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Action en annulation de la vente de l’immeuble pour défaut de l’accord de l’un des époux en droit positif congolais. Par Hubert Kalukanda Mashata, Avocat.
Parution : mercredi 21 septembre 2022
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Dans le souci de protéger les biens meubles ou immeubles des époux contre tous les abus de toute sorte qu’ils connaissent du fait de leur gestion des biens et ce, consécutivement au choix de leur régime matrimonial lors de la célébration de mariage devant l’Officier de l’Etat Civil. En République Démocratique du Congo (RDC), le Législateur de la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n°87-010 du 1er aout 1987 portant Code de la famille a fait l’un des époux, protecteur des biens meubles ou immeubles de grandes valeurs du couple.

Curieusement, ni l’un des époux et encore moins la partie tierce contractante ne connaissent leur rôle avec toutes les conséquences que cela entraine.

Cet article demande à l’un des époux ou les héritiers de la première catégorie, suivant la Législation Congolaise, de se réveiller, d’autant plus qu’ils sont dépossédés de leurs biens meubles ou immeubles par abus de droit.

I. Liminaires.

En République Démocratique du Congo (RDC), l’action en annulation de la vente de l’immeuble des époux est, et demeure un droit réservé, pas exclusivement, mais principalement à l’un des époux.

En effet, l’action en annulation de la vente des biens comme toute action en justice implique la réunion de certaines conditions, notamment la qualité, la capacité, l’intérêt et/ou le droit juridiquement protégé. Nul n’ignore que ces conditions sont cumulatives.

Dans le cas d’espèce, le requérant doit justifier la qualité de l’un des époux, ainsi que le régime matrimonial choisi lors de la célébration du mariage devant l’Officier de l’Etat Civil.

L’article 487 de la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n°87-010 du 1er aout 1987 portant Code de la famille dispose que : « La loi organise trois régimes entre lesquels les futurs époux ou les époux optent. Ce sont : a) la séparation des biens ; b) la communauté réduite aux acquêts ; c) la communauté universelle des biens ». Il résulte de cette disposition légale que le Législateur garantit le principe de la liberté pour les époux de choisir un régime matrimonial, mais une liberté de choix limitée.

En outre, le requérant a éventuellement l’obligation de démontrer les modalités de l’acquisition de l’immeuble, le numéro cadastral ainsi que les éléments de sa superficie. Ensuite, le requérant indique qu’il n’a jamais donné aucun mandat à qui que ce soit pour procéder à la vente dudit immeuble commun, qui lui appartient légalement en tant que copropriété indivise des époux.

Autrement dit, le requérant relève qu’il n’a jamais été ni de loin ou de près informé de ladite prétendue vente, et n’y a aucunement consenti en donnant son accord exprès en sa qualité d’époux légitime et copropriétaire indivis, comme peut l’attester d’ailleurs les pièces à verser au dossier soumis au Juge, notamment l’acte de mariage et le livret de ménage et ce, conformément à l’article 492 du Code de la famille, étant entendu que ledit immeuble constitue le patrimoine commun du couple, en vertu par exemple du régime de la communauté universelle choisi par les époux lors de la célébration de leur mariage. Ainsi, il y a lieu d’examiner les modalités de gestion et de protection des biens des époux.

II. De la gestion et protection des biens des époux en droit positif congolais.

Certes, l’article 490 de la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n°87-010 du 1er aout 1987 portant Code de la famille présume que la gestion des patrimoines commun et propre est confiée au mari en ce qu’il dispose que :

« La gestion comprend tous les pouvoirs d’administration, de jouissance et de disposition, sous réserve des exceptions prévues par la loi. Quel que soit le régime matrimonial qui régit les conjoints, la gestion des patrimoines commun et propre est présumée confiée au mari, en concertation avec la femme ; sauf pour les choses qui sont réservées à l’usage personnel de chacun, notamment les vêtements, les bijoux et les instruments de travail de moindre valeur. Toutefois, au moment de leur déclaration d’option d’un régime matrimonial, les conjoints peuvent convenir que chacun gérera ses biens propres ».

Et l’article 495 de la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n°87-010 du 1er aout 1987 sus évoquée renseigne que : « Sous les mêmes conditions que celles édictées à l’article 494, les conjoints peuvent demander de modifier le régime de gestion de leurs biens propres ou communs ».

Dans le régime de la communauté universelle par exemple, tous les biens des époux sont en communauté sans que l’on ne puisse les distinguer ni d’après l’époque de l’acquisition, ni d’après le mode d’acquisition, ni enfin suivant la nature du bien. Les biens que chacun des époux possédait au jour du mariage entre en communauté comme les biens futurs, c’est-à-dire ceux qui leur adviennent au cours du mariage. Il n’est pas nécessaire de faire la distinction entre les biens acquis à titre gratuit et ceux acquis à titre onéreux. Ils entrent tous dans la masse commune. Il en est de même, non seulement les biens meubles, mais aussi les biens immeubles.

Cependant, l’article 499 de la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n°87-010 du 1er aout 1987 portant Code de la famille sus évoquée est sans équivoque à ce sujet lorsqu’il dispose que :

« Quels que soient le régime matrimonial et les modalités de la gestion de ce régime, l’accord des deux époux est nécessaire pour :
1. Transférer une concession foncière commune ou propre, ordinaire ou perpétuelle ou la grever d’un droit d’emphytéose, de superficie, d’usufruit, d’usage, d’habitation, d’hypothèque ou d’une servitude ;
2. Aliéner, par incorporation, un immeuble commun ou propre ou le grever d’un droit réel d’emphytéose, de superficie, d’usufruit, d’usage, d’habitation, d’hypothèque ou d’une servitude et d’un bail de plus de neuf ans [...]
 ».

Il en découle un principe légal et juridique selon lequel l’accord de deux époux est nécessaire pour cinq séries d’actes à savoir :
- Les actes consistant à transférer une concession foncière commune ou propre, ordinaire ou perpétuelle ou la grever d’un droit d’emphytéose, de superficie, d’usufruit, d’usage, d’habitation, d’hypothèque ou de servitude ;
- Les actes portant aliénation, par incorporation, d’un immeuble commun ou propre ou le grever d’un droit réel d’emphytéose, de superficie, d’usufruit, d’usage, d’habitation, d’hypothèque ou de servitude et d’un bail de plus de neuf ans.

Attendu que l’article 33 de la Loi n° 73-020 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des suretés dispose aussi que :

« Aucun des copropriétaires ne peut, sans le consentement des autres, changer la destination de la chose commune, ni la grever de droits réels au-delà de sa part indivise ».

La déduction logique de cette disposition pertinente suppose qu’il est formellement interdit à tout copropriétaire de changer la destination de tout bien meuble ou immeuble indivis, ni la grever de droits réels au-delà de ses prérogatives. Qu’ainsi, c’est de bon droit que le tribunal ordonne la nullité de la vente intervenue en toute fraude entre l’un des époux et la partie tierce contractante.

Qu’en outre, il est évident que depuis que l’un des époux a eu connaissance de la vente de l’immeuble, il peut certes être impliqué dans un cycle des dépenses et frais divers de procédures et démarches pour protéger ses droits, ainsi que ceux de ses enfants légitimes en leur qualité de « détenteurs du droit à devenir propriétaires » en vertu des dispositions pertinentes de l’article 780 du Code de la Famille qui dispose que :

« Lorsque la succession comporte une maison, celle-ci est exclusivement attribuée aux héritiers de la première catégorie. Lorsqu’elle comporte plusieurs maisons, l’une d’elles est exclusivement attribuée aux héritiers de la première catégorie. L’aliénation éventuelle de cette maison ne peut être opérée qu’avec l’accord unanime des enfants tous devenus majeurs et à condition que l’usufruit prévu au bénéfice du conjoint survivant ait cessé d’exister ».

Attendu que le comportement préjudiciable et complice de l’un des époux et la partie tierce contractante constitue une atteinte aux droits reconnus au requérant en tant que l’un des époux, comportement susceptible de réparation sur pieds des articles 258 du Code Civil Congolais, Livre III qui disposent notamment que : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Qu’en l’espèce, par la violation des dispositions légales, le tribunal peut constater que le préjudice n’est pas à démontrer, car patent en ce que le requérant, sans aucun autre endroit pour habiter, se voit obligé de faire face à la recherche d’importantes sommes d’argent pour protéger son immeuble.

III. Que conclure ?

Au demeurant et sous toutes réserves de mieux étayer ses prétentions devant le tribunal, il est généralement admis que le requérant puisse adresser à la partie tierce contracte une notification par écrit de son désaccord ou carrément relever dans l’exploit introductif d’instance valant d’office notification écrite du désaccord et ce, conformément à l’article 500 de la Loi n° 16/008 du 15 juillet 2016 modifiant et complétant la Loi n° 87-010 du 1er aout 1987 portant Code de la Famille qui dispose que :

« L’accord des deux conjoints est présumé donné si, dans les six mois après que les actes aient été passés, il n’y a pas eu manifestation écrite du désaccord notifié d’un conjoint à la partie tierce contractante. Tout tiers passant un acte avec le mari ou l’épouse, nécessitant leur accord conjoint peut, au moment de l’établissement de l’acte et dans les six mois qui suivent, réclamer l’accord de l’autre époux. Il notifie cette demande par lettre recommandée avec accusé de réception adressée aux deux conjoints. A défaut d’une réponse dans le mois qui suit l’accusé de réception, l’accord de l’autre est présumé être acquis définitivement ».

Il résulte de l’interprétation de cette disposition légale que le Législateur a clairement laissé une brèche aux parties de procéder au règlement à l’amiable du différend, avant toute saisine du tribunal compétent.

Qu’en définitive, eu égard à l’acte authentique qu’est l’acte de mariage à produire par le requérant pour soutenir ses prétentions et défendre ses droits en justice, il est de bon droit que le tribunal procède purement et simplement à l’annulation de la vente avenue entre l’un des époux et la partie tierce contractante, et dire éventuellement que le jugement à intervenir exécutoire, nonobstant tout recours et sans caution conformément à l’article 21 du Code de Procédure Civile Congolais.

Tel a été jugé par le Tribunal de Grande Instance de Lubumbashi, dans le jugement sous RC.33476, ayant ordonné l’annulation de la vente de l’immeuble, situé à Lubumbashi, au Quartier Plateau III (Golf Plateau Karavia) dans la Commune Annexe, et portant numéro PC.14130, d’une superficie de 22 mètres sur 29 mètres de longueur, ainsi que l’acte de demande de préavis advenus en date du 19 juillet 2022.

Hubert Kalukanda Mashata, Avocat Barreau près la Cour d'appel du Haut-Katanga en République Démocratique du Congo Doctorant chercheur à l'Université de Lubumbashi