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Portée et intérêt d’une clause de médiation dans un contrat de travail. Par Julia Fabiani, Avocate.
Parution : jeudi 22 septembre 2022
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Le 14 juin 2022, la Cour de Cassation a rendu, au visa de l’article L1411-1 du Code du travail, l’avis suivant « en raison de l’existence en matière prud’homale d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend ». Quelle est la portée de cet avis ? Pour l’apprécier, il est nécessaire de s’arrêter un instant sur la problématique soumise à la Cour.

Qu’est-ce qu’une clause de médiation ou de conciliation ?

Une clause de médiation ou de conciliation désigne la clause par laquelle les cocontractants ont convenu, contractuellement, de régler tout différend susceptible de survenir au cours de l’exécution du contrat contractuelle ou à l’occasion de sa rupture en recourant à une solution non juridictionnelle, privilégiant la recherche d’un accord, en faisant appel à un tiers conciliateur ou médiateur.

Les parties s’engagent ainsi à rechercher, avec l’aide d’un tiers, une issue amiable au différend (Voir notre article « Servat et conciliat » : l’ADN du Conseil de prud’hommes !) qui les oppose, avant de saisir les juridictions compétentes.

Validité des clauses de médiation ou de conciliation et droit d’agir en justice.

Le principe posé par la Cour de Cassation est que les clauses de médiation ou de conciliation préalable et obligatoire ne sont pas contraires au droit fondamental d’agir en justice, dans la mesure où l’interdiction de saisir le juge judiciaire est seulement temporaire.

C’est la raison pour laquelle (i) si les parties ont une obligation de résultat de mettre effectivement en œuvre une procédure de conciliation ou de méditation, elles n’ont en revanche qu’une obligation de moyens de rechercher de bonne foi une solution amiable à leur différend, (ii) ces clauses ne doivent pas faire obstacle à ce qu’une partie saisisse le juge aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou, en cas d’urgence, une mesure provisoire ou conservatoire, (iii) la mise en œuvre de ces clauses suspend le cours de la prescription [1].

Clause de médiation et droit du travail.

La question de la validité des clauses de conciliation ou de médiation dans les contrats de travail a suscité beaucoup d’oppositions de la part des acteurs juridiques, dont le principal argument reposait sur leur volonté de préserver le préalable obligatoire de conciliation devant le Conseil des prud’hommes de toute concurrence, et surtout, d’éviter que par l’amiable, on ne construise un droit du travail bis, qualifié de « sous-droit ».

En effet, aux termes de l’article L1411-1 du Code du travail, le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.

La « crainte » était donc que les clauses de médiation ou de conciliation préalable ne mettent en échec le préliminaire obligatoire de conciliation, spécificité de la procédure prud’homale, et le droit du travail.

« Le préliminaire de conciliation ne saurait être la recherche d’un compromis boiteux, à l’écart de la règle de droit, fondée sur on ne sait quelle équité » [2].

La Cour de Cassation ne s’était jamais positionnée ouvertement sur la question. Elle reconnaissait indirectement leur validité dans les contrats de travail, mais les rendait facultatives, considérant qu’elles n’empêchaient pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend [3].

La loi du 6 août 2015 a réglé la question de la validité de ces clauses de conciliation ou de médiation préalable, et les modalités de recours à la médiation conventionnelle ont été précisée par le décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail.

Ainsi donc, la question de la validité d’une clause de médiation ou de conciliation prévue dans un contrat de travail ne se posant plus depuis la loi du 6 août 2015, la question de savoir si la Cour de Cassation allait maintenir sa position exprimée dans son arrêt du 5 décembre 2012, restait-elle d’actualité.

Critique et portée de cette décision.

Dès lors que les dispositions du Code de Procédure Civile sur la résolution amiable des différents devenaient applicables aux litiges qui s’élèvent à l’occasion d’un contrat de travail et les modalités du recours à la médiation conventionnelles étaient précisées [4], que devenaient les clauses de conciliation ou de médiation préalable prévues dans les contrats de travail ? Un préalable obligatoire ou facultatif ?

Dans son avis du 14 juin 2022, la Cour de Cassation a confirmé sa position en reprenant très exactement la formulation employée dans son arrêt du 5 décembre 2012. La présence d’une clause de médiation ou de conciliation préalable contractuellement prévue n’est pas un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction prud’homale.

Cet avis est surprenant si l’on regarde les récentes mesures législatives prises en faveur des modes amiables de règlements et leur promotion, ou encore les développements du Rapport du Comité des Etats Généraux de la justice déposé en avril dernier.

A l’évidence, au travers de cet avis, c’est un choix politique qui se manifeste, celui de conserver la spécificité du Conseil de prud’hommes indéniablement lié au préalable de conciliation.

Pourtant cette juridiction s’essouffle et la procédure de conciliation, qui est pourtant au cœur de la mission des conseillers prud’homaux, n’aboutit pas (on note un taux de conciliation au niveau national de seulement 8%) [5] pour de multiples raisons, dont notamment la complexification du droit du travail, la multiplication des demandes, et la lourdeur de la structure de l’audience judiciaire.

« Il n’y aucune raison que le contentieux du travail reste en dehors de ce mouvement » écrivait, en 2017, A. Lacabarats, Président de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation.

Si reconnaître l’efficacité des clauses de médiation et de conciliation préalable, en en faisant un préalable obligatoire, est décriée par certains, il appartient au législateur de donner les moyens à la juridiction prud’homale de fonctionner correctement, et surtout de retrouver sa mission première « Servir et concilier ». Une piste pourrait-être de « réhabiliter » les conseillers rapporteurs en leur conférant réellement le pouvoir de concilier qu’ils tirent de l’article R516-24 du Code du travail.

Cela impliquerait notamment de sensibiliser, d’informer les conseillers prud’homaux sur le processus de médiation, lequel est mené par un médiateur, tiers, neutre et impartial, qui aide les parties à trouver une solution satisfaisante pour répondre à leurs besoins respectifs, mais également d’utiliser le temps de la procédure pour rétablir le dialogue entre les parties au litige, en créant un « espace de parole ». Ce n’est qu’une fois le dialogue rétabli, que les parties seront en mesure d’envisager une solution à leur différend.

Julia Fabiani Avocate associée au sein du cabinet Saint Sernin et médiatrice/médiateure http://www.saintsernin-avocats.fr/

[1Art. 2238 c. civ.

[2M. Keller Dr. Soc. 2000, 66, spéc. p.663

[3Cass. Soc. 5 déc. 2012, n°11-20.004.

[4R1471-1 du Code du travail.