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Heures supplémentaires : les arrêts marquants en 2021 et 2022. Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.
Parution : mardi 13 septembre 2022
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Depuis 2020, la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’heures supplémentaires semble bien établie.
Notamment, depuis son arrêt du 28 mars 2020 (n°18-10.919) par lequel elle modifiait sa terminologie en matière de preuve des heures supplémentaires, la Cour de cassation tend à préciser de plus en plus quels sont les éléments pouvant être considérés comme « suffisamment précis ».
La tendance jurisprudentielle en matière d’heures supplémentaires est très favorable aux salariés.

1) Une jurisprudence désormais constante de la Cour de cassation en matière d’heures supplémentaires.

Ainsi, on peut très facilement constater à la lecture des arrêts de la Cour de cassation depuis 2020 que sa jurisprudence en matière d’heures supplémentaires est claire et établie.

Le raisonnement suivi par la Haute Juridiction est systématiquement le même :

Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle qu’au regard de l’article L3171-2, alinéa 1er du Code du travail, et dès lors que tous les salariés d’un service « ne travaillent pas selon le même horaire collectif », l’employeur est tenu d’établir les « documents nécessaires au décompte de la durée de travail ».

L’employeur doit donc théoriquement disposer de l’ensemble des documents nécessaires permettant de démontrer la réalité des horaires des salariés.

Ensuite, la Cour de cassation rappelle qu’en matière de durée du travail, l’article L3171-4 du Code du travail organise un partage de la charge de la preuve :
- Le salarié doit présenter des « éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées » ;
- Face à cela, l’employeur doit y répondre en « produisant ses propres éléments », éléments dont il doit disposer dans la mesure où il « assurer le contrôle des heures de travail ».

C’est enfin au regard de ces éléments que la Cour de cassation apprécie, d’une part si le salarié a présenté des éléments suffisamment précis, et d’autre part si l’employeur a également produit des éléments.

Il ressort de l’ensemble des arrêts rendus en matière d’heures supplémentaires que dès lors que le salarié présente, a minima, un tableau récapitulatif de ses horaires quotidiens et du nombre d’heures hebdomadaires effectuées, la Cour de cassation estime qu’il présente des éléments suffisamment précis.

En revanche, si dans une telle situation, le salarié est débouté de sa demande, la Cour de cassation relève systématiquement que la Cour d’appel fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié.

Ainsi, dans tous ces arrêts, la réponse de la Cour de cassation a été systématiquement la même :

« En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations, d’une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur de répondre, d’autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé » (9 juin 2022
Cour de cassation, Pourvoi n° 21-11.482
).

2) Les arrêts publiés au bulletin entre 2021 et 2022 relatifs aux heures supplémentaires.

A notre connaissance, ces arrêts sont au nombre de 5.

S’ils n’apportent sur le fond aucune modification de l’interprétation des règles applicables en matière d’heures supplémentaires, ils permettent toutefois de cerner plus précisément ce que l’on peut considérer comme des « éléments suffisamment précis quant aux horaires » pouvant être présentés par les salariés.

a) Cour de cassation, chambre sociale, 20 janvier 2021, n°19-21.755.

Dans cet arrêt, l’employeur reprochait à la Cour d’appel d’avoir fait peser la charge de la preuve uniquement sur lui, en lui reprochant de ne pas produire les éléments relatifs au contrôle des horaires, tels qu’imposés par l’article L3171-2, alinéa 1er du Code du travail.

De plus, l’employeur estimait que la Cour d’appel n’avait pas pris en compte son argument selon lequel les éléments produits par le salarié avaient été falsifiés.

Ce raisonnement n’est toutefois pas suivi par la Cour de cassation qui considère, à l’instar de la Cour d’appel, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis et qu’il appartenait à l’employeur de produire les documents de contrôle de la durée du travail.

b) Cour de cassation, chambre sociale, 27 janvier 2021, n°17-31.046.

Dans l’arrêt soumis à la Cour de cassation, la Cour d’appel estimait que les éléments produits par le salarié (décompte des heures de travail avec l’heure de début et de fin de service ainsi que le détail des réunions effectuées) étaient insuffisants.

En effet, la Cour d’appel considérait qu’à défaut d’avoir indiqué ses horaires sur ses comptes rendus hebdomadaires, le salarié ne présentait pas d’éléments suffisamment précis.

De plus, la Cour d’appel estimait que le décompte produit par le salarié était insuffisant, faute de préciser la prise éventuelle d’une pause.

A nouveau, la Cour de cassation estime que la Cour d’appel a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié et qu’il appartenait à l’employeur de produire des éléments des horaires du salarié.

c) Cour de cassation, chambre sociale, 17 février 2021, n°18-15.972.

Dans cet arrêt, un salarié reprochait à la Cour d’appel de l’avoir débouté de ses demandes au titre des heures supplémentaires, alors qu’il produisait un décompte de celles-ci, décompte toutefois « forfaitaire ».

Si dans l’arrêt d’appel, les juges relevaient que l’employeur ne produisait aucun élément de nature à justifier les horaires du salarié, ils considéraient toutefois que la demande d’heures supplémentaires était insuffisamment justifiée.

De son côté, la Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel avait fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié.

Un décompte « forfaitaire » des heures supplémentaires semble ainsi constitué un élément suffisamment précis pour la Cour de cassation, charge à l’employeur de démontrer la réalité des horaires du salarié.

d) Cour de cassation, chambre sociale, 16 février 2022, 20-16.171.

Dans l’arrêt soumis à cassation, le salarié produisait un décompte hebdomadaire de ses horaires, ainsi que quelques courriels reçus et un courriel envoyé.

Insuffisant à démontrer les heures supplémentaires selon la Cour d’appel de Metz.

Ce raisonnement n’est toutefois pas suivi par la Cour de cassation qui, de son côté, estime que le salarié présentait des éléments suffisamment précis et qu’en exigeant du salarié qu’il produise des éléments supplémentaires, la Cour d’appel avait fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié.

e) Cour de cassation, chambre sociale, 1er juin 2022, n°20-17.360.

Dans l’arrêt soumis à cassation, le salarié produisait un décompte de ses heures accomplies, sans déduction de ses temps de trajet ou de pause.

De plus, le salarié ne précisait pas dans son décompte ses heures d’arrivée et de départ sur les missions qu’il invoquait.

Enfin, certaines incohérences semblaient apparaitre entre le décompte produit par le salarié et ses conclusions.

Pourtant, ces éléments sont apparus suffisamment précis pour la Cour de cassation qui a relevé que, à défaut de tout élément produit par l’employeur face à ce décompte, la Cour d’appel avait fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié.

3) Une jurisprudence très favorable aux salariés.

Il convient de relever que la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation en matière d’heures supplémentaires est très favorable aux salariés.

Sur l’ensemble des arrêts rendus depuis 2021 et à notre connaissance, seul un arrêt déboute le salarié de son pourvoi (Cass.soc., 10 mars 2021, n°19-19.031).

Dans cet arrêt, il est toutefois intéressant de relever que le salarié ne produisait aucun décompte de sa durée du travail, décompte pourtant demandé à de multiples reprises par l’employeur, et se contentait de demander le paiement d’heures supplémentaires mensuelles.

En outre, les différents arrêts rendus en matière d’heures supplémentaires semblent s’accorder sur le fait que le fait qu’un seul décompte des horaires effectués par le salarié suffit à déclencher le mécanisme probatoire des heures supplémentaires, et ce quand bien même ce décompte serait forfaitaire, présenterait des incohérences ou ne serait corroboré par aucun élément extérieur.

Cette jurisprudence, et cette appréciation des éléments de preuve, sont favorables aux salariés dès lors que leur employeur n’a mis en place aucun élément de contrôle de leur durée du travail.

En effet, dans de telles situations, et au regard de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, les salariés pourraient valablement obtenir le paiement de leurs heures supplémentaires.

De même pour les salariés cadres au forfait jours qui verraient celui-ci annulé ou privé d’effet. Par principe, la durée du travail de ces salariés n’auraient fait l’objet d’aucun contrôle ce qui devrait engendrer de manière quasi automatique (en présence d’un décompte du salarié) le paiement de leurs heures supplémentaires.

Si cette jurisprudence reste très favorable aux salariés, les juges du fond conservent toutefois toute latitude pour apprécier le quantum de la condamnation qui relève de leur seule appréciation souveraine et ne fait l’objet d’aucun contrôle par la Cour de cassation.

Cette appréciation souveraine semble dans certaines hypothèses « compenser » le régime probatoire favorable aux salariés, en limitant le montant des condamnations pour les entreprises.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum