Village de la Justice www.village-justice.com

Point de vigilance sur l’utilisation des compléments d’heures. Par Pierre-Louis Vignancour, Avocat.
Parution : mardi 4 octobre 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/point-vigilance-sur-utilisation-des-complements-heures,43839.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Aux termes d’un arrêt en date du 21 septembre 2022 publié au bulletin (n°20-10.701), la chambre sociale de la Cour de Cassation précise pour la première fois que la conclusion d’un avenant de complément d’heures à un contrat de travail à temps partiel ne peut avoir pour effet de porter la durée du travail convenue à un niveau égal à la durée légale du travail ou à la durée fixée conventionnellement.

Le « complément d’heures » est un dispositif créé en 2013 permettant d’augmenter temporairement la durée du travail d’un salarié à temps partiel sur une période donnée, par avenant au contrat de travail. Un accord de branche étendu doit permettre sa mise en place. Il ne doit pas être confondu avec le mécanisme des « heures complémentaires », effectuées par le salarié au-delà de la durée prévue au contrat de travail à temps partiel et qui font nécessairement l’objet d’une majoration de salaire.

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation est particulièrement intéressant car les Hauts-Magistrats juxtaposent les dispositions applicables aux compléments d’heures et aux heures complémentaires pour motiver leur décision. Selon l’article L3123-17 alinéa 2 du Code du Travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n°2016-1088 [1], les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale ou conventionnelle de travail. Pour la Cour de Cassation, il en va de même s’agissant du complément d’heures.

1. L’affaire.

Une salariée engagée par une entreprise de propreté, ayant fait l’objet de nombreux transferts, a conclu en dernier lieu un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (correspondant à 86,67 heures mensuelles). Par la suite, le 22 décembre 2014, celle-ci a conclu avec son employeur un avenant portant sa durée mensuelle de travail à 152 heures pour la période du 1er janvier au 6 novembre 2015. L’article 6.2.5.2 de la convention collective nationale de la Propreté permet le recours au complément d’heures par avenant.

Le 21 avril 2016, la salariée a saisi le Conseil de Prud’hommes de Boulogne-Billancourt d’une demande en requalification de son contrat de travail à temps partiel en temps plein à compter du 1er janvier 2015, et sollicité le paiement de diverses sommes.

Le Conseil de Prud’hommes a débouté la salariée de ses demandes, relevant qu’il n’y avait pas lieu à requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein.

La Cour d’Appel de Versailles a confirmé le jugement entrepris, considérant que l’avenant augmentant temporairement sa durée contractuelle était conforme aux dispositions de l’ancien article L3123-25 du Code du Travail et de l’article 6.2.5.2 de la convention collective de la Propreté.

La salariée a formé un pourvoi en cassation. A l’appui de son pourvoi, la salariée invoquait deux moyens de cassation. Le premier, jugé recevable par la Cour de Cassation, portait sur la violation de la loi. En effet, la salariée considérait que la conclusion d’un avenant à son contrat de travail sur le fondement de l’article L3123-25 du Code du travail en sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 prévoyant l’accomplissement d’heures complémentaires ne pouvait avoir pour effet de porter sa durée du travail à un niveau égal ou supérieur à la durée légale du travail. C’est ce moyen qui a donné lieu à la cassation de l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles.

2. La position de la Cour de Cassation.

La Cour de Cassation, prenant appui sur les dispositions du Code du Travail concernant les heures complémentaires, relève que le recours aux compléments d’heures par voie d’avenant au contrat de travail ne peut conduire les parties à augmenter temporairement la durée du travail à un niveau égal à la durée légale ou conventionnelle de travail.

Ainsi, elle casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’Appel de Versailles et renvoie l’affaire devant la même cour, autrement composée.

Cet arrêt rendu par la Cour de Cassation constitue une première pierre dans l’encadrement du recours au dispositif de complément d’heures.

En effet, le dispositif permettant de conclure des compléments d’heures par avenant au contrat de travail suscite un certain nombre d’interrogations compte tenu de l’imprécision de la loi : il n’est pas prévu de limitation, tant s’agissant de la durée d’application de l’avenant que du volume du complément d’heures pouvant être réalisé. A cet égard, pour revenir au cas d’espèce, la convention collective de la Propreté est également taisante sur ces deux points.

Par cet arrêt rendu le 21 septembre 2022, la Cour de Cassation vient dès lors préciser pour la première fois que le volume de compléments d’heures prévu par avenant au contrat de travail ne peut avoir pour effet de porter la durée du travail à un niveau égal ou supérieur à la durée légale ou conventionnelle de temps plein.

Si cette issue pouvait être attendue, la Cour de Cassation ne précise toutefois pas les conséquences de ce dépassement sur le contrat de travail de l’intéressé. A cet égard, le rapporteur devant l’Assemblée Nationale du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi [2], portant création du dispositif de complément d’heures, précisait que

« rien n’interdit que le dispositif des compléments d’heures puisse permettre au salarié d’atteindre temporairement la durée légale du travail, auquel cas son contrat est assimilable à un contrat à temps plein le temps de la durée de l’avenant » [3].

Pour sa part, le rapporteur devant le Sénat considérait que l’employeur prenait un risque de requalification du contrat de travail à temps partiel en temps plein dans cette hypothèse [4].

Il semblerait que la jurisprudence se dirige, de la même manière que pour les heures complémentaires, vers la sanction de la requalification en contrat de travail à temps plein en cas de conclusion d’un complément d’heures ayant pour effet de porter la durée du travail à un niveau égal de la durée légale ou conventionnelle de travail.

Reste aussi à savoir quelle durée maximale peut faire l’objet d’un complément d’heures, point qui n’avait pas été soulevé par la salariée au cas d’espèce et qui n’a donc pas été abordé par la Cour de Cassation mais qu’il faudra préciser rapidement.

Pierre-Louis Vignancour Avocat à la Cour d'Appel de Paris Karman Associés https://www.karman-associes.com/ [->pl.vignancour@karman-associes.com]

[1Devenu article L3123-9 du Code du Travail.

[2Loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.

[3Débat AN - Rapport 847.

[4Débat Sénat - Rapport 501.