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La vente en viager : comment ça marche ? Par Fanny Quilan, Juriste.
Parution : mardi 20 septembre 2022
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Le viager, est un « contrat de rente viagère » dont le cadre juridique figure aux articles 1968 à 1983 du Code civil, au Titre XII « des contrats aléatoires », Livre III « des différentes manières dont on acquiert la propriété », du Code civil.
La progression de ce marché s’accélère chaque année grâce au phénomène du « papy-boom » (entre 2006 et 2025), avec une forte tendance en Ile-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Ce contrat apparaît comme une solution à fort impact social permettant le maintien à domicile d’une personne âgée dans un logement adapté, tout en injectant du pouvoir d’achat dans le territoire concerné.

Ainsi, les personnes âgées peuvent rendre « liquide » leur actif immobilier (leur « richesse immobilisée »), pour en tirer une disponibilité financière nouvelle, tout en restant chez elles, en faisant des économies de charges et d’impôts.

Rappelons qu’en cas de vente en viager, l’acquéreur figurera en tant que seul propriétaire du bien acquis, qu’il s’agisse d’un viager libre ou occupé, au Service de la publicité foncière.

Son droit de propriété pouvant souffrir certaines obligations qui devront être détaillées au contrat de vente. Tandis que le vendeur, qui ne sera plus propriétaire, sera bénéficiaire d’une hypothèque nommée « privilège du vendeur » inscrite au Service de la publicité foncière.

Pour les acquéreurs, le viager représente un produit-retraite plutôt intéressant puisque la « valorisation » d’un viager occupé sera moins élevée, que s’il avait s’agit d’un bien vendu libre d’occupant.

La seule contrainte étant financière, puisqu’une vente en viager se finance difficilement par emprunt bancaire en raison du coût des assurances prêt dont l’excessivité est, notamment, liée au risque de sur-longévité des vendeurs.

Le viager peut ainsi constituer un moyen avantageux de réaliser un investissement immobilier, même si cela suppose une aisance et une récurrence financière de quelques acquéreurs.

Notons cependant que de plus en plus d’investisseurs institutionnels s’intéressent à cette solution.

Ce mécanisme juridique d’acquisition étant spécifique au droit français, il convient de le connaître parfaitement pour faire du viager une nouvelle stratégie commerciale immobilière.

A/ Les conditions de validité du contrat de vente en viager.

Le viager est un contrat d’aliénation (de « transfert ») de la propriété d’un bien immobilier, dont la validité doit remplir les conditions générales de formation d’un contrat.

La vente en viager se caractérise par 2 aspects fondamentaux : l’aléa (1) et la vente à crédit (2).

1/ Un contrat aléatoire : la morbidité prévisible ou prématurée est exclue du contrat de vente en viager.

En premier lieu, le viager est un contrat aléatoire, c’est-à-dire qu’il doit exister une « chance de gain », mais aussi un « risque de perte ». En effet, seule la disparition du vendeur marque la fin de l’engagement financier de l’acquéreur, cette échéance ne devant pas être connue à l’avance.

Cette condition « d’aléa » est intrinsèque à la validité du viager, elle est posée par les articles suivants :
- L’art. 1974 du Code civil indiquant que « Tout contrat de rente viagère, créé sur la tête d’une personne qui était morte au jour du contrat, ne produit aucun effet ».
- Et, l’art. 1975 du même code ajoutant que « Il en est de même du contrat par lequel la rente a été créée sur la tête d’une personne atteinte de la maladie dont elle est décédée dans les vingt jours de la date du contrat ».

L’aléa exclut donc la « morbidité prématurée », du vendeur qui décèderait dans les 20 jours suivants la date de signature définitive (Art. 1975 C.civ).

En outre, et de jurisprudence constante, l’aléa exclu la « morbidité prévisible », c’est-à-dire, la situation dans laquelle l’état de déficience du vendeur serait connu de l’acquéreur, lequel serait alors en mesure de connaître l’imminence de son décès [1]. Les juges considérant ainsi que la connaissance par l’acquéreur de l’état de santé réel du vendeur, est susceptible de caractériser l’absence d’aléa.

L’état de santé du vendeur devant demeurer imprévisible et impossible à déterminer pour l’acquéreur.

La vente en viager qui serait dépourvue d’aléa, se trouverait privée de cause et pourrait être annulée par celui (le vendeur), ou ceux (les héritiers), qui s’en réclame(nt) et qui présente(nt) un intérêt.

Rappelons que celui qui conteste la validité du viager devra apporter la preuve de l’absence d’aléa, laquelle consistera le plus souvent dans la connaissance par l’acquéreur de l’état de santé du vendeur (la morbidité « prévisible »).

2/ Un contrat de vente à crédit : le contrôle en solvabilité de l’acquéreur est fortement recommandé.

En second lieu, le viager est un contrat de vente à crédit dans lequel le vendeur, le crédirentier (bénéficiaire d’une rente), fait crédit à l’acquéreur, le débirentier (débiteur d’une rente), de lui payer la totalité ou une partie du prix de vente sous forme d’une rente annuelle, à vie (sans interruption jusqu’au décès du/des vendeur(s)), et à des conditions librement convenues.

L’art. 1976 du C.civ indiquant à cet effet que « La rente viagère peut être constituée au taux qu’il plaît aux parties contractantes de fixer ».

En application de cet article, les Parties sont libres de déterminer le taux, les échéances, ou encore les modalités de paiement de la rente viagère. De manière générale, le montant de la rente est calculé en tenant compte de la valeur du bien, des taux en vigueur, de l’espérance de vie du vendeur, et le cas échéant du droit d’usage et du montant du bouquet (il peut aussi y avoir une obligation de soin, de nourriture...). Elles sont également libres de prévoir une clause d’indexation permettant la révision automatique de cette rente suivant un indice publié par l’Insee.

A savoir qu’une fois déterminée, la rente viagère est définitive et qu’il n’existe aucune circonstance, aucune limite de durée, ni de montant, qui autorise le débirentier à échapper à cet engagement (sauf accord conventionnel, ex : imprévision...).

A la différence d’une vente immobilière classique dans laquelle les obligations se dénouent à la signature de l’acte authentique, les parties continuent d’être liées après l’aliénation du bien.

En outre et parce qu’il s’agit d’une aliénation à « fonds perdus », le vendeur est particulièrement protégé par le droit français et bénéficie de garanties légales du paiement de sa rente (Art. 1977 à 1978 C.civ), ainsi que de garanties conventionnelles (clause résolutoire, clause pénale..). Ce genre de vente n’est donc pas à prendre à la légère, et le contrôle en solvabilité de l’acquéreur s’impose obligatoirement.

B/ Les modalités de paiement de la vente en viager.

Le viager étant un contrat susceptible de contestation, un soin particulier devra être apporté à la rédaction de ce contrat, à la répartition des charges, au montant du prix de vente arrêté entre Parties [2], ainsi qu’au calcul de la rente, laquelle devra tenir compte de la nature du viager (libre, ou, occupé), de la valeur du bien, des taux en vigueur, de l’espérance de vie du vendeur, et le cas échéant, du montant du bouquet et des modalités du droit d’usage de l’acquéreur.

1/ Les modalités de paiement de la rente viagère : conditions générales.

De manière tout à fait classique, les modalités de paiement de la rente viagère sont définies au contrat de vente à l’article « Modalités de paiement ». Cet article prévoit de manière générale que :
- Le versement se fera sur la tête du/des vendeur(s), sans interruption jusqu’au dernier décès. L’acquéreur sera libéré de son engagement au dernier décès, et sans aucun prorata dû à la succession. Cela signifie qu’en cas de décès de l’acquéreur, il y aura solidarité et indivisibilité de ses héritiers au paiement de cette rente, ainsi qu’aux charges. Il en ira de même en cas de revente du bien acquis en viager, les acquéreurs successifs demeureront garants et solidaires envers le vendeur du paiement de la rente ;
- La date de départ du versement de la rente : généralement le 1er du mois suivant la conclusion de l’acte définitif ;
- Les modalités de versement : généralement un versement mensuel sans interruption jusqu’au dernier décès ;
- En cas de pluralité de vendeur, le décès du prémourant n’emporte pas de réduction de la rente, laquelle reste due dans les conditions définies au contrat (il y a réversion de la rente au profit du survivant).

De manière générale, le contrat de vente prévoit qu’en cas de défaut de paiement à son échéance exacte d’un seul des termes de la rente viagère, la vente pourra de plein droit et sans mise en demeure préalable, être résolue si bon semble au vendeur sans qu’il soit besoin de remplir une formalité judiciaire, et ce, 1 mois après un commandement de payer demeuré infructueux contenant déclaration du vendeur de son intention d’user du bénéfice de la clause résolutoire.

Une hypothèque nommée « privilège du vendeur » est prévue en garantie du paiement de la rente. Ainsi, l’immeuble demeurera affecté par ce privilège et inscrit au Service de la publicité foncière. Le vendeur pourra donc récupérer son bien en cas de non-paiement de la rente.

2 / Modalités de calcul de la rente en viager libre.

Dans le cadre d’un viager libre, les modalités de paiement seront obtenues à la condition de déterminer : le prix de vente net vendeur ; le montant du bouquet payé comptant au jour de la vente ; et de calculer l’espérance de vie du vendeur (cf : Barème Daubry, vous pouvez le consulter auprès d’une Cie d’assurance, ou d’un notaire).

Voici un exemple qui vous permettra de déterminer vos modalités de paiement :

Exemple : La vente en viager libre par un vendeur de 77 ans (viager sur 1 tête) :
- L’espérance de vie pour un homme de 77 ans est d’environ 11 ans (barème Dauby) ;
- La valeur du bien hors frais d’agence est de 355 000 euros net vendeur ;
- Le vendeur et l’agent décident de fixer le bouquet à 71 000 euros (soit 20% de 355 000 euros net vendeur). Ce bouquet sera payé comptant au jour de l’acte authentique ;
- Le prix de vente net vendeur sera donc partiellement payé, le montant restant à financer sous forme de rentes sera de 284 000 euros ;
- Compte tenu de l’espérance de vie du vendeur, la rente annuelle et viagère sera de : 284 000 euros /11ans = 25 818 euros/an ;
- Rapportée au mois, la rente mensuelle sera de : 25 818 euros / 12 mois = 2 151 euros/mois ;
- Soit une rente mensuelle de 2 151 euros/mois pour un viager libre.

A retenir dans le cas d’un viager libre que, sauf motifs liés à la réalisation de travaux d’aménagement d’ampleur [3], la validité de la vente peut être contestée si le montant des arrérages est inférieur ou égal aux revenus générés par le bien aliéné vendu libre, puisque la vente serait dans ce cas dépourvue « d’aléa financier » [4].

3/ Modalités de calcul de la rente en viager occupé.

a) Modalité de calcul de la rente.

Dans le cadre d’un viager occupé, les modalités de paiement seront obtenues à la condition de déterminer : le prix de vente net vendeur ; le montant du bouquet payé comptant au jour de la vente ; de calculer l’espérance de vie du vendeur (cf : Barème Daubry, vous pouvez le consulter auprès d’une Cie d’assurance, ou d’un notaire) ; et de déduire une décote locative.

Voici un exemple qui vous permettra de déterminer vos modalités de paiement :

Exemple : La vente en viager occupé par un vendeur de 77 ans (viager sur 1 tête) :
- L’espérance de vie pour un homme de 77 ans est d’environ 11 ans (barème Daubry, vous pouvez le consulter auprès d’une Cie d’assurance, ou d’un notaire) ;
- La valeur du bien hors frais d’agence est de 355 000 euros net vendeur ;
- Le logement a une surface de 96m2, il est estimé à 9.9euros/m2/mois (cf : consultez un agent immobilier ou l’observatoire des loyers pour obtenir cette info) ;
- Le vendeur et l’agent décident de fixer le bouquet à 71 000 euros (soit 20% de 355 000 euros net vendeur). Ce bouquet sera payé comptant au jour de l’acte authentique ;
- Le montant restant à financer sera de 284 000 euros, auquel il faudra déduire la décote locative obtenue de la manière suivante : dans mon exemple, le loyer mensuel de référence est de 9.9eurosm2/mois, soit 950 euros/mois sur une maison de 96m2, soit 11 400 euros/an correspondant à la décote annuelle ;
- La décote locative totale est de 11 400 euros x 11 ans espérance de vie = 125 400 euros ;
- Après déduction de la décote locative, la valeur restant à financer pour un viager occupé sera de 284 000 euros - 125 400 euros, soit 158 600 euros ;
- La rente annuelle et viagère sera donc de 158 600 euros / 11ans soit 14 418 euros/an ;
- Soit une rente mensuelle à 1 201 euros/mois pour un viager occupé.

b) Charges applicables.

Notons qu’en cas de viager occupé avec réserve d’usufruit, et en l’absence de précision, les charges suivantes sont payées par le vendeur : Réparations et entretiens courants du logement sauf s’il libère totalement le bien vendu ; Taxes d’habitation ; Factures d’énergie.

A contrario, les grosses réparations sont prises en charge par l’acheteur.

Notons également qu’en cas de silence du contrat, et faute de règles impératives, la réponse ministérielle de Mme Cosse est sans appel : « A défaut de précision dans l’acte, c’est l’article 608 du Code civil, relatif aux obligations de l’usufruitier, qui s’applique ».

Cela signifie que si le contrat ne prévoit rien, alors le vendeur qui conserverait l’usage du bien sera tenu de s’acquitter de la taxe foncière et de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.

C/ La fiscalité attachée a la rente viagère.

1. Pour la plus-value immobilière, le régime applicable sera le même que pour une vente ordinaire, les cas d’exonérations seront donc identiques. En matière de vente en viager, les cas d’exonérations les plus courants seront ceux de la vente de la résidence principale (Art. 150 U II 1°), ainsi que le cas lié à la qualité du cédant retraité/handicapé disposant d’un revenu fiscal n’excèdant pas la limite prévue au I de l’article 1417 CGI (Art. 150 U III).

Le bouquet sera quant à lui exonéré d’impôt.

2. Pour l’impôt sur le revenu, la rente perçue chaque année par le vendeur sera soumise à l’impôt sur le revenu pour une fraction de son montant comprise entre 30 à 70% et décroissante selon l’âge du crédirentier.

Part de la rente viagère soumise à l’impôt sur le revenu
Age du vendeur au jour de la signature de l’acte notariéPart imposable de la rente viagère
Pour un 1er versement à moins de 50 ans 70%
Pour un 1er versement de 50 à 59 ans 50%
Pour un 1er versement de 60 à 69 ans 40%
Pour un 1er versement à plus de 69 ans 30%
Fanny Quilan Responsable juridique du réseau immobilier AXO

[1C.Cass, 16 avril 1996, n°93-19661 ; C.Cass, 21 octobre 2009, n°08-13843 ; C.Cass, 5 mai 1982, n°81-11821 ; C.Cass, 4 novembre 1980 n°79-11680.

[2Qui ne doit être ni vil, ni disproportionné, cf : C.Cass 21 octobre 2009, C.Cass 31 janvier 1995.

[3Cf : C.cass 20 septembre 2011.

[4Cf : C.Cass 21janvier 2015, C.Cass 4 juillet 2007, C.Cass 16 novembre 2010, C.Cass. 27 mai 2010.