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L’exercice des voies d’exécution à l’encontre d’un débiteur emprisonné. Par Rémi Oliveras, Clerc d’Huissier.
Parution : vendredi 30 septembre 2022
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Seule la mort met fin au devoir : pourquoi l’embastillement d’un débiteur devrait-elle le prémunir des voies d’exécution ?
Situation compliquée et souvent insoluble pour le professionnel, mais des solutions existent, qui nécessiteront bien évidemment des compétences accrues en médiation…

A la réception d’un dossier provenant d’un confrère métropolitain pour un dossier ayant dix ans d’âge avec un débiteur condamné par un tribunal correctionnel pour abus de confiance, nous avons pu constater que ledit débiteur était enregistré informatiquement sous un numéro d’écrou.

Après vérification, le débiteur a effectivement été récemment condamné à une peine de 13 ans de prison pour viol et réside habituellement à la maison d’arrêt de Basse-Terre.

La tâche va s’annoncer compliquée.

Quelles voies d’exécution sont possibles ?

La saisie-vente semble inenvisageable. La maison d’arrêt de Basse-Terre, qui présente des particularités intéressantes pour les amateurs d’art (pierre de taille, belles voûtes) mais également pour les écrivains (Henri Charrière n’aurait pas été dépaysé), dispose surtout de grands dortoirs, rendant difficile l’identification des biens du débiteur dont les seuls biens de valeur ne sont pas censés être possédés par un prisonnier (ex : téléphone portable).

Il convient donc préalablement d’effectuer une requête auprès du service des impôts, afin d’identifier un potentiel employeur, ou un bien immobilier encore possédé par le débiteur (mais selon la gravité du crime, il convient d’être rapide : l’AGRASC et le FGTI veillent ...)

Dans le cadre de notre dossier, si le débiteur ne possède aucun bien immobilier enregistré dans le ressort, il appert qu’il travaille auprès de l’administration pénitentiaire, ouvrant droit à une possibilité de déposer une requête en saisie des rémunérations.

Se pose donc la question pour le professionnel consciencieux de la présence du débiteur à l’audience. Généralement mal-aimée des magistrats, considérée comme une perte de temps par les huissiers de Justice, cette audience permet, en cas de présence du débiteur, de parvenir parfois à un accord qui évitera une exécution brutale.

Mais comment faire venir le débiteur emprisonné à une audience civile ?

Il n’existe aucune installation de visioconférence au Tribunal Judiciaire de Basse-Terre (ex-TI).

Il n’existe pas de budget pour faire déplacer le débiteur à l’audience (Voir à ce sujet l’avis du 22 juin 2017 rendu par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme et notamment son considérant 23 lié à un favoritisme régional dans l’attribution des budgets selon les DOM…).

Seule une solution existe. Aller rendre la justice a proximité du justiciable. L’audience foraine.

S’agit-il d’une audience foraine ?

Cette dernière est définie à l’article R124-2 du Code de l’Organisation Judiciaire :

« En fonction des nécessités locales, les juridictions judiciaires peuvent tenir des audiences foraines en des communes de leur propre ressort autres que celle où est fixé leur siège ».

L’audience foraine est donc définie comme étant en dehors de la commune du siège du tribunal Judiciaire. 

Son alinéa deux prévoit lui la procédure applicable :

« Le premier président de la cour d’appel, après avis du procureur général près cette cour, fixe, par ordonnance, le lieu, le jour et la nature de ces audiences ».

Or, cette procédure n’est possible qu’en cas d’une réelle audience foraine, dans le cadre d’une maison d’arrêt située en dehors du siège du tribunal Judiciaire.

En notre sens, l’article R124-2 du C.O.J est à entendre au sens large : doit être considéré comme audience foraine toute audience située en dehors du siège habituel du tribunal Judiciaire.

Il conviendrait donc d’adresser une requête au premier président de la Cour d’appel sur le fondement des articles R124-2 du C.O.J et 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, en précisant les raisons nécessitant d’organiser une audience « foraine » à la maison d’arrêt.

Bien évidemment, les règles de la courtoisie imposent d’en discuter préalablement avec le magistrat en charge habituellement de la saisie des rémunérations.

Afin de parer aux objections de madame la présidente, j’ai pris attache avec la maison d’arrêt afin d’étudier avec eux les modalités d’organisation : excepté la présentation de la carte professionnelle pour la magistrate et la greffière concernées ainsi que le blocage d’une salle du parloir des avocats, aucune formalité particulière ne nous a été demandé.

Chaque maison d’arrêt peut avoir ses propres règles applicables et il convient de ne pas éluder cette étape sous peine de se voir fermer les portes du pénitencier lors de votre arrivée sur place.

Muni des autorisations nécessaires, j’ai donc expliqué mon problème : réticente au début, madame la présidente a consenti à « demander à la prison les modalités d’organisation ».

Le travail ayant déjà été réalisé en amont pour lui épargner ces peines, il ne restait plus qu’une date d’audience à fixer.

La date d’audience fixée, rendez-vous le jour dit devant la maison d’arrêt, en présence de la greffière et de la magistrate en charge de la saisie des rémunérations.

Afin d’ajouter de la solennité à ce type d’audience, nous recommandons le port de la robe d’audience pour la totalité des intervenants.

Après les vérifications d’usage, avoir laissé les sacs et téléphones à l’entrée, pris le nécessaire pour l’audience (le traditionnel combo papier/stylo), nous entrons, passons des portes en fer qui ne s’ouvrent que sur commande, le temps que l’identité soit vérifié et revérifié.

Arrivée dans la salle d’audience (après avoir expliqué à trois reprises la raison de notre présence), nous attendons.

Le débiteur nous fera t-il l’honneur de sa présence (ce dernier conservant le droit de ne pas se présenter à l’audience) ? Oui.

Se présente donc un personnage dont les traits aurait pu inspirer Cesare Lombroso pour la rédaction de « l’Homme Criminel ».

Ce dernier nous confirme travailler en prison et toucher 265,00 euros mensuels.

Sur cette somme, il nous indique verser 50,00 euros sur le pécule de réinsertion et 50 euros pour les parties civiles.

La question des différents pécules méritent de s’y arrêter.

L’article 728-1 du Code de Procédure Pénale :

« I. - Les valeurs pécuniaires des détenus, inscrites à un compte nominatif ouvert à l’établissement pénitentiaire, sont divisées en trois parts : la première sur laquelle seules les parties civiles et les créanciers d’aliments peuvent faire valoir leurs droits ; la deuxième, affectée au pécule de libération, qui ne peut faire l’objet d’aucune voie d’exécution ; la troisième, laissée à la libre disposition des détenus ».

Est-il possible de faire une saisie-attribution sur les sommes détenues auprès de la maison d’arrêt, au titre de la première et troisième part du pécule ?

La Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 1er mars 2018 (N° de pourvoi : 16-20603 ), indique que :

« les dispositions de l’article D325 du Code de procédure pénale selon lesquelles l’indemnisation des parties civiles concernées par les condamnations inscrites à l’écrou est assurée sur la première part du compte nominatif institué par l’article D. 320-1 du Code de procédure pénale ne font pas obstacle à ce que ces parties civiles, de même que le FGTI, subrogé dans leurs droits, exercent, à l’instar des autres créanciers, une saisie-attribution, dans les conditions du droit commun, sur la part disponible du compte nominatif de l’auteur de l’infraction, conformément aux dispositions de l’article D333 du même code ».

La saisie-attribution est donc possible, mais l’article D320-1 du Code de Procédure Pénale prévoit le caractère alimentaire des sommes inférieures à 200,00 euros pour la première part du pécule.

Le débiteur doit donc travailler, travailler suffisamment, et être rémunéré correctement pour disposer d’un pécule important permettant une saisie-attribution qui ne serait pas considéré comme frustratoire.

Pour en revenir au dossier sujet du présent article, après d’interminables palabres avec le débiteur, un accord a finalement été signé, lui permettant de régler sa dette à hauteur de 50,00 euros mensuel.

Sans accord, sans présence du débiteur à l’audience, il n’aurait pas été possible de conclure un accord avec ce dernier.

Afin de mettre en place l’échéancier, il convient, enfin, d’envoyer ce dernier au service comptabilité de la maison d’arrêt.

Si l’huissier de Justice n’est pas tenu à une obligation de résultats il reste tenu à une obligation de moyens : ce petit guide devrait permettre de procéder sereinement en milieu carcéral.

Rémi Oliveras Clerc Collaborateur d'Huissier de Justice - Etude Nouvel (97100)