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Retour sur le rôle des référents harcèlement sexuel et agissements sexistes. Par Charlotte Bossuet, Avocate.
Parution : lundi 3 octobre 2022
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Dans l’objectif de renforcer la prévention et la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au sein des entreprises, la loi n° 2018-771 du 5 août 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a institué une nouvelle catégorie d’interlocuteurs spécifiques, dénommés « référents », dont les coordonnées doivent être affichées dans les lieux de travail conformément aux dispositions de l’article D1151-1 du Code du travail, au même titre que ceux des autres autorités et services compétents en la matière [1].
Dans quelles conditions ces référents sont-ils désignés ? Quelles sont leurs missions ? De quels moyens et formations disposent-ils ?

I - Les conditions de désignation des référents harcèlement sexuel.

Désignation du « référent CSE » dans les entreprises de plus de 11 salariés.

Aux termes de l’article L2314-1 du Code du travail, « un référent est désigné par le CSE parmi ses membres (…) pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité ».

Le CSE est donc libre de désigner en qualité de référent un élu, titulaire ou suppléant, de la délégation du personnel ou encore, le cas échéant, un délégué syndical. Selon l’article précité, cette désignation doit être faite à la majorité des membres présents.

Désignation du « référent Entreprise » dans les entreprises de plus de 250 salariés.

En plus de ce référent CSE, l’article L1153-5-1 du Code du travail dans ses dispositions entrées en vigueur le 1er janvier 2019 prévoit que

« dans toute entreprise de plus de 250 salariés, l’employeur doit désigner un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ».

Tout salarié est donc susceptible d’être désigné en qualité de référent Entreprise. En revanche, l’employeur ne peut sous-traiter cette mission à un prestataire extérieur comme il peut le faire par exemple pour le délégué à la protection des données (DPO). Le plus souvent et en toute logique, le référent Entreprise est intégré au service des ressources humaines. En tout état de cause, l’employeur devra veiller à ce qu’il dispose des compétences et de la formation nécessaires à l’accomplissement de ses missions.

Enfin, contrairement au référent CSE, la durée de sa mission n’est pas déterminée par la loi.

Ainsi, en principe, les entreprises de plus de 11 salariés disposent toutes d’un référent CSE auquel s’ajoute un référent Entreprise dans celles de plus de 250 salariés.

Un accord d’entreprise peut prévoir la désignation de plusieurs référents CSE et Entreprise ainsi que des référents suppléants. L’intérêt d’un tel accord est notamment d’éviter que ceux-ci ne soient impliqués dans la carrière des collaborateurs avec lesquels ils travaillent et de garantir une certaine neutralité.

II - Les missions des référents harcèlement sexuel.

Le Code du travail ne définit pas précisément les attributions des référents.

Missions du référent CSE.

L’article L2314-1 du Code du travail ne donne strictement aucune indication sur les attributions du référent CSE. Il est seulement rappelé qu’il intervient « en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ».

Missions du référent Entreprise.

L’article L1153-5-1 précité dispose que le référent désigné par l’employeur a pour mission « d’orienter, informer et accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement et les agissements sexistes », sans donner davantage de précisions.

On peut donc s’appuyer sur le guide pratique publié par la Direction générale du Travail [2] selon lequel les missions du référent Entreprise devraient être les suivantes :
- Réaliser des actions de formation et de sensibilisation des salariés et plus particulièrement du personnel encadrant ;
- Orienter les salariés victimes vers les autorités compétentes ;
- Mettre en œuvre des procédures visant à permettre le traitement des situations de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes (signalement, enquêtes…) ;
- Réaliser une enquête interne à la suite du signalement de faits de harcèlement sexuel dans l’entreprise.

Il convient de rappeler qu’outre l’obligation générale qui pèse sur l’employeur en matière de sécurité et de santé notamment psychologique au titre de l’article L4121-1 du Code du travail, l’article L1153-5 lui impose de

« prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner ».

Aussi, le référent, dans ses missions telles qu’énumérées par le ministère du Travail, a vocation à accompagner l’employeur dans son triple rôle de prévention (actions de formation et de sensibilisation), d’action et de sanction des faits portés à sa connaissance (mise en œuvre des procédures et réalisation d’une enquête internes).

Par ailleurs, en pratique, l’articulation des missions des référents Entreprise et CSE peut être précisée et encadrée par accord d’entreprise. Il va de soi qu’en l’absence de référent Entreprise, le référent CSE devrait avoir les mêmes missions.

III - Les moyens des référents harcèlement sexuel.

La loi est également très laconique sur les moyens attribués aux référents harcèlement sexuel.

Moyens du référent Entreprise.

Le Code du travail ne prévoit aucun moyen particulier, ni aucune formation particulière pour le référent Entreprise.

Par ailleurs, contrairement au référent CSE, le référent Entreprise ne jouit d’aucune protection particulière sauf celle accordée à tout salarié en vertu de l’article L1153-2 du Code du travail dans sa version entrée en vigueur le 1er septembre 2022 et qui prévoit qu’aucune personne « ayant de bonne foi, témoigné de faits de harcèlement sexuel ou relaté de tels faits ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L1121-2 » du même Code, à savoir faire l’objet d’une sanction disciplinaire ou d’une mesure discriminatoire.

Comme l’a relevé l’INRS, on peut imaginer que cette absence de protection spécifique est susceptible de constituer un obstacle pour le salarié ainsi désigné, qu’il s’agisse de l’acceptation ou de l’exercice de sa mission.

Moyens du référent CSE.

Le référent CSE ne bénéficie pas davantage de moyens particuliers outre ceux dont bénéficient les membres du CSE (crédit d’heures de délégation, liberté de circulation dans l’entreprise ou encore droit d’alerte).

La loi ne prévoit au bénéfice des référents CSE aucune formation spécifique.

En effet, les dispositions de l’article L2315-18 du Code du travail entrées en vigueur le 31 mars 2022, prévoient, comme pour tous les membres de la délégation du personnel, « la formation nécessaire à l’exercice de leurs missions en matière de santé, de sécurité et des conditions de travail ».

Or, aux termes de l’article R2315-9, cette formation a pour objet :

« 1° De développer leur aptitude à déceler et à mesurer les risques professionnels et leur capacité d’analyse des conditions de travail ; 2° De les initier aux méthodes et procédés à mettre en œuvre pour prévenir les risques professionnels et les conditions de travail ».

Il s’agit donc d’une formation générale sur les missions qui incombent aux membres de la délégation du personnel.

Aucune formation spécifique relative à la lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes n’est donc expressément prévue par la loi alors même que selon le ministère du Travail, ils peuvent avoir pour mission de piloter les actions de formation des salariés.

On peut regretter, en particulier, que le législateur n’ait pas expressément prévu l’obligation pour l’employeur de former les référents harcèlement sur les définitions juridiques du harcèlement sexuel et de l’outrage sexiste, sur les différentes formes que ces agissements peuvent prendre, sur les indices qui permettent de repérer de telles situations, sur les stratégies de recueil de la parole des victimes présumées mais aussi celui des auteurs présumés et enfin sur les préjudices notamment psychologiques que ces agissements sont susceptibles de causer aux victimes.

Là encore, il appartient à l’employeur, aux termes d’une lettre de mission adressée au référent Entreprise ou à un accord collectif de combler les lacunes de la loi en offrant des moyens supplémentaires et des actions de formations ciblées aux référents harcèlement sexuel, de façon à garantir l’effectivité de leurs missions.

Charlotte Bossuet Avocate au Barreau de Paris [->charlotte@bossuet-avocat.com]

[1Médecin du travail, service de santé au travail, inspection du travail et Défenseur des droits.