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« Passerelle » entre référé et fond : haro sur un précieux mécanisme procédural. Par Maïa-Ané Joubert, Elève-Avocat.
Parution : mercredi 14 septembre 2022
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Face à la multiplication de situations d’urgence, l’intervention rapide d’un juge se révèle primordiale pour le justiciable. Il peut arriver que dans certains cas, les conditions nécessaires à la saisine du « juge de l’urgence et de l’évidence » ne soient pas suffisamment caractérisées. Le recours a posteriori du juge du fond est alors vital pour les parties afin que le litige soit tranché.
Tous les moyens sont alors bons à prendre, pour gagner en efficacité et obtenir de lui, une prompte décision.

Alliant célérité et bonne administration de la justice, la « passerelle » offre un instrument qui ne doit pas être ignoré des avocats. Ces derniers ont entre leurs mains, une réelle carte procédurale à jouer.

L’étude d’un tel mécanisme procédural (II), implique un rappel liminaire entre deux procédures indépendantes et autonomes : le référé et le fond (I).

I. L’autonomie de la procédure de référé par rapport à celle au fond.

Le recours à la procédure de référé suppose la réunion de certaines conditions requises par le législateur (A), afin d’obtenir une décision par nature provisoire (B). A défaut, le juge considérera légitimement n’y avoir lieu à référé, obligeant ainsi les parties à saisir un juge du fond pour trancher leur litige (C).

A- Les conditions de fond spécifiques à la procédure de référé.

Conditions particulières suivant l’élection du référé. Alors que l’instance au fond relève d’une procédure de principe, la saisine du juge des référés demeure conditionnelle. Chaque référé répond à des exigences spécifiques au regard de l’urgence (1) ou de l’évidence (2).

1. La procédure de référé au regard de l’urgence.

Référé de droit commun. Selon l’article 834 du CPC, le juge peut prononcer toutes les mesures ne se heurtant à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un litige. La recevabilité de la demande reste soumise à ces deux conditions cumulatives strictes [1].

Référé conservatoire ou de remise en état. Le juge peut ainsi ordonner toutes mesures destinées à faire cesser un trouble manifestement illicite ou à prévenir un dommage imminent, au regard de l’article 873 alinéa 1er du CPC [2] La recevabilité d’une telle action en référé est subordonnée à la justification de l’existence d’un « dommage imminent » pour le prononcé des mesures conservatoires ou d’un « trouble manifestement illicite » pour une remise en état.

2. La procédure de référé au regard de l’évidence.

Référé provision. L’article 835 du Code de procédure civile offre la possibilité pour une des parties de demander la condamnation de l’adversaire au paiement d’une somme d’argent, lorsque l’existence d’une telle obligation n’est pas sérieusement contestable [3].

Référé injonction. Le juge des référés est compétent pour ordonner à une des parties à l’instance, l’exécution d’une obligation, conformément à l’article 835 alinéa 2 du CPC.

Ainsi, ces différents référés impliquent la réunion de conditions particulières qui leurs sont propres. Une fois celles-ci remplies, le juge des référés rend une décision par nature provisoire (B).

B- Une décision de référé par nature provisoire.

Décision provisoire & absence d’autorité de la chose jugée. A l’inverse d’une procédure statuant au fond, la procédure de référé est par essence provisoire, conformément aux dispositions de l’article 484 du Code de procédure civile (CPC) :

« L’ordonnance de référé est une décision provisoire rendue à la demande d’une partie, l’autre présente ou appelée, dans les cas où la loi confère à un juge qui n’est pas saisi du principal le pouvoir d’ordonner immédiatement les mesures nécessaires ».

Autrement dit, le juge des référés et celui du fond ont des offices « institutionnellement distincts » [4]. A l’instar de la requête, le juge des référés ne se prononce pas en tant que tel sur le fond du litige. La juridiction statue à juge unique et non en formation collégiale.

En vertu de l’article 488 alinéa 1er dudit Code [5], l’ordonnance de référé ne bénéficie pas de l’autorité de la chose jugée au principal.

Assurément, le recours a posteriori d’un juge du fond demeure envisageable pour les parties en cas d’insuccès de la procédure de référé. S’il est saisi, le juge du fond pourra rendre une décision totalement différente de celle rendue antérieurement par le juge des référés.

Distinction avec la procédure à jour fixe. La procédure de référé ne s’apparente pas à celle à jour fixe. Cette dernière, évoquée à l’article 840 du CPC, offre la possibilité pour les parties, lorsqu’il y a urgence, de faire trancher un litige au fond dans les litiges relevant de la procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire.

C- L’échec du référé face à une démonstration insuffisante des conditions préalables.

Conditions non réunies : absence de référé. Dès lors que les conditions indispensables à la procédure de référé ne sont pas démontrées par le justiciable, le juge considère « n’y avoir lieu à référé ». Afin de sortir de cette impasse, les parties vont devoir recourir à un autre juge pour mettre fin à leur litige.

Saisine du juge du fond : opportunité de la passerelle. Les parties se voient contraintes de saisir un juge du fond pour obtenir une décision de justice. Très utile, la « passerelle » en constitue la clef de voûte (II).

II. L’emploi de la « passerelle » comme mécanisme procédural efficace.

L’utilisation de la passerelle s’est rapidement imposée au fil des années (A), dès la réunion des conditions pour y recourir (B). Ce mécanisme offre ainsi de multiples avantages aux justiciables (C).

A- La généralisation d’un mécanisme efficient.

Un outil forgé par la pratique judiciaire. Vers la fin des années 1970, le magistrat Pierre DRAI aurait souhaité davantage de pragmatisme entre la procédure de référé et celle au fond. Il aurait ainsi eu l’idée de créer un « pont » entre ces deux procédures autonomes et indépendantes et permettre ainsi, un renvoi direct des parties au fond.

Un outil entériné dans notre droit. Instrument procédural jugé salutaire pour les praticiens, il n’aura pas fallu attendre longtemps pour son insertion au sein du Code de procédure civile.
Que le lecteur ne s’y méprenne pas ; le terme de « passerelle » n’est pas expressément employé par le législateur. Néanmoins, l’article 837 alinéa 1er dudit Code en dresse les contours.

Aux termes de celui-ci, il est mentionné que :

« A la demande de l’une des parties et si l’urgence le justifie, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection saisi en référé peut renvoyer l’affaire à une audience dont il fixe la date pour qu’il soit statué au fond. Il veille à ce que le défendeur dispose d’un temps suffisant pour préparer sa défense. L’ordonnance emporte saisine de la juridiction ».

Rayonnement. De même, cette procédure a été généralisée à d’autres contentieux comme en matière commerciale ou agricole. En effet, les articles 873-1 et 896 du CPC permettent aux présidents des référés siégeant respectivement au tribunal de commerce ou au tribunal paritaire des baux ruraux, d’employer le mécanisme de la passerelle dans les conditions identiques à celles susvisées [6].

Enfin, le renvoi à l’article R1455-8 du Code du travail opéré par R1455-12 dudit Code, assure un recours à ce mécanisme en matière sociale, sous réserve d’un accord préalable entre toutes les parties à la procédure, et de la tenue d’une tentative de conciliation en audience non publique [7].

B- Les conditions indispensables pour recourir à la « passerelle ».

Conditions cumulatives (2). Selon l’article 837 du CPC, l’utilisation de « la passerelle » requière la réunion de deux conditions : la manifestation d’une urgence et l’action d’une partie quant à sa mise en œuvre.

Urgence : notion de fait. L’urgence qui se définit comme « une circonstance de fait telle que tout retard à statuer entraînerait un préjudice grave pour celui qui s’en prévaut » [8] nécessite pour le plaideur, la justification d’un intérêt à trancher rapidement le litige au fond.

Rappelons-le, pour accéder à la procédure au fond, l’affaire devra présenter des contestations sérieuses, évinçant ainsi l’office du juge des référés. Puisque l’urgence va uniquement s’apprécier au regard de la nature de l’affaire, cette condition reste subordonnée à l’appréciation souveraine du juge.

Impulsion par une des parties à l’instance. L’activation de la « passerelle » nécessite au préalable l’initiative émanant d’une des parties à l’instance. Ainsi, le demandeur pourra la solliciter subsidiairement auprès du juge en cas de rejet de ses prétentions formées au titre du référé. De même, il est loisible pour le défendeur à l’instance, de la réclamer à titre principal, en démontrant l’absence des conditions du référé requises par le législateur du demandeur [9].

Conséquences : une faculté octroyée au juge. Au terme de l’article 837 du CPC, le juge n’est pas tenu de faire droit à cette demande puisque le législateur a employé le verbe « pouvoir » et non celui de « devoir » [10]. Le juge des référés conserve ainsi son pouvoir souverain en appréciant l’opportunité d’un renvoi de l’affaire au fond.

C- Les avantages escomptés d’une saisine automatique du tribunal.

Célérité. Si le juge décide d’y répondre favorablement, le renvoi emporte saisine automatique du tribunal statuant au fond. Cette instantanéité permet ainsi au justiciable de gagner un temps précieux sur le calendrier procédural. Il n’aura pas à procéder, par le biais de son conseil, à une signification au fond.

Gain économique. Puisque le renvoi opéré est immédiat, il n’y a pas lieu à débourser des frais supplémentaires d’huissier de justice pour procéder à la signification. Le greffe du tribunal se chargera simplement d’enregistrer la demande.

Bilan : un mécanisme procédural opportun. La passerelle constitue sans nul doute, la voie royale entre la procédure de référé et celle du fond dès lors que des contestations sérieuses demeurent au stade du référé. Les avocats ne doivent pas hésiter à l’utiliser à bon escient, surtout quand on sait au combien la gestion du temps dans le procès est importante.

Maïa-Ané Joubert, Elève-avocat

[1Article 834 du CPC : « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».

[2Article 873 al 1er du CPC : « Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

[3Article 873 al 2 du CPC : « Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire ».

[4François de LA Vaissière, « Autonomie de l’instance en référé et de l’instance au fond », commentaire de l’arrêt Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 18-13.543, Dalloz Actualité, 8 mars 2019.

[5Selon l’article 488 al 1 du CPC : « L’ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée ».

[6Selon les articles 873-1 et 896 du CPC : « A la demande de l’une des parties, et si l’urgence le justifie, le président saisi en référé peut renvoyer l’affaire à une audience dont il fixe la date pour qu’il soit statué au fond. Il veille à ce que le défendeur dispose d’un temps suffisant pour préparer sa défense. L’ordonnance emporte saisine du tribunal ».

[7Selon l’article R1455-8 du Code du travail : « S’il lui apparaît que la demande formée devant elle excède ses pouvoirs, et lorsque cette demande présente une particulière urgence, la formation de référé peut, dans les conditions suivantes, renvoyer l’affaire devant le bureau de jugement : 1° L’accord de toutes les parties est nécessaire ; 2° La formation de référé doit avoir procédé à une tentative de conciliation en audience non publique et selon les règles fixées par l’article R1454-10. La notification aux parties de l’ordonnance de référé mentionnant la date de l’audience du bureau de jugement vaut citation en justice ».

[8Guinchard, Debard, Lexique des termes juridiques, 2018-2019, Dalloz, Vo, l’Urgence, p. 1092.

[9Matthieu Allain et Malik Chapuis, « Un pont trop loin, la procédure de passerelle du juge des référés vers le juge du fond », Lexisnexis SA-procédures, n°2 février 2021.

[10Me Aliénor Kamara-Cavarroc, « Guide pratique de procédure à l’usage de l’avocat », la bibliothèque de l’avocat, LGDJ, 2020.