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Jugement Maurizio Cattelan : quelles leçons en tirer pour l’art contemporain ? Par Véronique Piguet, Avocat.
Parution : lundi 19 septembre 2022
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Le Tribunal judiciaire de Paris a rendu, le 8 juillet 2022, un jugement qui était très attendu par le monde de l’art contemporain.
Il concerne l’artiste Maurizio Cattelan qui met en scène des personnages réalisés en cire par Daniel Druet.

Les faits.

Daniel Druet, après plusieurs années de collaboration, et après avoir vainement sollicité au début des années 2000 de la galerie Perrotin, que la mention de son nom soit apposée sur les œuvres, a assigné la galerie Perrotin ainsi que la Monnaie de Paris qui avaient exposé les œuvres concernées.

Certains ont pu estimer que « La quête de reconnaissance de Daniel Druet comme auteur exclusif des œuvres imaginées par Maurizio Cattelan ouvre la porte à la disqualification de l’art conceptuel » [1].

Tandis que d’autres ont dénoncé l’injustice dont sont victimes certains « façonniers » ou « exécutants » des œuvres d’art plastiques, certaines stars de l’art contemporain ayant « des armées d’assistants et de sous-traitants » [2].

Assez curieusement, Daniel Druet n’a cependant pas assigné Maurizio Cattelan lequel a seulement été appelé en garantie par la Monnaie de Paris (peur de s’attaquer au « Maître » ?).

Tout aussi curieusement, Daniel Druet ne s’est pas prétendu co-auteur des œuvres mais seul auteur (excès d’orgueil ?) !

Le demandeur a été débouté.

Le Tribunal a débouté Daniel Druet de ses demandes ce qui a conduit à des commentaires assez péremptoires, tels que : «  Pour la première fois, les magistrats consacrent l’art conceptuel par une décision de principe  » [3], « Lever le voile sur les petites mains de l’art : triste sort pour les assistants d’artiste » [4].

Ces conclusions peuvent paraître hâtives.

Il ne faut pas oublier que le procès est avant tout « la chose des parties », c’est-à-dire que ce sont les parties qui en déterminent le contenu. Le tribunal ne peut statuer que sur les points qui lui sont soumis.

Que révèle le jugement ?

Il ressort en réalité du jugement rendu que la question essentielle n’a pas été tranchée, à savoir Daniel Druet est-il co-auteur des œuvres invoquées du fait qu’il a réalisé les personnages en cire, mis en scène par Maurizio Cattelan ?

1) En effet, d’une part le tribunal a exposé que, conformément à l’article 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, Maurizio Cattelan est présumé être l’auteur des œuvres en cause puisqu’elles ont toutes été divulguées sous son nom.

Il aurait cependant été possible pour Daniel Druet de renverser cette présomption en apportant la preuve qu’il était en réalité l’auteur ou le co-auteur des œuvres, s’il avait lui-même attrait devant le tribunal Maurizio Cattelan (voir § 2) ci-dessous).

Petite parenthèse : un auteur ou des auteurs ?

Il n’apparaît pas raisonnable de la part de Daniel Druet de soutenir qu’il serait seul auteur des œuvres, à l’exclusion de Maurizio Cattelan.

En effet, comme l’a jugé le tribunal,

« les directives précises de mise en scène des effigies de cire dans une configuration spécifique, tenant notamment à leur positionnement au sein des espaces d’exposition visant à jouer sur les émotions du public (surprise, empathie, amusement, répulsion, etc.), n’ont émané que de lui seul (= Maurizio Cattelan), Daniel Druet n’étant nullement en mesure - ni du reste ne cherchant à le faire - de s’arroger la moindre participation aux choix relatifs au dispositif scénique de mise en situation desdites effigies (choix du bâtiment et de la dimension des pièces accueillant tel personnage, direction du regard, éclairage, voire destruction d’une verrière ou du parquet pour rendre la mise en scène plus réaliste et plus saisissante) ou au contenu du message éventuel à véhiculer à travers cette mise en scène ».

Le tribunal a d’ailleurs « tendu une perche » à Daniel Druet en précisant « étant observé qu’il ne revendique pas la qualité de co-auteur d’une œuvre de collaboration ou d’une œuvre composite mais bien la qualité d’unique auteur des œuvres en cause ».

A n’en pas douter, Daniel Druet doit plutôt revendiquer la qualité de co-auteur des œuvres. La question de savoir s’il s’agit d’œuvres de collaboration (œuvre élaborée en commun) ou d’œuvres composites (les œuvres, personnages de cire, étant pré-existantes aux œuvres divulguées, en ce qu’elles sont mis en scène par Maurizio Cattelan qui les aurait alors « incorporées » à ses propres œuvres), pourrait dépendre de savoir si des instructions précises ont été données à Daniel Druet par Maurizio Cattelan, sous réserve que des instructions très précises n’empêchent pas Daniel Druet d’être co-auteur.

L’écueil dû à la procédure.

2) D’autre part, le tribunal n’a pas tranché la question essentielle exposée ci-dessus (à savoir à savoir Daniel Druet est-il co-auteur des œuvres invoquées du fait qu’il a réalisé les personnages en cire, mis en scène par Maurizio Cattelan) parce qu’il s’agissait d’une question qui nécessitait qu’elle soit débattue entre Daniel Druet et Maurizio Cattelan.

Or, Daniel Druet n’a pas assigné Maurizio Cattelan qui a seulement été appelé en garantie par la Monnaie de Paris. Le tribunal a donc jugé « qu’aucun lien juridique n’est pour autant né » entre Daniel Druet et Maurizio Cattelan. C’est à dire que pour trancher la question de savoir qui sont le ou les auteurs des œuvres en cause, il faut en quelques sortes un combat « à la loyale » où chacun est face à face !

Conclusion.

Il ne reste plus à Daniel Druet qu’à tirer les leçons de ce jugement pour permettre à ce très intéressant débat d’être conduit à son terme.

Véronique Piguet, Avocate associée chez Squair vpiguet@squairlaw.com https://www.squairlaw.com/fr/avocats/veronique-piguet/ Barreau de Paris [->Veronique.piguet@caravelle-avocats.com] www.caravelle-avocats.com

[3Le Figaro 08/07/2022 « Affaire Maurizio Cattelan : la justice conforte l’artiste face à son ancien collaborateur » Par Béatrice de Rochebouët et AFP agence.