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Secret professionnel de l’avocat et droit de visite de l’administration fiscale : la France condamnée par la CEDH, par Philippe Mortimer
Parution : vendredi 10 octobre 2008
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La Cour Européenne des Droits de l’Homme, par un arrêt "ANDRÉ ET AUTRE c. FRANCE » rendu le 24 juillet 2008, a sérieusement freiné les ardeurs de l’administration fiscale, dans son droit de visite et de saisie pratiqué au domicile privé ou professionnel de l’avocat.

Dans le courant de l’année 2001, l’administration fiscale avait, sur autorisation du président du tribunal de grande instance de Marseille, mis en œuvre la procédure de visite et de saisie, prévue à l’article L.16 B du Livre des procédures fiscales, au domicile professionnel d’un avocat, dans le but de découvrir des documents susceptibles d’établir la fraude présumée d’une société cliente.

La Cour de Strasbourg, au visa de l’article 8 de la Convention, a estimé, en substance, que si les perquisitions et les saisies opérées chez un avocat par l’administration fiscale constituent un but « légitime » (celui de la défense de l’ordre public et la prévention des infractions pénales), elles portent toutefois incontestablement atteinte au secret professionnel, qui est à la base de la relation de confiance entre l’avocat et son client ; que dans ces conditions, les mesures doivent être, d’une part, proportionnelles au but visé, d’autre part, strictement encadrées.

Par voie de conséquence, la Cour a jugé que l’administration fiscale ne pouvait être autorisée à perquisitionner le cabinet d’un avocat sans que celui-ci n’ait été accusé ou soupçonné d’avoir commis une infraction ou participé à une fraude commise par sa cliente ; elle a en outre considéré, en substance, que la mise en œuvre de la perquisition et des saisies chez un avocat, n’était pas, au cas d’espèce, assortie de garanties suffisantes, dans la mesure où :

1. Le juge qui avait autorisé la visite domiciliaire était absent ;

2. La présence du bâtonnier et les contestations expresses de celui-ci n’ont pas été de nature à empêcher la consultation effective de tous les documents du cabinet, ainsi que leur saisie ;

3. L’autorisation donnée par le juge, rédigée en termes larges, a conféré aux fonctionnaires et aux officiers de police judiciaire des pouvoirs étendus ;

L’arrêt du 24 juillet 2008 donne donc un important coup d’arrêt à cette mesure coercitive que l’administration fiscale avait pris l’habitude d’employer dans le cadre de son pouvoir de contrôle, en sollicitant du juge l’autorisation de perquisitionner le cabinet de l’avocat d’un client à l’encontre duquel existe des présomptions de fraude, mais dont l’établissement de la preuve présente des difficultés (notamment l’absence de comptabilité). Probablement, cette décision devrait avoir également des répercussions sur les pouvoirs de perquisition dont sont munis d’autres autorités publiques, telles la direction générale des douanes et des droits indirects, ou la DGCCRF...

Compte tenu de l’absence d’effectivité, constatée par la Cour de Strasbourg, des garanties particulières devant assurer le respect du secret professionnel, la portée de cet arrêt pourrait entraîner une réécriture de l’article L.16 B du Livre des procédures fiscales.

Rappelons que cette disposition fiscale avait déjà été l’occasion pour le juge européen de condamner la France, cette fois-ci au visa de l’article 6-1 de la Convention (droit d’accès à un tribunal), en jugeant que la procédure de visite domiciliaire ne permettait pas un contrôle juridictionnel effectif, jurisprudence en outre confirmée dans cet arrêt du 24 juillet 2008.

Philippe Mortimer