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[Réflexion] La médiation n’est pas un mode alternatif de règlement des conflits. Par Roger Tudela, Avocat.
Parution : mardi 13 septembre 2022
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Plus de 10 ans après le texte de base la structurant [1], on s’interroge sur les difficultés rencontrées par la médiation pour s’imposer dans notre paysage juridique et judiciaire malgré ses atouts incontestables.
Les multiples raisons à l’origine de ces difficultés ont aujourd’hui quasiment disparues faisant de la médiation un mode de règlement amiable des conflits, bien plus qu’un mode alternatif (II).

I/ Pourquoi a-t-il été si difficile d’imposer la médiation comme mode de règlement des différends à part entière.

C’est naturellement une certaine peur de l’inconnu qui a généré des oppositions de principe, pour les professionnels comme pour les justiciables.

Mais cela seul ne peut expliquer le rejet d’un processus pendant autant de temps.

Il faut chercher ailleurs, les raisons de cet échec peut être dans la communication qui l’a accompagnée.

Marshall B. Rosenberg indiquait [2] que « Les mots peuvent ouvrir des portes mais aussi parfois en fermer ». On se doit de constater que pour la médiation les portes sont restées fermées pendant trop longtemps alors que l’intégration des modes amiables au sein de notre système judiciaire s’imposait chaque jour un peu plus.

Le texte fondateur aura bientôt 30 ans puisque la médiation apparait dans notre droit positif dans l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, complétée par l’ordonnance du 16 novembre 2011, qui définit plus précisément le processus.

La loi de 1995 limite la médiation à une décision du juge alors que l’ordonnance ouvre le processus aux parties.

A l’instar des « soft justices » américaines, tous s’accordaient à prévoir un succès rapide de la médiation, processus simple, rapide et peu onéreux.

Le succès attendu n’était malheureusement pas au rendez-vous. C’était en effet oublier qu’au-delà des textes, l’engagement de toutes les parties prenantes est nécessaire.

1) Les raisons d’un échec.

a) Les difficultés structurelles.

Une fonction nouvelle de médiateur était de facto créé, mais ils n’étaient pas nombreux à pouvoir l’exercer. Du temps a donc été nécessaire pour mettre en place des formations, ce qui fut fait dès la fin de l’année 2012. Magistrats, Avocats, association de médiateurs et universités, ont conjugués leurs efforts pour les développer avec succès.

Au-delà de cette difficulté structurelle au sens propre, certains ont vu un frein à l’acceptation du processus dans la mentalité française, plus encline au combat judicaire qu’à la négociation.

Nous ne partageons pas cet avis, même s’il est clair qu’à l’inverse des sociétés traditionnelles, nos sociétés modernes, préfèrent souvent « le droit des livres au droit en action ». Il n’en reste pas moins que le bon sens populaire retient qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès.

Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire, l’instauration d’un dialogue a toujours été préféré à une décision de justice. Déjà Voltaire observait que la meilleure décision pour mettre un terme à des différends ne pouvait que venir des parties avec l’assistance d’un tiers qu’il nomme « Faiseur de paix » [3].

Remplacer le glaive par la parole, permet ainsi de renouer les liens entre les parties plutôt que de trancher brutalement en faveur de l’une ou de l’autre.

Finalement aucune de ces difficultés ne peut expliquer la persistance de la méfiance vis à vis de la médiation. C’est donc ailleurs qu’il faut chercher d’autres raisons.

b) Les difficultés sémantiques.

Dans les années 1970, le concept d’une justice douce, séduit fortement aux États unis au point que seulement 5 à 10% des litiges sont traités par les Cours.

Ce concept est classé sous l’appellation ADR sigle de : Alternative Dispute Résolution.

Les juristes français s’y intéressent immédiatement au point que leurs premières réflexions apparaissent dans les revues à compter des années 1970. Elles reprennent le terme « alternatif » qui s’introduit donc dans les discours et les manuels sans que ceux qui l’emploie ne fassent mention de son origine nord-américaine.

Comme le relève justement Mme la professeure Soazick Kerneis « c’est comme s’il y avait une sorte de naturalisation du terme » [4].

Et c’est là que le bât blesse, car oublier que le sens des mots, peut varier suivant les pays qui les emploient peut générer des incompréhensions voir des contre sens.

Nous avons tous appris en cours d’anglais qu’il fallait se méfier des « faux amis ».

C’est probablement le piège dans lequel sont tombés ceux qui ont cherché à introduire ce modèle en France. La médiation n’a-t-elle pas été victime de la confusion sémantique autour du terme « alternatifs (ves) » ?

Ce terme en effet n’a assurément pas la même signification en France qu’au États unis.

Ce que les anglophones, ont qualifié d’alternative dispute résolution, c’est en réalité la possibilité de choix multiples pour la résolution des conflits (other option, other possiblity, other choice) sans qu’il y ait de primauté d’un choix sur l’autre.

Or, en français, d’origine latine (alternare), le mot, alternative est beaucoup plus restrictif et fait l’objet de trois définitions.

Le petit Robert précise que lorsqu’il ne s’agit pas de phénomènes opposés se succédant régulièrement, le terme alternatif caractérise une situation dans laquelle il n’est que deux partis possibles.

Ce même ouvrage de référence évoque un troisième sens dont il précise que son emploi est critiqué : l’alternative serait une solution de remplacement.

Par mimétisme linguistique c’est malheureusement ce sens qui a été compris et retenu en France, instaurant un handicap majeur au développement des modes amiables et plus spécialement de la médiation.

Une solution de remplacement… ne pouvait satisfaire personne.

Ce vice sémantique introduit dès l’origine a été source de confusion et de difficultés pour les partisans ou non de ces modes amiables.

Encore aujourd’hui le monde judicaire qui avait manifesté très tôt ses réticences, n’est pas totalement convaincu, et comme l’écrit Paul Rolland « la sphère judicaire ne les a toujours pas uniformément intégrés » (Paul Rolland : « les modes alternatifs de règlement des différends à chacun sa voie »).

Quant aux justiciables ils persistent encore trop souvent à voir dans la médiation, « un mode de règlement au rabais ».

II/ Comment redonner à la médiation ses lettres de noblesse.

Le challenge n’était pas simple mais il nous semble en passe d’être réussi à la condition indispensable de réajuster la communication et de la développer en situation, chaque fois qu’il est possible.

A/ Changer la communication une étape nécessaire, mais pas suffisante.

Cette étape incontournable, est déjà engagée. Il y a encore peu, la quasi-totalité de la communication présentait les modes amiables comme des modes alternatifs de règlement des conflits ou des différends, mais depuis quelques mois la situation évolue.

C’est le cas dans certains barreaux comme le Barreau de Bruxelles qui sur son site présente les différentes possibilités de résoudre ses conflits. On trouve sur un pied d’égalité, les modes amiables, (médiation, conciliation etc.) l’arbitrage et les tribunaux. Le barreau précise : « choisissez les modes de résolution des conflits les mieux appropriés à votre situation ».

En France, Le CNB après avoir créé en 2021 une commission Ad hoc MARD (modes alternatifs de règlement des différends), établi un Vademecum de l’avocat, « acteur des modes amiables de résolution des différends », (ed dec 2021), dans lequel il est très justement fait la différence entre les modes amiables comme la médiation, la conciliation et le droit collaboratif, d’une part, et d’autre part, les modes alternatifs comme la procédure participative ou l’arbitrage.

Au Luxembourg, la médiation est présentée comme un outil venant compléter l’offre de résolution des conflits… elle est intégrée parmi « les modes familiers comme la justice étatique, la conciliation ou la négociation » [5].

La doctrine a également apporté sa contribution, comme le professeur Loïc Cadiet qui estime « qu’à chaque type de conflit il y avait une solution appropriée et adaptée, dont le recours à la médiation sans oublier le recours au juge ». Le professeur Philip Milburn, évoque quant à lui de nouvelles formes de régulation des conflits en mobilisant les modes de résolution amiables, tout particulièrement la médiation.

Les avancées sont incontestables mais des efforts doivent encore être fait pour élever la médiation au niveau d’un mode de résolution à part entière.

C’est ce qu’a voulu le législateur qui par des règles contraignantes donne aux modes amiables leur véritable place dans le débat (I).

La mise en œuvre de ces nouvelles règles ne serait pas possible sans un engagement particulier des magistrats. Ceux-ci ont compris que le conflit est d’abord l’histoire des parties qui relève souvent d’émotions que la loi ne peut capturer. C’est ce qu’exprimait le Doyen Jean Carbonnier dans sa formule « le droit est plus petit que les relations entre les hommes ».

Les magistrats se sont pleinement investis participant au développement de la médiation judiciaire, devant toutes les juridictions jusqu’à la Cour de cassation (II).

B/ L’intervention du législateur une étape indispensable.

Les modes de règlements amiables ne pouvant s’imposer seuls, le législateur français est intervenu sur différents axes.

a) Vis-à-vis des avocats.

Il n’est pas dans l’objet de cette réflexion d’apporter une analyse exhaustive des mesures prises, mais seulement d’illustrer par quelques exemples que toutes les décisions convergent pour reconnaitre l’importance des modes amiables et de rappeler que le judiciaire ne peut plus être considéré comme le seul mode unique de règlement.

L’avocat est souvent la première personne contactée par le justiciable qui avec confiance, s’en remet à sa compétence pour que la solution la plus appropriée soit apportée à son problème.

Parmi les nombreux textes intervenus retenons, l’article 6.1 du RIN, qui recommande aux avocats d’examiner avec leur client, la pertinence des modes amiables de règlement préalablement à toute introduction en justice [6].

C’est également la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judicaire, qui valorise considérablement le rôle de l’avocat permettant que l’apposition de la formule exécutoire sur un accord de médiation, ne soit plus qu’une simple formalité en présence d’un acte d’avocat.

b) Sur les règles de procédure elle-même.

Nous ne citerons que deux évolutions essentielles.

1) La médiation préalable obligatoire.

Le droit connait depuis bien longtemps la médiation préalable d’origine conventionnelle, à laquelle les parties ne peuvent se soustraire si elle a été régulièrement prévue au contrat.

La nouveauté est l’introduction aujourd’hui encore à doses homéopathiques d’une obligation légale.

C’est le cas pour toutes les demandes tendant au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros et pour les troubles anormaux du voisinage [7].

Ce préalable battant en brèche le caractère volontaire de la médiation a été validé par tous, y compris par les instances européennes, dans la mesure où son échec ne ferme pas les voies d’accès au juge.

Le législateur va encore plus loin, lorsqu’il va permettre au juge d’apporter une contribution active au processus sans avoir besoin de l’accord des parties, en créant l’injonction à médiation

2) L’injonction à médiation.

Le juge conserve toujours la possibilité de désigner un médiateur après avoir obtenu l’accord des parties.

Le nouvel article 127-1 du Code de procédure civile va lui permettre d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur, sans avoir à se préoccuper de leur accord [8].

Il s’agira d’une mesure d’administration judicaire non susceptible de recours. Cette décision d’injonction est d’autant plus importante, qu’elle entraine l’interruption des délais pour conclure en appel ou pour former appel incident.

Comment ne pas voir dans ces évolutions une modification de paradigme autour de la médiation.

III/ L’engagement des magistrats.

Toutes ces mesures, aussi fortes soient elles ne pouvaient trouver un écho sans la participation active des magistrats.

Loin d’imposer des résistances corporatistes, les magistrats ont rapidement été moteurs du développement de la médiation.

Soucieux de l’intérêt du justiciable, tous ont fait le constat que la réponse qu’ils apportaient arrivait souvent bien tard, pour apaiser et régler le conflit et que les difficultés auxquelles ils étaient confrontés impactaient directement les parties.

Ils n’ont donc pas hésité à mettre en œuvre les nouvelles procédures favorisant le développement de la médiation. Des juridictions et des magistrats référents ont été précurseurs dans ces démarches.

On retire d’un rapport établi d’un groupe de travail de la Cour d’appel de Paris, que « la décision judiciaire est rarement dotée d’une vertu pacificatrice… Les modes amiables de règlement des différends sont ainsi dotés d’une double efficacité : ils sont paradoxalement un mode de gestion des conflits et en même temps un mode de prévention de ceux-ci » [9].

Mme Arens, Première Présidente de la Cour de cassation, constatait elle-même en juillet 2021, que : « le législateur installe profondément et durablement les modes amiables de règlements des différends dans le paysage juridique et judiciaire français » [10].

N’est-ce pas là la plus belle reconnaissance de l’importance des modes amiables de résolution des conflits qui ne peuvent plus être cantonnés à un niveau de subsidiaire ou de remplacement.

L’intérêt et l’importance des modes amiables ne fait plus débat au sein de notre système juridique et judicaire. Peut-être est-il temps d’abandonner, cette communication délétère et, une fois pour toutes de remplacer, ce terme inadapté de « modes alternatifs ».

Roger Tudela Avocat aux Barreaux de Lyon et de Bruxelles Médiateur agréé en France, Belgique et Grand-duché du Luxembourg

[1Loi du n° 95-125 du 8 février 1995 - Ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.

[2Marshall B Rosenberg les mots sont des fenêtres. Ed la découverte.

[3Mélanges de littérature, d’Histoire et de philosophie volume 29, page 454.

[4Soasick Kerneis : Les modes alternatifs de résolution des conflits DOI : 10.35562/cliothemis.1746.

[5Jan Kayser, Félix Braz, Claudia Monti : « La médiation au grand-duché du Luxembourg, droit technique, Processus, posture et paysage institutionnel » ed Larcier.

[6RIN article 6-1 : « Lorsque la loi ne l’impose pas, il est recommandé à l’avocat d’examiner avec ses clients la possibilité de résoudre leurs différends par le recours aux modes amiables ou alternatifs de règlement des différends préalablement à toute introduction d’une action en justice ou au cours de celle-ci, ou lors de la rédaction d’un acte juridique en introduisant une clause à cet effet ».

[7Art 750-1 du Code de procédure civile.

[8« En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution du litige est possible, le juge peut, s’il n’a pas recueilli l’accord des parties, leur enjoindre de rencontrer un médiateur » le texte précise qu’il s’agit…. (Décr. n° 2022-245 du 25/02/2022).

[9Cour d’appel de Paris rapport présenté dans le cadre universitaire au Mans en mars 2021 : « la promotion et l’encadrement des modes de règlement des différents ».

[10La médiation devant la Cour de cassation pourquoi pas ? par Chantal Arens, Première présidente de la Cour de cassation et François Molinié, président de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation : Dalloz actualités du 12 septembre 2021.