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Droit brésilien des sociétés : fin de l’obligation de résidence des dirigeants. Par Mickael Viglino, Avocat.
Parution : vendredi 9 septembre 2022
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Le législateur brésilien met fin à l’obligation pour les dirigeants de sociétés brésiliennes d’être domiciliés au Brésil et ouvre de nouvelles perspectives aux entrepreneurs et investisseurs étrangers.

Le Brésil attire les investisseurs étrangers avec ses ressources naturelles, son marché interne et ses taux d’intérêts élevés, mais les rebute souvent par son protectionnisme et ses obstacles administratifs.

Un processus de simplification et de rationalisation du droit des affaires est cependant à l’œuvre depuis quelques années, dans l’objectif de renouer avec la croissance économique et d’accéder au statut de membre de l’OCDE. Cette tendance s’est accélérée pendant la pandémie de Covid-19 et va de paire avec une rapide digitalisation des formalités administratives. Les entreprises - et les entrepreneurs étrangers - en sont les principales bénéficiaires.

Faciliter l’ouverture de sociétés au Brésil.

Parmi ces initiatives, la Loi n° 14.195, du 26 août 2021 s’attelle - entre autres - à la facilitation de l’ouverture de sociétés, à la protection des actionnaires minoritaires, à la facilitation du commerce extérieur, au Système intégré de récupération des actifs (Sira), et à la ‘débureaucratisation’ des actes sociaux. Cette loi modifie de nombreux textes, y compris le Code Civil et la Loi sur les Sociétés par Actions (Loi nº 6.404/76).

Parmi ses nombreux dispositifs, le Chapitre III de ladite loi, relatif à la protection des actionnaires minoritaires, modifie l’article 146 de la Loi sur les Sociétés par Actions afin de mettre un terme à l’obligation faite aux dirigeants de sociétés d’être résidents brésiliens.

Gouvernance de la société anonyme brésilienne.

Les statuts de la société anonyme peuvent prévoir une administration moniste - assurée par un comité de direction (Diretoria) élu par les actionnaires - ou bicéphale - les actionnaires élisent un conseil d’administration (Conselho de Administração), organe de délibération collégiale, qui lui-même élit un comité de direction. Dans les deux cas, seul le comité de direction représente la société et assure la direction exécutive.

Jusqu’à la réforme de 2021, la Loi sur les Sociétés par Actions disposait que seules les personnes physiques pouvaient être élues membres des organes d’administration et que les directeurs devaient être résidents brésiliens (art. 146).

Cette exigence supplémentaire concernant les membres du comité de direction tient au fait qu’eux seuls sont chargés de la direction exécutive et de la représentation de la société. Or, traditionnellement, le droit brésilien détermine la nationalité de la société à partir du centre effectif de commandement et non pas uniquement de son siège social, lequel pouvant se limiter à une boîte postale.

Dans ce contexte, les investisseurs étrangers devaient souvent opter pour une gouvernance bicéphale : un conseil d’administration composé de personnes de confiance (salariés ou mandataires de la société mère, fondateurs, ou l’entrepreneur lui-même), chargé de superviser la gestion du comité de direction (composé de personnes locales).

Fin de l’obligation de résidence des dirigeants exécutifs.

La Mesure Provisoire nº 1.040, du 20 mars 2021 (équivalent d’une ordonnance, mesure prise sous certaines par le pouvoir exécutif dans un domaine de compétence du pouvoir législatif), devenue ensuite Loi nº 14.195/2021, a levé l’obligation de résidence pour tous les dirigeants de sociétés anonymes.

La nouvelle rédaction de l’article 146 de la Loi sur les Sociétés par Actions prévoit simplement que toute personne physique peut être élue membre des organes d’administration. Il n’y a donc plus de distinction entre conseillers et directeurs.

S’agissant de résidents étrangers, leur investiture est conditionnée à la nomination d’un représentant résidant au Brésil (article 146, §2).

Cette nomination est formalisée par une procuration d’une durée de validité de trois ans après la fin du mandat du dirigeant, laquelle doit prévoir expressément la capacité de recevoir toute citation ou assignation dans le cadre d’actions en justice intentées sur la base de la législation sur les sociétés. Pour les dirigeants de sociétés cotées, ce pouvoir doit comprendre également les convocations ou assignations dans le cadre de procédures administratives engagées par l’autorité brésilienne des marchés financiers (CVM).

Extension aux sociétés à responsabilité limitée.

Cette innovation, que la Loi n° 14.195/2021 réserve aux sociétés anonymes, a rapidement été étendue aux sociétés à responsabilité limitée (Limitadas).

L’administration et la représentation de la société à responsabilité limitée brésilienne est généralement confiée à un administrateur (administrador), associé ou non. Les statuts peuvent cependant prévoir une gouvernance plus robuste, avec plusieurs directeurs et un conseil d’administration.

En l’absence de prévision expresse de la loi concernant les sociétés à responsabilité limitée, les professionnels se sont rapidement prononcés en faveur de l’extension de cette disposition aux sociétés régies de façon complémentaire par les règles applicables aux sociétés par actions.

En effet, si la Limitada est régie par le Code civil, les statuts peuvent prévoir l’application complémentaire de la Loi sur les Sociétés par Actions, pour les situation non traitées par celui-là (Code civil, art. 1.053, § unique).

Puis, en début d’année, le DREI, département du Ministère de l’économie chargé de superviser les registres du commerce (juntas comerciais) des Etats fédérés et d’assurer une certaine homogénéité au niveau national, a acté la possibilité pour les dirigeants de toutes les sociétés à responsabilité limitée de résider à l’étranger, indépendamment du renvoi statutaire à la Loi sur les Sociétés par Actions (Instruction Normative DREI n° 112, du 20 janvier 2022).

Cette interprétation large de la Loi n° 14.195/2021 a pu surprendre, mais n’a pas été contestée par le marché, du fait de son intérêt pratique évident.

Intérêt pratique immédiat.

Cette évolution soulève une question intéressante : celle de la nationalité de la société dont tous les membres des organes d’administration seraient non-résidents. Le principe du réalisme juridique survivra-t-il, ou seul le siège social sera dorénavant pris en compte, même s’il ne s’agit que d’une boîte postale ?

Au-delà de l’aspect théorique, cette évolution présente un intérêt pratique évident pour les sociétés et entrepreneurs étrangers désireux de s’implanter au Brésil. Fini le besoin de trouver sur place une personne pour occuper le mandat de directeur. Ce poste-clé de représentation de la société était souvent confié à un comptable ou à un avocat sur la base d’une prestation de service rémunérée, à défaut de pouvoir nommer une personne de confiance.

Cela peut aussi permettre aussi d’accélérer la phase de constitution de la société, de réduire les coûts et de simplifier la gouvernance.

Cette mesure s’ajoute à de nombreuses autres déjà en application et qui transforment peu à peu le droit brésilien des sociétés.

Mickael Viglino, Avocat (Barreau de Paris / OAB/RJ), JG Assis de Almeida & Associados