéder au jugement d’hérédité. La date de l’ouverture de la succession correspond à celle du décès ou du jugement déclaratif du décès en cas d’absence ou de disparition. C’est cette date qui permet de déterminer la loi applicable, et c’est également à partir de cette date que l’indivision successorale est constituée. Le lieu de l’ouverture de la succession est celui du dernier domicile du défunt [13].

D’autre part, certaines qualités sont requises pour succéder. Premièrement, il faut exister au jour de la succession, ou du moins être conçu, vivant et viable ; deuxièmement, il ne faut pas être indigne, c’est-à-dire l’absence de causes d’indignité successorale [14]. Celles-ci sont prévues par le législateur. Si certaines sont de plein droit, d’autres sont facultatives [15]. En tout état de cause, l’indignité successorale est personnelle.

Concernant le droit d’option des successibles, c’est la faculté reconnue à l’éventuel successible d’accepter ou de renoncer à la succession qui lui est échue.

D’une part, l’acceptation de la succession est assortie de deux modalités prévues par la loi. Il peut s’agir de l’acceptation pure et simple, qui est définitive et irrévocable, ou de l’acceptation sous bénéfice d’inventaire ou en concurrence de l’actif net. Cette dernière modalité d’acceptation est subordonnée à des conditions déterminées [16].

D’autre part, la renonciation à la succession est le fait pour un héritier de répudier ce qui lui revient. Elle est subordonnée à la condition d’être déclarée au greffe du tribunal civil du lieu d’ouverture de la succession, sur un registre spécialement ténu à cet effet. Contrairement à l’acceptation pure et simple, la renonciation est révocable tant que la prescription n’est pas acquise et tant que la succession n’a pas été acceptée par d’autres héritiers. Elle ne peut que prendre la forme expresse. La renonciation est rétroactive, en ce sens que l’héritier est censé n’avoir jamais existé. Toutefois, les créanciers de l’héritier qui renonce à sa succession qui en subissent un préjudice peuvent obtenir du juge l’annulation jusqu’à concurrence de leurs droits.

Le respect des conditions d’application du droit commun des successions laisse place aux conséquences susceptibles d’en résulter.

B. Les effets de la dévolution successorale de droit commun.

Il sera question d’étudier ici la détermination des héritiers, la transmission du patrimoine, avant de mettre le cap sur l’indivision successorale.
Concernant la détermination des héritiers, il faut distinguer les droits des parents en l’absence de conjoint survivant de la situation du conjoint survivant d’un côté et de l’autre, il faudra s’intéresser à la transmission de la succession aux héritiers.

D’une part, sur la question des parents en l’absence de conjoint survivant, elle répond à deux (2) préoccupations suivantes : l’établissement de l’ordre public successoral [17] et les règles d’organisation des héritiers [18]. S’agissant de la question de la situation du conjoint survivant, elle est afférente aux droits de celui-ci et à l’extension de ces droits.
En effet, le conjoint survivant bénéficie des droits à des conditions suivantes : être vivant, être non divorcé, ne pas être dans une situation de séparation de corps constatée par un jugement passé en force de chose jugée. Par ailleurs, le conjoint survivant peut être appelé seul ou en concours avec les parents du défunt.
Ces droits sont étendus par le législateur par la reconnaissance au conjoint survivant le droit d’occupation sur l’immeuble qui lui servait d’habitation, de manière strictement personnelle et qui cesse par le décès ou le remariage ; la preuve de cette habitation de l’immeuble devant être apportée. L’extension de ces droits est également relative à la possibilité pour le conjoint survivant de convertir ses droits d’usufruit en rente viagère.
D’autre part, la transmission de la succession aux héritiers. Elle s’opère en principe immédiatement, dès le décès du de cujus où les héritiers de celui-ci deviennent propriétaires de ses biens et créanciers de ses débiteurs, sauf exception [19].

Concernant l’indivision successorale, ce sont les règles relatives à l’indivision qui s’appliquent à la succession à compter du décès du défunt jusqu’au partage de la succession.

D’une part, elle est précaire, en ce que les héritiers, à l’instar des créanciers, peuvent à tout moment provoquer le partage, à moins qu’il y ait la technique de l’attribution éliminatoire consistant à racheter la part de l’indivisaire souhaitant quitter l’indivision.

D’autre part, la sortie de l’indivision successorale, qui s’opère par le partage, en amont duquel existe la liquidation qui a pour objet de déterminer et de reconnaître les droits des héritiers et légataires, en même temps que leurs obligations.

Par la consécration du pluralisme juridique, on se rend compte que le législateur a légalisé un certain nombre de pratiques identitaires, liées à la diversité culturelle, comme mode de dévolution successorale.

II. La dévolution successorale relative aux pratiques identitaires.

Les pratiques identitaires se particularisent par l’inégalité des successibles. Sous cette réserve, il faut étudier les règles relatives à la religion (A). À côté de celle-ci, le législateur prévoit également comme modalité de dévolution successorale les pratiques coutumières (B).

A. La dévolution successorale selon les règles religieuses.

Les règles religieuses de dévolution successorale sont afférentes à la succession musulmane. Celle-ci est régie par des prescriptions coraniques et de la sainte sunna. Il convient de noter que pour les maliens de confession chrétienne, il semblerait que le droit commun des successions, étudié ci-dessus, leur soit applicable [20].

Les conditions d’ouverture de cette modalité de dévolution successorale sont identiques à celles du droit commun [21], mais les conditions de détermination de la qualité des héritiers et de leurs droits diffèrent. Au regard de l’article 571 du code des personnes et de la famille en République du Mali (CPF), les règles religieuses s’imposent au successible dès l’instant où sa religion est déterminée, sous réserve qu’elle soit établie par écrit, par témoignage, par le vécu ou la commune renommée.

Au sujet du droit du conjoint survivant, les règles religieuses permettent à ce que les époux puissent hériter l’un de l’autre, ou des uns des autres si polygamie il y a.

Compte ténu des pratiques coutumières, dont l’existence remonte depuis l’ère d’avant colonisation, et de leur caractère sensible en matière de succession, le législateur les a consacré. En cela, elles contribuent, au même titre que les autres modalités, à la dévolution successorale.

B. La dévolution successorale selon les règles coutumières.

La coutume des parties renvoie aux us locaux et diffère selon les ethnies. Il s’agit du droit coutumier [22].

Les conditions de son application sont les mêmes que celles des règles religieuses. Tout comme celles-ci, le choix de la coutume, comme mode de dévolution successorale, s’impose dès l’instant où le successible est d’une coutume déterminée, sans exclure qu’il faut qu’elle soit établie par écrit, par témoignage, par le vécu ou par la commune renommée.

Contrairement aux règles religieuses, la coutume des parties adopte une conception particulière du droit du conjoint survivant où l’homme n’hérite pas de sa femme décédée, selon les ethnies, et quant à celle-ci, c’est-à-dire la femme, elle est considérée comme un élément du patrimoine de son mari.

À l’instar des règles religieuses, l’effectivité de l’application des pratiques coutumières est subordonnée à la procédure du système de renvoi législatif. Ce qui leur confère une valeur législative.

Solomane Coulibaly, Étudiant, en droit privé, à l'université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB).

[1L’article 751 de la loi N°2011-087 du 30 décembre 2011 est le fondement juridique du pluralisme juridique au Mali.

[2Mamadou Bakaye Dembélé, « L’échec d’une construction légale du droit des successions au Mali, l’Harmattan, Paris, 2021, p.19 »

[3Serge Guinchard, Thierry Debard, « Lexique des termes juridiques, Dalloz, 25ème édition, Paris, 2022-2023, p.1037 »

[4L’article 947 de la loi N°2011-087 du 30 décembre 2011 portant code des personnes et de la famille en République du Mali.

[5La volonté manifestée autrement comme statut successoral autonome est une expression utilisée par Mamadou Bakaye Dembélé « L’échec d’une construction légale du droit des successions, l’Harmattan, Paris, 2021, p.43 » V. aussi K. El Chazli, « la preuve de la qualité d’héritier et la vocation successorale de l’enfant naturel, état au 09.05.2017, E-Avis ISDC 2018-02, p.6 » qui soutient que cette volonté serait la possibilité reconnue à chaque malien de pouvoir opter pour un mode de dévolution autre que ceux prévus par le code lorsque la personne n’a ni religion ni coutume.

[6K. El Chazli, « La preuve de la qualité d’héritier et la vocation successorale de l’enfant naturel, état au 09.05.2017, E-Avis ISDC 2018-02, p.5 » V. aussi Mamadou Bakaye Dembélé, « Réflexion sur le droit malien des successions, p.69 »

[7Frédéric Rouvière, dans son ouvrage « le droit civil, Que sais-je, 2019, Paris, p.75 » souligne que le vide juridique ou la lacune n’existe pas en droit à proprement parlé, puis que les règles du droit civil permettent toujours de trouver une solution. Il poursuit en mettant en exergue que le fait de pointer des lacunes relève d’une évaluation des textes.

[8Mamadou Bakaye Dembélé, « L’échec d’une construction légale du droit des successions au Mali, l’Harmattan, Paris, 2021, p.71 ».

[9Le code de famille du Sénégal prevoit deux modalités de dévolution successorale : le droit commun et le droit religieux.

[10Le code de famille Togolais prévoit le droit coutumier et les règles qu’il établie en son sein, en son article 404.

[11Article 751 du code des personnes et de la famille dispose que « L’héritage est dévolu selon les règles du droit religieux, coutumier ou selon les dispositions du présent livre.
Les dispositions du présent livre s’appliquent à toute personne :
- dont la religion ou la coutume n’est pas établie par écrit, par témoignage, par le vécu ou par la commune renommée ;
- qui, de son vivant, n’a pas manifesté par écrit ou par devant témoins sa volonté de voir son héritage dévolu autrement ;
- qui, de son vivant n’a pas disposé par testament de tout ou partie de ses biens, sauf la mesure compatible avec la réserve héréditaire et les droits du conjoint survivant.
Nul ne peut déroger aux règles du mode de dévolution successorale retenu
 ».

[12En droit, deux types de décès se distinguent : Le décès réel et le décès judiciairement déclaré à la suite de l’absence ou la disparition.

[13Article 752 du code des personnes et de la famille.

[14Déchéance frappant un héritier coupable d’une faute grave prévue limitativement par la loi, « Serge Guinchard, Thierry Debard, « Lexique des termes juridiques, Dalloz, 25ème édition, Paris, 2022-2023, p.581 ».

[15L’indignité successorale peut être de droit (art.763 CPF) ou facultative (art.764 CPF). Une exception à ces deux articles est prévue par l’article 766 du code des personnes et de la famille.

[16Les conditions sont une déclaration au greffe du tribunal ; un inventaire fidèle et exact des biens de la succession, dans un délai de 3 mois à compter de la date de l’ouverture de la succession (Art.826 et 828 du CPF). Les effets sont déterminés par l’article 835 du CPF.

[17L’ordre public successoral est l’ensemble des règles insusceptibles d’être dérogées, comportant des règles impératives des grands principes du droit successoral, notamment l’égalité successorale, la protection de certaines catégories de personnes.

[18Ce sont des règles relatives à la détermination des successibles en ordre et en degré (Art.769 CPF).

[19L’article 756 du CPF « Les parents et les conjoints survivants sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt, sous l’obligation d’acquitter toutes les charges de la succession. A leur défaut les biens passent à l’Etat ».

[20K. El Chazli, « La preuve de la qualité d’héritier et la vocation successorale de l’enfant naturel, état au 09.05.2017, E-Avis ISDC 2018-02, p.5 ».

[21Cela, car il faut la fin de la personnalité juridique, être vivant au jour de l’ouverture de la succession.

[22La cour suprême du Mali a assimilé, par le passé, la coutume à la religion. Notamment dans l’arrêt n°226 du 18 novembre 2002 où il a été jugé que « La notion de coutume des parties s’entend plutôt de savoir si les parties sont de tradition musulmane, chrétienne, etc., et non les coutumes particulières d’une religion, d’une race, fraction, tribu ou famille ».