Village de la Justice www.village-justice.com

Brèves de justice du XXIe siècle en comparutions immédiates. Par Nejma Labidi, Avocat.
Parution : mardi 27 septembre 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/tribune-breves-justice-xxie-siecle-comparutions-immediates-une-rapidite-facade,43742.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Les comparutions immédiates, qui représentent près de 20% des jugements pénaux, sont la cause de près de la moitié des entrées en prison puisque le risque d’une peine d’emprisonnement y est huit fois plus élevé que pour les autres audiences correctionnelles. Le budget alloué par la France à la Justice figure parmi les derniers de l’Europe, qui condamne régulièrement la France à des sanctions financières en raison des conditions de détention indignes ou des délais excessifs de jugement. Un comble avec les comparutions immédiates.

L’audience des comparutions immédiates de 13h30 est toujours très chargée, plus d’une trentaine de dossiers au rôle. A l’ordre du jour : outrage, rébellion, agression sexuelle d’un chauffeur de VTC sur une cliente, vols, recels, trafic de stupéfiants, violences.

Le mot d’ordre ? La rapidité.

De l’interpellation à l’audience, deux à six douzaines d’heures s’écoulent. Les affaires se succèdent jusqu’à une heure avancée de la soirée, parfois de la nuit, finir à plus de trois heures du matin n’est pas inhabituel.

Tous les mis en cause, à une exception près, quittent, sous contrainte, les locaux du commissariat pour être retenus dans ceux du dépôt du tribunal dans l’attente de l’audience.

Une ou deux heures avant, ils rencontreront les avocats, commis d’office pour l’essentiel, qui les assisteront après avoir pris rapidement connaissance des dossiers. Les prévenus viennent en moyenne de passer 24 à 48h de garde à vue, et attendent depuis de nombreuses heures au dépôt du tribunal, sans avoir pu se changer, se laver, ou se reposer avant de comparaitre devant leurs juges.

L’audience s’ouvre par les interruptions de délai, afin d’éviter la remise en liberté des détenus qui attendent depuis bientôt 20h00 dans le dépôt du Tribunal. Faute d’être présentés dans ce délai aux juges à la sortie d’une garde à vue prolongée sur décision du parquet, ils sont remis en liberté. Le législateur a prévu ce garde-fou afin de limiter la privation de liberté au-delà de la garde à vue. Le Président leur indique qu’ils comparaissent pour interrompre le délai, mais qu’ils seront jugés plus tard. Bien plus tard en réalité. La justice a trouvé cette parade afin d’interrompre le délai sans juger tout de suite le dossier, l’audience est chargée.

Dès l’appel de notre affaire, un guet-apens homophobe avec violences et usage d’une arme, la Présidente du Tribunal décide qu’elle sera renvoyée à une audience ultérieure qui se tiendra dans deux mois en raison de la surcharge de l’audience pour « calibrer » l’affaire sur au moins une heure, le temps nécessaire, compte tenu de la nature des faits. Le parquet, dont l’attention a été attirée, n’a pas retenu la circonstance aggravante d’infraction à caractère homophobe, cette circonstance aggravante n’est prévue que pour les violences, les injures, diffamations, et les discriminations, pour lui il s’agit avant tout d’un vol qui a mal tourné, même s’il n’est pas insensible au ciblage de la victime sur un site de rencontres entre hommes.

Après un bref débat, ils sont placés en détention provisoire conformément aux réquisitions portées avec force par le procureur.

Les faits : deux individus ont violemment agressé puis volé un homme à son domicile dans la nuit après que l’un d’eux ait pris contact avec la victime sur un site de rencontre pour lui faire espérer des relations intimes, parce que la chaire est faible, et que le sexe cet ersatz d’amour, devient l’un des seuls moyens de trouver un peu d’affection en oubliant sa solitude, faisant courir le risque d’ouvrir sa porte à un inconnu la nuit parfois à ses risques et périls.

L’enquête a été confiée au 1er District de la police judiciaire, et non pas au commissariat d’arrondissement du lieu des faits. D’un grand sérieux, elle a permis de réunir les éléments suffisants afin d’incriminer les prévenus, du témoignage du chauffeur VTC commandé par la victime à son agresseur en l’absence de métro la nuit, aux vidéos de surveillance d’un lieu privé à proximité des lieux, impliquant les prévenus.

Les auteurs présumés sont prévenus de vol aggravé en réunion et avec violences ayant entrainé une incapacité temporaire de travail, le tout en récidive, ainsi que pour détention d’une arme. Le caractère homophobe de l’agression n’a pas été retenu, le texte réprimant le vol ne le prévoit pas. De plus, seules deux circonstances aggravantes peuvent être retenues, portant la peine de sept à dix ans d’emprisonnement.

Les prévenus reconnaissent désormais à demi-mot après avoir changé de version plusieurs fois. Pour le visionnage de la vidéo qui les implique, les moyens de la justice ne le permettent pas, du stockage des fichiers multimédia au matériel de visionnage, tout est archaïque, on se contente depuis longtemps du compte-rendu de la vidéo fait par les fonctionnaires de police dans le dossier de procédure avec des copies d’écran en noir et blanc. La justice doit être encore la dernière à utiliser internet explorer, seule application compatible avec ses logiciels d’un autre temps.

La peine requise par le Parquet est d’une sévérité exemplaire, quatre ans d’emprisonnement ferme. La condamnation tombe vers 23h00. Quatre ans ferme, ainsi que des dommages et intérêts pour la victime qui s’est constituée partie civile.

Il faut aller au Tribunal régulièrement pour vérifier si les condamnés ont fait appel, nous n’en sommes pas informés, le pénal est une matière de terrain. S’ils font appel, la victime n’aura que cinq jours pour former un appel incident. Le greffe réserve sa réponse, les fichiers ne sont pas actualisés en temps réel avec ceux du greffe de la maison d’arrêt où les condamnés purgent leur peine - la grosse difficulté de la communication entre tous les acteurs de la chaîne pénale - il faut donc revenir souvent.

A l’expiration des dix jours, pas d’appel. La victime est soulagée de ne pas revivre une nouvelle fois ces faits éprouvants et de savoir ses agresseurs hors d’état de lui nuire.

La perspective de sa reconstruction, et de son indemnisation, se dessine. Pour être indemnisée, la victime est éligible au Service d’aide au recouvrement des victimes d’infraction (SARVI), un fonds d’indemnisation pour les victimes des infractions les moins graves, légers préjudices corporels ou atteintes aux biens, son indemnisation, pourtant largement supérieure, sera plafonnée à 3 000 euros.

La demande doit être faite dans un délai d’un an à compter du moment où la décision est devenue définitive, sinon elle perd ses droits à indemnisation.

Il lui faut fournir la décision de condamnation, ainsi qu’un certificat de non-appel pour prouver qu’elle est définitive. Les demandes sont faites auprès du tribunal pour obtenir ces pièces. Un long mois s’écoule. Nouveau déplacement au Tribunal pour demander les précieux sésames. Le greffe annonce qu’en raison d’un retard accumulé, la décision ne sera disponible qu’en février 2023, soit plus de neuf mois après la condamnation, mais qu’il est toujours possible de demander un certificat de non-appel. Le greffe des appels est quelques étages plus-haut, ce sera toujours ça pour rassurer la victime que c’est bien fini.

Rivée devant son ordinateur qu’elle actualise frénétiquement, la greffière confirme que la décision est bien définitive, mais qu’elle ne peut délivrer de certificat de non-appel sans décision. Comme souvent, on se croirait dans la maison qui rend fou des douze travaux d’Astérix. Les mois qui nous séparent du délai d’un an pour faire la demande d’indemnisation s’écoulent dangereusement.

Si les comparutions sont immédiates, les jugements pénaux ne sont eux rendus que de longs mois après l’audience, ou ne le sont jamais.

La France a été condamnée à plusieurs reprise, et encore récemment par la Cour européenne des droits de l’Homme, pour une affaire dans laquelle le prévenu n’avait eu connaissance du jugement que 15 mois après son prononcé, cette situation le mettant dans l’incapacité d’apprécier l’opportunité de faire un appel sans connaitre les motifs de la condamnation. Pourtant, les textes prévoient que la décision doit être déposée au greffe dans les trois jours au plus tard de son prononcé. Le plus souvent, les jugements ne sont pas même rédigés en l’absence d’appel, et se résument à une note d’audience signée par le président et le greffier qui n’est pas toujours transmises aux parties malgré leurs demandes.

Les acteurs du procès pénal se sont habitués à ce fonctionnement défaillant, de guerre lasse, répétant inlassablement à leurs clients sidérés que c’est devenu la norme.

Le rapport des états généraux de la justice remis au Président de la République rappelle que ses propositions de « simplification de la procédure pénale » ne peuvent se concevoir sans l’augmentation des effectifs de magistrats et de fonctionnaires, qu’il chiffre à des milliers et la numérisation de la procédure afin que les acteurs de la chaine pénale puissent communiquer entre eux pour plus de rapidité, ce que les multiples logiciels ne permettent pas en augmentant les délais, et de pouvoir communiquer avec les justiciables. Il estime.

Si la réponse pénale des audiences de comparutions immédiates est rapide, puisque les condamnations sont prononcées sur le siège, le rapport déplore que les conditions d’organisation de ces audiences, qui se tiennent souvent à une heure avancée de la nuit, ne permettent pas de rendre une justice de qualité, et contribuent à multiplier le prononcé de courtes peines de prison, alors que l’état des établissements pénitentiaires et la surpopulation carcérale ne permettent ni la réinsertion, ni de prévenir la récidive afin de tendre vers plus de sécurité.

Les comparutions immédiates, qui représentent près de 20% des jugements pénaux, sont la cause de près de la moitié des entrées en prison puisque le risque d’une peine d’emprisonnement y est huit fois plus élevé que pour les autres audiences correctionnelles.

Le budget alloué par la France à la Justice figure parmi les derniers de l’Europe, qui condamne régulièrement la France à des sanctions financières en raison des conditions de détention indignes ou des délais excessifs de jugement. Un comble avec les comparutions immédiates.

Nejma Labidi Avocat au Barreau de Paris [->avocat@nejmalabidi.com] [->https://www.nejmalabidi.com]
Comentaires: