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Les saisies pénales et l’AGRASC. Par Simon Takoudju, Avocat et Clémence Vassard, Etudiante.
Parution : lundi 26 septembre 2022
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La loi n°2020-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a crée l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et confisqués (AGRASC). Le décret n°2011-134 du 1er février 2011 relatif à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués est venu préciser son fonctionnement.

Quel est le sort des biens saisis par les forces judiciaires ?

L’AGRASC a été crée avec pour objectif de faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, notamment en cas de fraude fiscale et douanière. Elle résulte d’une proposition de loi de 2008 dans laquelle deux députés considéraient que « pour être véritablement dissuasive, toute sanction pénale doit pouvoir s’accompagner de la privation des délinquants des profits qu’ils ont pu tirer de l’infraction ». Le droit n’était pas applicable à la réalité du terrain avant cette loi puisque personne ne gérait les biens et avoirs saisis, ce qui conduisait à une dérive des frais de justice.

Elle fait désormais l’objet du Titre XXX intitulé « De l’agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués » du Livre IV consacré à quelques procédures particulières et comprend les articles 706-159 à 706-165 du Code de procédure pénale.

L’AGRASC.

L’AGRASC est un établissement public administratif, placé sous la double tutelle conjointe du ministre de la Justice et du ministre chargé du Budget. Elle est dirigée par un magistrat de l’ordre judiciaire et est dotée d’un conseil d’administration lui-même présidé par un magistrat de l’ordre judiciaire. Elle est composée d’agents provenant des ministères de la Justice, de l’Intérieur et du Budget.

L’AGRASC est chargée d’assurer, sur l’ensemble du territoire et sur mandat de justice, la gestion de tous les biens, quelle que soit leur nature, saisis, confisqués ou faisant l’objet d’une mesure conservatoire au cours d’une procédure pénale, qui lui sont confiés et qui nécessitent, pour leur conservation ou leur valorisation, des actes d’administration.

L’AGRASC a une double mission principale. Elle est tout d’abord chargée de l’exécution de la peine de confiscation au nom du procureur de la République. Elle permet aussi de répondre au besoin indispensable de gestion des biens saisis lorsque des actes d’administration sont nécessaires à la conservation de ceux-ci. Elle a été conçue comme une structure d’assistance juridique et pratique aux juridictions mais également comme un prestataire de services. Elle centralise les nombreuses saisies et s’assure de la bonne gestion de ces biens de leur confiscation au versement du produit de leur vente au budget général de l’État.

La création de cette agence a aussi faciliter la possibilité pour les magistrats de saisir des éléments du patrimoine des délinquants afin de pouvoir ensuite les confisquer et ensuite les revendre ou s’en servir pour l’indemnisation.

Sa mission peut être résumée ainsi : « s’assurer que le crime ne paie pas ! ». La création de cette procédure a pu avoir un impact, particulièrement en matière de criminalité organisée et de trafic de drogues, activités produisant des revenus particulièrement substantiels.

Les différents pôles.

L’AGRASC est composée de différents pôles pour s’adapter à la diversité des tâches.

Un pôle s’occupe de l’enregistrement et du contrôle des données transmises par les juridictions.

Le pôle juridique s’occupe de la gestion des numéraires, des comptes bancaires et des créances saisies. Sa deuxième mission consiste dans la responsabilité des décisions relatives aux restitutions et aux confiscations, la préparation des ventes de biens immobiliers avant jugement et ce pôle s’assure de l’indemnisation des victimes et de l’information des créanciers publics en cas de restitution.

Le pôle opérationnel s’occupe de la publication des saisies et confiscations immobilières pénales auprès des services de publicité foncière et de l’exécution des décisions de confiscation avec l’aide des notaires en matière immobilière. L’AGRASC assure la mission de mise à exécution des confiscations pénales immobilières pour le compte de l’État, puisque l’état est devenu propriétaire du bien.

Le pôle de gestion comprend une unité de gestion mobilière qui a en charge les ventes avant jugement. C’est le cas lorsque le juge d’instruction ou le procureur confie à l’AGRASC les biens meubles saisis susceptibles de se déprécier et qui ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité. Elle engage les frais relatifs aux biens confisqués, s’assure de leur entretien, de leur conservation et de leur mise en vente. Elle peut aussi être amenée à s’occuper de la gestion locative des immeubles saisis et confisqués. Elle sollicite éventuellement le concours des commissaires aux ventes, commissaires priseurs ou huissiers de justice.

Le pôle comptabilité gère les comptes dont dispose l’AGRASC à la Caisse des dépôts et consignations. En effet, les sommes saisies placées sur ce compte produisent intérêts au taux des consignations. C’est ce qui permet d’ailleurs une partie de son auto-financement (l’autre étant la vente des biens saisis). L’AGRASC s’occupe aussi des restitutions, des versements au budget de l’état, de l’indemnisation des parties civiles et du remboursement des créanciers publics et sociaux.

Les saisies pénales.

L’AGRASC centralise l’ensemble des saisies dans le cadre des procédures pénales : saisies numéraires, saisies des comptes bancaires, saisies des immeubles, saisies de patrimoine, saisies de biens sans dépossession etc.

L’AGRASC peut être chargée de l’ensemble des éléments composant le patrimoine d’une personne. Ainsi sont compris comptes bancaires, biens immobiliers mais aussi œuvres d’art, bateaux, voitures de luxe mais aussi armes, données informatiques ou tout autre produit direct ou indirect de l’infraction ou ayant servi à commettre le crime.

Sans définir la notion, le Code de procédure pénale expose les différents types de saisies spéciales et leur a donné un régime juridique commun. Ce sont des saisies spéciales à visée conservatoire, constituant ainsi une catégorie spéciale des saisies pénales.

Ces saisies sont autonomes par rapport aux procédures civiles d’exécution et ne constituent pas non plus une peine. Elles peuvent donc s’appliquer malgré des dispositions de procédure civile d’exécution contraires et sont le préalable à la peine de confiscation. Ces saisies peuvent avoir lieu pendant l’enquête et pendant l’instruction.

Les objets saisis le sont quelque soit le propriétaire. Même si le délinquant n’en avait que la libre disposition, le bien peut être saisi, sois réserve des droits du propriétaire de bonne foi.

Le propriétaire du bien saisi peut ensuite en demander la restitution. Ces saisies ont pour effet de rendre les biens concernés indisponibles jusqu’à leur mainlevée ou leur confiscation.

C’est le magistrat qui a autorisé la saisie qui va décider de la remise du bien à l’AGRASC ; sinon le propriétaire reste responsable de l’entretien et de la conservation du bien saisi durant tout le long de la saisie. L’AGRASC s’occupe alors de la gestion, conservation, prévention de la dépréciation, destruction et aliénation des biens saisis.

La procédure de saisie pénale.

La saisie pénale est une procédure par laquelle l’État prend la possession du bien d’un mis en cause ou d’un mis en examen.

C’est un officier de police judiciaire (OPJ) qui réalise la saisie en enquête de flagrance et en enquête préliminaire ainsi que sous commission rogatoire en information.

Les objets saisis doivent être inventoriés et placés sous scellés. On parle alors d’objets placés sous main de justice.

Afin de contester une saisie, il faut que celle-ci soit irrégulière et donc introduire une requête en nullité. Pour que celle-ci aboutisse, il faut donc remplir l’ensemble des conditions de fond et de forme nécessaires à la nullité.

Comment récupérer un bien saisi ?

Les biens saisis sont des objets placés sous main de justice. Afin de les récupérer, le propriétaire va devoir faire une requête en restitution. Cette requête devra être adressée au procureur de la République au stade de l’enquête, au juge d’instruction au stade de l’information ou par la juridiction saisie. Pour obtenir une restitution, il faut que la propriété de l’objet sous main de justice ne soit pas contestée.

Lorsque le propriétaire du bien saisi n’a reçu ni avis ni convocation pour retirer le bien, il doit remplir le Cerfa 13488*03 pour introduire une demande de restitution d’un objet placé sous main de justice au magistrat compétent.

Si la demande est rejetée, il est possible de faire un recours contre cette décision selon les modalités qui sont mentionnées dans le courrier de notification accompagnant la décision de refus.

Le rapport d’information de 2017 de la commission des finances du Sénat sur l’action de l’AGRASC expose que

« si la saisie patrimoniale est devenue un réflexe, poussée notamment par les services d’enquête pour qui le montant des saisies est un indicateur de performance, la confiscation demeure encore relativement rare en raison d’une certaine réticence de la part des juges ».

La vente des biens saisis.

L’AGRASC procède à l’ensemble des ventes avant jugement des biens meubles saisis, lorsque ces biens ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité et qu’ils sont sans propriétaire ou susceptibles de se dévaluer.

L’AGRASC a pour mission de s’assurer de la vente au meilleur prix des biens saisis et confisqués.

Le produit de la vente est versé au budget général de l’État. Dans le cas de condamnation pour infractions à la législation sur les stupéfiants, il est versé au fonds de concours « Stupéfiants », géré par la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Les produits des confiscations peuvent aussi être versés à des associations de prévention du proxénétisme et de la traite des êtres humaines par l’intermédiaire de la direction générale de la cohésion sociale, à la direction générale de la police nationale pour financer la protection des repentis et des collaborateurs de justice et aux juridictions et services d’enquête luttant contre la criminalité et délinquance organisées.

La vente des biens peut aussi bénéficier aux victimes parties civiles qui remplissent les conditions pour être indemnisées sur l’assiette des biens confisqués.

L’AGRASC informe les créanciers publics de la restitution d’un bien non confisqué afin d’assurer le paiement de toute créance fiscale, douanière ou sociale. Elle informe aussi les victimes titulaires d’une créance civile d’indemnisation afin que celles-ci puissent mettre en œuvre les voies d’exécution utiles avant restitution. Dans certaines conditions, l’AGRASC peut elle même indemniser les parties civiles.

La procédure de la vente des biens saisis.

La vente des biens saisis intervient lorsque la confiscation est devenue définitive. La procédure est confiée à un notaire dans le cadre d’un mandat de vente.

L’AGRASC a signé une convention avec le Conseil supérieur du notariat et ainsi des notaires sont référencés sur l’ensemble du territoire. Ces notaires vont être chargés de procéder à l’ensemble des formalités nécessaires à la vente de tout bien immobilier.

Dans le cadre des biens immobiliers, une fois la confiscation définitive, l’AGRASC est informée de cette décision par le service de l’exécution des peines. Un mandat de vente est alors confié à un notaire pour que celui-ci procède aux diligences nécessaires. Le dossier est définitivement clôturé pour l’AGRASC lorsque les fonds ont été versé aux bénéficiaires (Mildeca, victimes etc).

Du paiement des dommages et intérêts sur les biens confisqués.

Selon les dispositions de l’article 706-164 du Code de procédure pénale, toute personne qui, s’étant constitué partie civile, a bénéficié d’une décision définitive lui accordant des dommages et intérêts en réparation du préjudice qu’elle a subi d’une infraction pénale ainsi que de certains frais de justice et qui n’a pas obtenu ni indemnisation ou réparation ni aide au recouvrement, peut obtenir de l’AGRASC que ces sommes lui soient payées par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens de son débiteur dont la confiscation a été décidée par une décision définitive et dont l’agence est dépositaire.

Il convient de remarquer tout d’abord que l’indemnité est plafonnée.

Cet article pose deux conditions à l’indemnisation : caractériser une situation matérielle ou psychique grave du fait de l’infraction ainsi que de démontrer des ressources inférieures à un plafond.

La deuxième chambre civile a eu l’occasion de préciser dans un arrêt rendu le 16 janvier 2020 (n°18-20.973) qu’il fallait que l’AGRASC soit dépositaire des avoirs confisqués, comme le prévoit l’article 706-164, et que dans le cas contraire, aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit que l’AGRASC pourrait utiliser, pour satisfaire la demande des victimes, des ressources propres dont elle dispose. Lorsque les avoirs confisqués ne sont pas détenues par l’AGRASC, ce vide ne peut être compensé par les ressources propres de l’Agence.

Quelques données chiffrées sur L’AGRASC.

Un rapport d’information de 2017 de la commission des finances du Sénat sur l’action de l’AGRASC révélait que depuis sa création l’AGRASC a gérer plus de 8 000 comptes bancaires saisis, plus de 2 000 biens immobiliers, une cinquantaine de bateaux, plus de 3 500 véhicules et une quarantaine d’œuvres d’art entre autres.

En 2014, 7,4 millions d’euros versés à la Mildeca et 3,1 millions versés au budget général de l’État.

En 2015, 9 000 biens meubles représentant 17,2 millions d’euros ont été confisqués et 1 200 restitués.

En 2019, le montant des confiscations s’élevait à 253,4 millions d’euros dont 6,3 millions sont versés à l’AGRASC, 22,9 millions à la Mildeca et 118,9 millions au budget général de l’état.

Simon Takoudju, Avocat Clémence Vassard, Etudiante Barreau de Bordeaux Canopia Avocats mail: [->st@canopia-avocats.com] site web : https://www.stakoudju-avocat.fr