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Ordonnance de protection, encore un effort ! Par Kristell Compain-Lecroisey, Avocate.
Parution : samedi 1er octobre 2022
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« Mesdames, la République n’a pas su vous protéger », a reconnu Monsieur le Président de la République Emmanuel Macron dans un post Facebook publié le 6 juillet 2019. Cette déclaration peut surprendre vu les lois et nombreux décrets, arrêtés, ordonnances, circulaires… publiés ces dix dernières années !
Votée en 2010, l’ordonnance de protection a déjà été modifiée à plusieurs reprises démontrant son peu d’efficacité.

La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause nationale en 2010. Entre 2006 et 2014, trois grandes lois ont été adoptées permettant, entre autres, la criminalisation du viol entre époux et la sanction des mutilations sexuelles. Ces lois ont aussi pénalisé le harcèlement moral et sexuel sur les lieux de travail et introduit des stages de responsabilisation pour les auteurs de violences.

La France s’est également dotée en 2010 d’un outil important inspiré du modèle espagnol : l’ordonnance de protection. A peine douze ans plus tard, la loi a déjà été modifiée à plusieurs reprises démontrant son peu d’efficacité [1] [2].

Une mesure civile relevant de la compétence du juge aux affaires familiales.

L’ordonnance de protection est une mesure ordonnée en urgence par le juge aux affaires familiales pour protéger les victimes y compris les enfants, de violences au sein du couple et la personne majeure menacée de mariage forcé.

La procédure est régie par les articles 515-9 à 515-13 Code civil et les articles 1136-3 à 1136-15 du code de procédure civile. Elle vise à s’appliquer au plus grand nombre car le couple est entendu au sens large et concerne aussi bien le couple marié, non marié, le couple séparé et même lorsqu’il n’y a pas de cohabitation.

L’urgence tient à la procédure et non à la situation de la victime. En effet, le juge aux affaires familiales doit rendre l’ordonnance de protection dans un délai maximal de six jours à compter de la décision qui fixe la date d’audience.
Déjà un premier regret : le non respect de ce délai par le juge n’est assorti d’aucune sanction.

La saisine du juge.

Si l’avocat n’est pas obligatoire, la saisine du juge par la victime elle-même est le parcours du combattant.

Le juge est saisi par voie de requête. Dès réception de la requête, le juge rend sans délai une première ordonnance qui fixe la date d’audience et qui est notifiée au demandeur par le greffe par tout moyen donnant date certaine ou remise en mains propres. Cela implique donc que le greffe a les coordonnées de la victime ce qui pose problème si elle veut dissimuler son adresse.

La victime doit signifier cette ordonnance qui fixe la date d’audience avec la requête et les pièces au défendeur, donc l’auteur des violences. La notification vaut convocation.

Si la victime est assistée par un avocat, cette signification doit être faite dans un délai de deux jours. Si elle n’est pas assistée par un avocat, la signification est réalisée à l’initiative du greffe. De prime abord, la victime non assistée par un avocat est donc privilégiée ce qui est contestable dans un contentieux très procédural et conflictuel où l’assistance par un avocat est primordiale pour défendre les droits de la victime. En pratique, faute de moyens et faute de temps, le greffe ne signifie pas l’ordonnance fixant la date d’audience ce qui pénalise la victime non assistée par un avocat.
Par exemple : à Bordeaux, l’Ordre des avocats a mis en place une permanence permettant au greffe qui reçoit une requête sans avocat de contacter l’avocat de permanence pour qu’il assiste et représente la victime avec son accord.

La signification par huissier imposée à la victime soulève également la question du coût et ce d’autant que les huissiers ne travaillent pas à l’aide juridictionnelle provisoire. L’Association des Femmes Huissiers de Justice de France s’est rapidement mobilisée pour proposer de délivrer des actes gratuitement.
A noter que le Bureau d’aide juridictionnelle du Tribunal Judiciaire de Bordeaux s’est engagé à traiter les dossiers de demande d’aide juridictionnelle en priorité et à rendre une décision dans un délai de 24 heures.

Les conditions pour bénéficier de l’ordonnance de protection.

Pour bénéficier de la protection, la victime doit prouver deux conditions cumulatives : la vraisemblance des violences et la vraisemblance d’un danger, notions très difficiles à prouver.

Le pouvoir souverain d’appréciation du juge aux affaires familiales conduit à des appréciations très diverses d’une juridiction à l’autre et y compris au sein d’une même juridiction : si la victime reste, elle n’est pas en danger ; si elle quitte son compagnon et a trouvé refuge ailleurs c’est qu’elle n’est plus en danger ; si la victime maintient les liens entre le père et les enfants c’est qu’elle ne se sent pas en danger …..

Il a fallu attendre 2020 pour que la loi précise que la saisine du juge aux affaires familiales n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable, ce qui est une avancée compte tenu du peu de plaintes déposées par les victimes.

Les mesures de protection.

Parmi les mesures de protection, le juge peut selon la situation de la victime [3] :
- attribuer la jouissance du logement à la victime même si elle a bénéficié d’un hébergement d’urgence, prononcer l’éviction du conjoint violent et le condamner à payer les frais du logement.
- condamner le conjoint violent à contribuer aux charges du mariage pour les couples mariés, et à l’aide matérielle au sens de l’article 515-4 pour les partenaires d’un pacte civil de solidarité.
- proposer au conjoint violent une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes.
- interdire au conjoint violent d’entrer en contact avec la victime, de porter une arme et lui imposer de remettre au service de police ou de gendarmerie le plus proche du lieu de son domicile les armes dont il est détenteur.
- ordonner avec l’accord des deux conjoints le port par chacun d’eux d’un dispositif électronique mobile anti-rapprochement ; en cas de refus du conjoint violent, le juge aux affaires familiales en avise immédiatement le procureur de la République ; dans la réalité peu de juridictions sont équipées de bracelets anti-rapprochement.

Le téléphone grave danger est délivré par le Procureur de la République.

Depuis 2020, une passerelle permet en cas de rejet de l’ordonnance de protection de demander au juge un renvoi au fond pour statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et la contribution à l’entretien et l’éducation des enfants, ce qui évite aux parties d’avoir à recommencer une procédure.

Une durée limitée des mesures de protection.

Les mesures fixées dans l’ordonnance de protection sont prises pour une durée maximale de six mois renouvelable une fois si une demande en divorce ou en séparation de corps a été déposée ou si le juge aux affaires familiales a été saisi d’une demande relative à l’exercice de l’autorité parentale, et ce dans le premier délai de six mois.
Ce délai de six mois est très court et laisse peu de temps à la victime traumatisée pour engager les démarches nécessaires. Suite au grenelle des violences conjugales, la notion d’emprise est entrée dans le code civil, témoignant d’une volonté des pouvoirs publics de lutter contre ce phénomène qui échappait jusque-là à la justice [4].

Le rôle du ministère public.

Le juge aux affaires familiales peut être également saisi directement par le ministère public. Depuis 2020, même si le nombre des poursuites pénales et des comparutions immédiates ont augmenté, le Procureur de la république ne s’est pas encore emparé de l’ordonnance de protection et saisit trop peu le juge aux affaires familiales.

En cas de saisine directement par la victime, le ministère public est aussitôt avisé par le greffier du dépôt de la requête et de la date de l’audience. Le ministère doit rendre un avis.

Lorsque le juge délivre une ordonnance de protection, il en informe sans délai le procureur de la République, auquel il signale également les violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants.

Le non respect par l’auteur des violences des mesures fixée dans l’ordonnance de protection constitue un délit au sens des articles 227-4-2 et 227-4-3 du Code pénal.

Un dispositif à améliorer.

Alors que près de 220 000 femmes sont victimes de violences conjugales chaque année en France, seulement 4 000 requêtes en ordonnance de protection ont été déposées en 2019 contre 40 000 demandes d’ordonnance de protection en Espagne ; sur les 4 000 demandes 64% d’ordonnances de protection sont accordées soit 2560 ordonnances rendues en 2019.

On peut regretter dans ces réformes successives l’absence de référence aux violences intra-familiales puisque l’article 515-9 du Code civil vise les violences exercées au sein du couple alors qu’en réalité ce sont des violences exercées au sein de la famille et dans de très nombreux cas au vu et au su des enfants qui sont des victimes parfois un peu oubliées du juge aux affaires familiales centré sur sa mission de co-parentalité : un mari violent n’est pas nécessairement un mauvais père !!!!!.

Vœu partiellement exaucé puisque depuis le 1er février 2022, date d’entrée en vigueur du décret n°2021-1526 du 23 novembre 2021, lorsque les violences sont commises en présence d’un enfant mineur, le mineur est considéré non plus comme un simple témoin mais comme victime avec possibilité de se constituer partie civile.

Multiplier les textes n’est donc pas la solution.

L’inflation législative n’est pas toujours un signe de bonne santé de la justice et rime parfois avec contexte politique ou réponse démagogique. Changer de paradigme, former les professionnels, coordonner tous les acteurs, donner des moyens financiers, prendre en charge les auteurs de violences, développer la justice restaurative sont autant de pistes de réflexion.

Article initialement publié dans la Revue des libertés fondamentales du Barreau de Bordeaux.

Kristell Compain-Lecroisey Avocate au Barreau de Bordeaux Spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine

[1Loi n°2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

[2Loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Décret n°2020-636 du 27 mai 2020 portant application des articles 2 et 4 de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
Décret n°2020-841 du 3 juillet 2020 modifiant les articles 1136-3 du code de procédure civile et R. 93 du code de procédure pénale.
Arrêté du 21 juillet 2020 portant modification de l’arrêté du 28 février 2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice
Loi n°2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
Décret n°2021-1516 du 23 novembre 2021 tendant à renforcer l’effectivité des droits des personnes victimes d’infractions commises au sein du couple ou de la famille.
Loi n°2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure.

[3Articles 515-11 et 515-11-1 du Code civil.

[4Article 373-2-10 du Code civil