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Injonction de payer : quid de la juridiction saisie par l’effet de l’opposition. Par Colin Berthier, Avocat.
Parution : jeudi 6 octobre 2022
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La procédure d’injonction de payer, prévue par les articles 1405 à 1422 du Code de procédure civile, est une procédure non contradictoire destinée à permettre au créancier d’obtenir avec célérité et simplicité une décision de justice exécutoire. Lorsque le juge fait droit à la demande, le débiteur peut s’y opposer pour rétablir le débat contradictoire. En cas de refus par le juge saisi, le créancier demeure libre d’agir, au fond ou en référé.

En cas d’opposition du débiteur, le pouvoir normatif a désiré poursuivre ce double objectif de simplicité prévoyant que l’opposition saisisse directement la juridiction de l’affaire au fond, sans qu’il soit nécessaire de réintroduire une instance. Mais quelle juridiction ?

La compétence territoriale du juge de l’injonction est clairement régie par l’article 1406 du Code de procédure civile : le juge territorialement compétent est celui du lieu où demeure le ou l’un des débiteurs poursuivis.

L’opposition doit, en application de l’article 1415 du même Code, être formée auprès du greffe de la juridiction dont le juge ou le Président a rendu l’ordonnance portant injonction de payer.

Fort logiquement on est conduit à penser que le dépôt de l’opposition au greffe du tribunal le saisit de l’instance sur opposition. Pas nécessairement.

L’exception de compétence, prévue par l’article 1406 du Code de procédure civile constitue une protection du débiteur qui trouve sa justification dans le caractère rapide et non contradictoire de la procédure d’injonction de payer. Cette justification cesse donc dès lors que, par l’effet de l’opposition, l’affaire se trouve portée devant le tribunal selon la procédure au fond de droit commun.

En conséquence, l’article 1408 du même Code accorde au créancier la possibilité de désigner une juridiction de renvoi :

« Le créancier peut, dans la requête en injonction de payer, demander qu’en cas d’opposition, l’affaire soit immédiatement renvoyée devant la juridiction qu’il estime compétente ».

S’agissant de la procédure suite à l’opposition du débiteur, l’article 1417 du même Code dispose :

« Le tribunal statue sur la demande en recouvrement. Il connaît, dans les limites de sa compétence d’attribution, de la demande initiale et de toutes les demandes incidentes et défenses au fond. En cas de décision d’incompétence, ou dans le cas prévu à l’article 1408, l’affaire est renvoyée devant la juridiction compétente selon les règles prévues à l’article 82 ».

L’emploi du terme « demander » dans la lettre de l’article 1408 est malencontreux en ce qu’il peut conduire à analyser cette faculté comme une prétention que le juge de l’injonction serait libre de rejeter expressément, ou implicitement par la formule consacrée en la matière « rejetons la requête pour le surplus ». C’est d’ailleurs ce qui arrive fréquemment en pratique, le tribunal du domicile du débiteur se saisissant de l’instance sur opposition.

Une telle situation oblige le créancier désirant se prévaloir d’une exception de compétence ou d’une clause attributive de juridiction à soulever un incident. Procéduralement, la situation est aberrante : le créancier (qui demeure demandeur à l’instance sur opposition) est contraint de soulever l’incompétence de la juridiction qu’il a lui-même saisie.

Cette logique porte une sérieuse atteinte à l’intérêt de la procédure d’injonction de payer : Le créancier doit assumer le risque de poursuivre une procédure dans un tribunal parfois éloigné, alors qu’il aurait pu saisir son tribunal s’il avait choisi une autre procédure. Au sens de l’auteur la « demande » faite par le créancier de renvoyer l’affaire à la juridiction qu’il a désigné, s’impose à la juridiction saisie de l’opposition.

Premièrement, la formulation de l’article 1417 du Code de Procédure civile est impérative : « En cas de décision d’incompétence, ou dans le cas prévu à l’article 1408, l’affaire est renvoyée devant la juridiction compétente ». L’emploi du terme « est » semble interdire toute forme d’appréciation par le juge : en cas de décision d’incompétence, ou lorsque le créancier en a fait la demande, l’affaire est renvoyée dans la juridiction compétente.

Considérer que la faculté ouverte par l’article 1408 est une simple « demande » soumise à l’appréciation du juge, revient à l’assimiler à un déclinatoire de compétence. Dès lors le juge qui y ferait droit rendrait nécessairement une décision d’incompétence, rendant la formulation « En cas de décision d’incompétence, ou dans le cas prévu à l’article 1408 » parfaitement redondante.

Au surplus, l’analyse de cette « demande » impliquerait un processus juridictionnel qui priverait d’effet l’adverbe « immédiatement » introduit dans l’article 1408.

Deuxièmement, même si la formulation de l’article 1417, associant la « demande » de l’article 1408 à une décision d’incompétence n’est pas dénuée d’ambiguïté, il s’agit néanmoins de situations distinctes tant dans leur nature que dans leur temporalité.

En réalité, la « décision d’incompétence » implique, dans le processus judiciaire, qu’une juridiction ait été saisie du litige sur le fond et ait souverainement estimée, suite à un débat contradictoire, ne pas être compétente pour statuer. Il s’agit donc d’une décision de justice.

Le « cas prévu à l’article 1408 » impose de transférer le dossier à la juridiction désignée « immédiatement », donc avant même qu’une juridiction soit saisie de l’opposition. Il n’y a alors lieu ni à un débat contradictoire, ni à une décision judiciaire. L’affaire est transmise à la juridiction désignée devant laquelle un déclinatoire de compétence pourra être soulevé. La situation se veut similaire à celle qui aurait eu lieu si le créancier avait saisi la juridiction qu’il estime compétente par voie d’assignation. Ce qui est confirmé par le fait qu’il conserve la qualité de demandeur à l’instance, alors même qu’il est, par nature, défendeur à l’opposition.

Troisièmement, la spécificité de la juridiction saisie de l’injonction s’oppose à ce que cette dernière tranche les questions de compétence. Le juge de l’injonction de payer constitue une juridiction d’exception dont le pouvoir juridictionnel est strictement limité par l’article 1409 du Code de procédure civile, celui-ci devant statuer sur le bien ou le mal fondé de la demande en paiement.

En conclusion, la demande formée en application de l’article 1408 du Code de procédure civile s’impose au juge de l’injonction, qui ne dispose pas du pouvoir juridictionnel pour statuer sur la compétence de la juridiction de renvoi, ainsi qu’au tribunal dont il dépend qui, n’étant pas saisi, ne peut statuer les questions de compétence. Inversement, l’article 1417 du Code de procédure civile confère ce pouvoir au Tribunal saisi de l’instance sur opposition.

Les parties demeurent donc libres de présenter un déclinatoire de compétence devant la juridiction désignée par le créancier, celle-ci étant libre d’apprécier sa compétence conformément aux dispositions de droit commun et, si nécessaire, de renvoyer l’affaire à une autre juridiction, fusse celle qui a enregistré l’opposition. C’est, à tout le moins, le raisonnement soutenu par l’auteur et validé par certaines juridictions .

Ce raisonnement n’est toutefois pas transposable à la procédure d’injonction de payer européenne prévue aux articles 1424-1 à1424-15 du même Code, qui ne permet pas au créancier de désigner une juridiction de renvoi.

Colin Berthier Avocat au Barreau de Lyon