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Télétravail et Metaverse : mais où sont passés les salariés ? Par Caroline Diard, Enseignant-Chercheur.
Parution : mardi 20 septembre 2022
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Comment sont encadrées les missions éventuellement effectuées dans l’univers virtuel du Metaverse ?
Tour d’horizon en droit du travail.

Le télétravail en mode hybride est devenu une nouvelle forme de normalité dans les entreprises [1]. Fini le télétravail contraint et dégradé, place au télétravail négocié, formalisé et adapté à chaque organisation.

D’ailleurs, les résultats du baromètre « Télétravail et Organisations hybrides » [2], indiquent 38% de télétravailleurs fin 2021 dont 50% de manière contractualisée.

Ce chiffre important invite à repenser la relation managériale [3] et soulève de nombreux questionnements en matière de droit du travail. Le télétravailleur est en effet un salarié comme les autres. La signature de son contrat de travail impose un lien de subordination, des droits et des devoirs. En revanche, à la différence des salariés en présentiel, la notion de lieu de travail est quelque peu bousculée !

Mais où exerce-t-on les missions ?

Alors que certains auteurs depuis bien longtemps avaient évoqué une forme de déspatialisation du travail [4] on peut désormais se demander : mais où sont passés les télétravailleurs ?

En télétravail, l’utilisation de nouvelles technologies de travail à distance (Zoom, Teams...) rompt trois unités (temps, lieu, action). En effet, le collaborateur peut travailler en tout endroit et cette dispersion concourt à l’émergence d’un modèle organisationnel changeant [5].

La définition du télétravail donnée par le Code du travail convoque d’ailleurs la notion de lieu de travail.

Le télétravail y est en effet désigné comme

« toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ».

Dans la pratique, il peut s’exercer au lieu d’habitation du salarié ou dans un tiers-lieu, comme par exemple un espace de co-working, différent des locaux de l’entreprise, de façon régulière, occasionnelle, ou en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure.

S’il est admis que le travail à distance peut s’effectuer à domicile, en tiers lieu ou en mode nomade, le recours accru des entreprises au Metaverse invite à la réflexion.

Le Metaverse est un environnement virtuel, en 3D, au sein duquel les interactions se font par l’intermédiaire d’avatars. Le Metaverse est à l’innovation IT ce que le télétravail fut il y a quelques années aux innovations organisationnelles.

Le concept n’est pas tout à fait nouveau cependant puisque l’immersion par le biais de matériel technologique (casque VR, virtual reality et autres accessoires) en vue de jouer à des jeux en ligne ou de « vivre » une seconde vie via un avatar était exactement ce que proposait déjà « Second Life » (monde virtuel créé par l’entreprise américaine Linden Lab en 2003, ayant connu un pic de popularité et de médiatisation autour de 2006, avant d’être oublié mais toujours actif).

Désormais, il est possible de « travailler » ou plutôt télétravailler dans le Metaverse.

De nombreuses entreprises se sont ainsi emparées de ce nouveau monde adapté au travail en utilisant l’intelligence artificielle pour élaborer un monde virtuel à l’image du monde réel.

Ainsi, les révolutions du travail se feront à domicile. D’un point de vue organisationnel, les réunions dans un contexte d’équipes dispersées pourraient par exemple bénéficier de la technologie « virtual reality » afin de faciliter leur tenue au sein du « Metaverse ».

Les décideurs ont été confrontés aux limites du télétravail notamment au phénomène de « Zoom fatigue ». Le « Metaverse » constituerait une alternative crédible avec pour objectif d’améliorer l’implication et la productivité au sein des réunions [6].

Facebook a d’ailleurs investi dans la réalité virtuelle et a récemment annoncé son changement de nom : désormais, Facebook devient Meta.

La fonction RH en pleine transformation digitale depuis quelques années [7], s’adapte à l’utilisation de l’Intelligence artificielle notamment avec l’apparition d’avatars pour les process de recrutement ou de « onboarding ». Le confinement a d’ailleurs révélé la possibilité d’effectuer de nombreuses missions RH à distance, y compris la signature du contrat de travail [8].

Que dit le droit ?

L’accident du travail.

En droit du travail, la notion de lieu de travail est importante. D’abord parce que le lien de subordination suppose l’exécution d’un travail sous l’autorité de l’employeur en échange du versement d’une rémunération et convoque la notion de lieu d’exercice des missions.

Ensuite parce que l’accident du travail est défini par l’article L411-1 du Code de la sécurité sociale comme étant l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.

Le Code du travail, en son article L1222-9 précise par ailleurs que l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail au sens de l’article L411-1 du Code de la sécurité sociale.

Que se passerait-il alors si un accident se produisait dans le Metaverse ?

Le vide juridique est sidéral mais en attendant de légiférer, une transposition des règles applicables en présentiel, déjà mobilisées en cas d’accident au domicile du salariés peuvent être aussi utilisées. Le droit est désormais confronté à l’épreuve du monde virtuel.

Le salaire.

De même, concernant le salaire, dans le Metaverse, les entreprises pourraient être tentées de rémunérer les salariés en cryptomonnaie. Ceci n’est pas permis par le Code du travail qui dispose en son article L3241-1 que le salaire est payé en espèces ou par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal.

De plus, l’article L112-6 du Code monétaire et financier précise :

« Ne peut être effectué en espèces ou au moyen de monnaie électronique le paiement d’une dette supérieure à un montant fixé par décret, tenant compte du lieu du domicile fiscal du débiteur, de la finalité professionnelle ou non de l’opération et de la personne au profit de laquelle le paiement est effectué.

Au-delà d’un montant mensuel fixé par décret, le paiement des traitements et salaires est soumis à l’interdiction mentionnée à l’alinéa précédent et doit être effectué par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal ou à un compte tenu par un établissement de paiement ou un établissement de monnaie électronique qui fournit des services de paiement. Nonobstant les dispositions du I, les dépenses des services concédés qui excèdent la somme de 450 euros doivent être payées par virement ».

Pas d’inquiétude donc au-delà de 450 euros il est impossible d’utiliser les cryptomonnaies pour rémunérer les salariés.

La déconnexion.

Ensuite, concernant la possibilité de se déconnecter dans le Metaverse, s’il apparait difficile parfois de définir une frontière vie privée-vie professionnelle en télétravail le phénomène pourrait être exacerbé. La possibilité d’être connecté 24h/24 rend le collaborateur disponible et induit parfois une situation de connexion subie.

L’absence de régulation entre les sphères privées et professionnelles présente des risques

Le droit du travail en introduisant en 2017 en son article L2242-8, un droit à la déconnexion protège les salariés en télétravail et dans le Metaverse.

Autre Garde-fou de taille, le recours aux avatars dans le Metaverse ne présente pas pour l’instant d’insécurité juridique puisqu’il s’agit de simples émanations virtuelles d’une personne physique, ne bénéficiant d’aucune personnalité juridique.

Puisqu’il revient à qui de droit de tenter les métamorphoses organisationnelles et d’anticiper les évolutions juridiques, il est temps de réfléchir à nouveau, dans le monde réel, aux évolutions du travail dans le monde virtuel.

Caroline Diard Enseignant-Chercheur en Management des RH et Droit TBS Education

[4Taskin 2006.

[5Diard et al 2022.

[7Baudoin, Diard, Benabib, 2019.