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Acheteurs publics : du bon usage de la garantie de parfait achèvement. Par Tom Senegas, Avocat.
Parution : jeudi 29 septembre 2022
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Si la garantie de parfait achèvement offre une protection efficace au maître d’ouvrage public, son application lui impose rigueur et réactivité dans les opérations de réception et le suivi de cette garantie. Focus sur quelques fondamentaux.

Etape cruciale d’un marché public de travaux, la réception implique le transfert de la garde de l’ouvrage des constructeurs vers le maître d’ouvrage et constitue le point de départ du règlement financier final (décompte général définitif). Elle est aussi le point de départ des garanties des constructeurs. Parmi celles-ci figurent la garantie décennale et la garantie de parfait achèvement.

La première a pour objet de garantir le maître d’ouvrage pendant dix ans, après la réception des ouvrages achevés, des conséquences qui pourraient résulter des vices de construction non apparents au moment de la réception, en mettant la réparation de ces désordres à la charge du constructeur. Si son délai de mise en œuvre est long, son champ d’application est circonscrit aux seuls désordres compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination [1].

Il en est autrement de la garantie de parfait achèvement qui, si elle est soumise à des conditions - notamment de délai - bien plus strictes, couvre nettement plus de désordres. Le maître d’ouvrage public a donc tout intérêt, lorsque cela est possible, d’envisager sa mise en œuvre plutôt que celle de la garantie décennale, le plus souvent envisagée par défaut.

Une protection efficace face aux désordres.

Garantie légale [2] reprise par le cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux), auquel les documents particuliers [3] du marché font presque systématiquement référence, la garantie de parfait achèvement couvre, d’une part, les désordres apparents et qui ont donné lieu à des réserves à la réception et, d’autre part, les désordres apparus dans l’année suivant la réception et signalés via notification écrite dans ce même délai par le maître d’ouvrage. Ce faisant, en cas de désordre apparent mais non réservé à la réception, ou de désordre apparu dans l’année suivant la réception mais n’ayant pas été signalé dans ce délai, la garantie de parfait achèvement ne pourra pas jouer. A l’inverse de la garantie décennale, seules les entreprises sont débitrices de la garantie de parfait achèvement. Les autres constructeurs (architectes, ingénieurs-conseils, bureaux d’études, etc.) [4] en sont exclus.

Cette garantie s’avère très protectrice du maître d’ouvrage public en ce sens que, sous réserve d’avoir été signalée à la réception ou dans l’année la suivant, elle couvre toute non-conformité contractuelle ou aux règles de l’art. Il s’agit d’une garantie de plein droit, de sorte que sa mise en œuvre n’est pas subordonnée à la démonstration d’une faute de l’entreprise. En pratique, il n’en est pas moins préférable, en cas de contestation de l’entreprise sur la réalité ou l’imputabilité des désordres à cette dernière, de solliciter la tenue d’une expertise judiciaire. L’avance des frais inhérents à une telle mesure pèse par principe sur le maître d’ouvrage public qui en fait la demande. Ce coût peut s’avérer relativement important lorsque les opérations sont complexes et les parties nombreuses.

Pour autant, il s’agit d’une démarche bien souvent indispensable pour aboutir à un règlement amiable ou, à défaut, pour être en mesure d’établir devant le tribunal administratif la réalité des désordres et leur imputabilité à une ou plusieurs entreprises et, ainsi, les faire condamner. Dans le cadre des opérations d’expertise, l’acheteur public sera avisé de s’adjoindre les conseils d’un avocat spécialisé et d’un conseil technique.

L’importance d’une grande rigueur dans le suivi des désordres.

L’application de la garantie de parfait achèvement implique une double vigilance de la part du maître d’ouvrage public. Non seulement celui-ci doit être particulièrement alerte lors de la réception - et être utilement assisté par son maître d’œuvre, mais il doit également assurer un suivi rigoureux des éventuels désordres pouvant survenir au cours de l’année suivant ladite réception. Lesdits désordres imposent en effet au maître d’ouvrage de mettre en demeure l’entrepreneur d’y remédier avant une date qu’il fixe. A défaut, le délai est de trois mois avant l’expiration de la garantie. Il est vivement conseillé de se ménager la preuve de la notification, afin d’éviter toute contestation de la part de l’entreprise en cas de contentieux. Car, attention, à l’expiration du délai d’un an suivant la réception, l’entrepreneur est dégagé de ses obligations contractuelles, sauf garanties spéciales prévues par les documents particuliers du marché. Les sûretés éventuellement consenties (retenue de garantie par exemple) sont alors libérées [5].

Un point mérite une attention toute particulière : le délai de garantie est différent selon que les réserves ont été émises à la réception ou dans l’année suivant ladite réception.

S’agissant, d’une part, des désordres ayant fait l’objet de réserves à la réception, l’absence de décision expresse ultérieure du maître d’ouvrage ne signifie pas que lesdites réserves sont tacitement levées. Les relations contractuelles avec le titulaire se poursuivent en effet jusqu’à ce que ces réserves aient été expressément levées, quelle que soit la date de leur levée [6]. Ce faisant, dès lors que les réserves ont été émises à la réception, aucune démarche supplémentaire n’est requise de la part du maître d’ouvrage pour prolonger le délai de garantie.

S’agissant, d’autre part, des désordres ayant fait l’objet de réserves au cours de l’année de garantie suivant la réception, à l’inverse, l’absence de décision de prolongation avant l’expiration du délai de garantie fait perdre au maître d’ouvrage la possibilité de l’invoquer.

La sanction est alors particulièrement lourde pour ce dernier qui ne pourra plus invoquer, le plus souvent, que la garantie décennale. Or, on l’a vu, celle-ci ne couvre que les désordres de grande ampleur - affectant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination - ce qui dans de nombreux cas prive la collectivité publique de moyens d’action. Pour pouvoir invoquer cette garantie contre les désordres apparus post-réception, il incombe donc au maître d’ouvrage de la prolonger jusqu’à l’exécution complète des travaux de nature à permettre la reprise des désordres [7]. La jurisprudence en la matière est constante [8], faisant dire à un auteur qu’

« un maître d’ouvrage ne peut donc en aucune manière considérer que la notification de désordres postérieurement à la réception lui garantit un moyen d’action contre le titulaire au-delà de l’expiration du délai de garantie » [9].

A cet égard, il est intéressant d’observer que, selon la jurisprudence, une mise en demeure de procéder à la reprise des désordres apparus après la réception, assortie d’une décision expresse de prolongation simultanée de la garantie jusqu’à la complète exécution des travaux de reprise, interrompt régulièrement le délai annuel de garantie [10]. Ce faisant, si des désordres apparaissent seulement quelques semaines, voire quelques jours avant l’expiration du délai de garantie, l’acheteur public sera bien inspiré d’adresser un courrier de mise en demeure de procéder à la reprise des désordres et, à cette occasion, de prendre soin de prolonger la garantie jusqu’à la complète exécution des travaux de reprise.

Si la garantie de parfait achèvement s’avère indiscutablement protectrice, elle implique rigueur et réactivité de la part du maître d’ouvrage public, au risque de se retrouver dépourvu face aux désordres constatés…

Tom Senegas Avocat associé Selarl CAP - Conseil Affaires Publiques Spécialiste en Droit public & Commande publique

[1C. civ., art. 1792 et suiv. - CCAG-Travaux (versions 2009 modifiées et 2021), art. 44.

[2C. civ., art. 1792-6.

[3Cahier des clauses administratives particulières (CCAP).

[4V. en ce sens : CE, 20 mai 2009 : n° 296628.

[5CCAG-Travaux, art. 44.1.

[6CE, 26 janv. 2007  : n° 264306 - CAA Nantes, 6 juil. 2017  : n° 15NT02571.

[7CCAG-Travaux 2021, art. 44.2.

[8CAA Lyon, 16 sept. 1999, cne de Mison : n° 95LY00221 - CAA Versailles, 24 mai 2017 : n° 14VE00724.

[9J. Brulas - GPA : Le cadre strict d’une garantie de plein droit : Contrats publics n° 181, p. 30 & suiv., nov. 2017.

[10V. par ex. : CAA Nantes, 4 juin 2010 : n° 09NT02642.