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Abandon de poste = démission présumée et exclusion du régime d’assurance chômage. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : vendredi 7 octobre 2022
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Le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 relatif à la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste a été publié au journal officiel le 18 avril 2023.
La présomption de démission est donc applicable à compter du 19 avril 2023 (soit le lendemain de la publication au JO).
Au premier semestre 2022, 70% des licenciements pour faute grave ou lourde dans le secteur privé seraient motivés par un abandon de poste (Etude Dares février 2023).

Article mis à jour par son auteur en avril 2023.

L’article 4 de la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi prévoit une exclusion du régime d’assurance chômage pour les salariés qui abandonnent leur poste.

La loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 intègre un nouvel article L1237-1-1 du Code du travail qui prévoit une présomption de démission du salarié qui abandonne son poste et donc son exclusion de l’assurance chômage.

Le salarié peut toutefois saisir le conseil de prud’hommes directement devant le bureau de jugement et faire requalifier la démission en licenciement aux tords de l’employeur pour bénéficier de l’assurance chômage.

Dans sa décision du 15 décembre 2022, le Conseil constitutionnel a validé l’intégralité de la loi Marché du travail.

L’article L1237-1-1 du Code du travail, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution, a affirmé le conseil constitutionnel.

1) L’article L1237-1-1 du Code du travail : présomption de démission du salarié en cas d’abandon de poste.

L’article L1237-1-1 nouveau du Code du travail dispose que :

« Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure à cette fin, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, est présumé démissionnaire. Le salarié qui conteste la rupture de son contrat de travail sur le fondement de cette présomption peut saisir le conseil de prud’hommes.
L’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui se prononce sur la nature de la rupture et les conséquences associées. Il statue au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.
Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’exécution du présent article
 ».

Le décret du 17 avril 2023 détermine les modalités d’exécution de l’article L1237-1-1 du Code du travail. 

2) Critique du nouvel article L1237-1-1 du Code du travail.

Cet article vise à exclure du bénéfice de l’assurance chômage les salariés licenciés pour abandon de poste.

Etonnement, l’article L1237-1-1 ne tend pas à modifier la convention d’assurance chômage mais le Code du travail.

Selon le nouvel article L1237-1-1 du Code du travail, le salarié qui abandonne son poste serait à l’avenir « présumé démissionnaire ».

Il pourrait ensuite saisir directement devant le bureau de jugement le conseil de prud’hommes pour faire juger que la rupture s’analyse en un licenciement sans cause.

Et ensuite obtenir l’attestation Pole Emploi, sésame indispensable pour obtenir les allocations Pole Emploi.

Selon nous, le nouvel article L1237-1-1 du Code du travail est critiquable pour les raisons suivantes :

2.1) 70% des licenciements pour faute grave ou lourde dans le secteur privé seraient motivés par un abandon de poste.

Au 1er semestre 2022, environ 70% des licenciements pour faute grave ou lourde dans le secteur privé seraient motivés par un abandon de poste.

Cela représente 123 000 salariés, dont 116 000 en CDI. Dans les trois mois suivant l’abandon de leur CDI, 55 % des personnes s’inscrivent à Pôle emploi et 37% accèdent au moins une fois à un nouvel emploi (Etude Dares février 2023).

2.2) La démission ne se présume pas.

La démission est l’acte par lequel le salarié fait connaître à son employeur sa décision de résilier son contrat de travail (Mémento Pratique Lefebvre 2022, n° 69005).

Elle doit résulter d’une volonté claire et non équivoque du salarié.

Instituer une présomption de démission serait totalement changer de paradigme sur le droit de la démission.

2.3) Jusqu’à présent, quel que soit le motif licenciement (faute grave ou lourde, économique), un salarié est éligible aux allocations chômage dès lors qu’il a travaillé au moins 6 mois au cours des 24 ou 36 derniers mois, qu’il est involontairement privé d’emploi et qu’il réside en France métropolitaine, dans un département d’outre-mer ou bien dans une collectivité d’outre-mer concernée par ce régime [1].

Si la loi est promulguée, cela revient à mieux traiter un salarié licencié pour faute lourde (c’est-à-dire licencié avec l’intention de nuire à son employeur) qu’un salarié qui abandonne son poste !

2.4) Le nouvel article L1237-1-1 du Code du travail prévoit que le salarié peut saisir le conseil de prud’hommes pour faire juger que la « démission présumée » s’analyse en licenciement sans cause.

Ceci est un leurre.

En pratique, il sera quasiment impossible au salarié d’être jugé dans un délai d’un mois.

Si l’affaire est audiencée dans un délai d’un mois, le salarié s’expose à une demande de renvoi de l’affaire, pour que son employeur (ou son conseil) puisse mettre en état son dossier.

En pratique, le salarié a peu de chance d’obtenir un jugement avant plusieurs mois.

Ce qui le dissuadera probablement de frapper à la porte de Pole Emploi pour réclamer des allocations.

2.5) Le salarié pourra toutefois, s’il n’a pas retrouvé d’emploi après 4 mois (121 jours) et s’il justifie de recherches d’emploi suffisantes, demander à bénéficier des allocations chômage après être passé devant une commission paritaire de Pole Emploi [2].

3) Aspects pratiques.

3.1) Saisine du conseil de prud’hommes par le salarié pour faire produire la « démission présumée » les effets d’une prise d’acte aux tords de l’employeur.

Le salarié pourra saisir le conseil de prud’hommes pour que ce dernier fasse produire à sa « démission présumée » en prise d’acte aux tords de l’employeur.

S’il peut justifier d’une faute grave de son employeur, le salarié pourra demande au conseil de prud’hommes faire produire à sa « démission présumée » les effets d’un licenciement nul (en cas de harcèlement moral) ou sans cause réelle et sérieuse (en cas de faute grave).

3.2) Le licenciement pour abandon de poste reste t-il ouvert à l’employeur ?

Selon nous, rien n’interdit à l’employeur de notifier au salarié qui abandonne son poste un licenciement après l’entrée en vigueur de la loi ci-après.

Cela lui évitera le risque judiciaire décrit au paragraphe 4.1 ci-dessus inhérent à toute procédure.

En effet, sauf modification sur ce point, Pole Emploi ne vérifie pas le motif de licenciement.

Selon le Questions-Réponses publié par le ministère du travail, actualisé le 18 avril 2023, « si l’employeur désire mettre fin à la relation de travail avec le salarié qui a abandonné son poste, il doit mettre en œuvre la procédure de mise en demeure et de présomption de démission. Il n’a plus vocation à engager une procédure de licenciement pour faute ».

A notre sens, l’article L1237-1-1 n’interdit pas à un employeur de procéder à un licenciement pour abandon de poste.

En effet, l’article R1237-13 du Code du travail prévoit que « l’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission prévue à l’article L1237-1-1 le met en demeure ».

Ainsi, selon nous, la mise en demeure n’est obligatoire que pour l’employeur qui entend se prévaloir de la présomption de démission.

Un employeur pourrait donc préférer ne pas se prévaloir de cette présomption et choisir la voie du licenciement pour faute grave, notamment pour éviter le risque judiciaire inhérent à cette nouvelle procédure.

4) L’article L1237-1-1 du Code du travail est conforme à la Constitution.

La motivation du conseil constitutionnel pour valider l’article L1237-1-1 du Code du travail est la suivante :

L’article 4 de la loi insère au sein du Code du travail un nouvel article L1237-1-1 instituant une présomption de démission du salarié en cas d’abandon de poste.

Les députés requérants soutiennent que, en assimilant l’abandon de poste à une démission, ces dispositions priveraient du bénéfice du régime d’assurance chômage des personnes conduites à abandonner leur poste pour des motifs indépendants de leur volonté. Il en résulterait une méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Ils reprochent en outre à ces dispositions d’instituer une différence de traitement, au regard du droit à indemnisation au titre de l’assurance chômage, entre les salariés en situation d’abandon de poste selon que leur employeur procède au licenciement ou se prévaut de la présomption de démission qu’elles instaurent. Elles seraient ainsi contraires au principe d’égalité devant la loi.

Les dispositions contestées prévoient que le salarié qui a abandonné volontairement son poste est présumé avoir démissionné s’il ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure par son employeur de justifier de son absence et de reprendre son poste dans un certain délai. En application de l’article L5422-1 du Code du travail, elles peuvent ainsi avoir pour effet de priver le salarié concerné de son droit à l’allocation d’assurance des travailleurs privés d’emploi.

Ces dispositions sont susceptibles de porter atteinte au droit d’obtenir un emploi, garanti par le cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux exigences constitutionnelles mentionnées au paragraphe 16.

Toutefois, en premier lieu, d’une part, les dispositions contestées ne s’appliquent que dans le cas où le salarié a volontairement abandonné son poste. Il ressort des travaux préparatoires que l’abandon de poste ne peut pas revêtir un caractère volontaire si, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, il est justifié par un motif légitime, tel que des raisons médicales, l’exercice du droit de grève, l’exercice du droit de retrait, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou encore son refus d’une modification unilatérale d’un élément essentiel du contrat de travail.

D’autre part, le salarié ne peut être réputé démissionnaire qu’après avoir été mis en demeure, par son employeur, de justifier d’un tel motif et de reprendre son poste dans un délai déterminé, qui ne peut être inférieur à un minimum fixé par décret en Conseil d’État.

En second lieu, la présomption de démission instituée par les dispositions contestées est une présomption simple, qui peut donc être renversée par le salarié qui entend contester la rupture de son contrat de travail. Le conseil de prud’hommes saisi d’une telle contestation statue alors au fond, sans conciliation préalable, dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doit être écarté.

Par ailleurs, les dispositions contestées, qui n’instituent par elles-mêmes aucune différence de traitement, ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi.

Par conséquent, l’article L1237-1-1 du Code du travail, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

5) Que prévoit le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 ?

La loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 entre en vigueur à compter du 23 décembre 2022.

Ces dispositions ne seront applicables qu’aux ruptures de contrat de travail (démission ou licenciement) postérieures au 23 décembre 2022.

Toutefois, les dispositions sur l’abandon de poste et l’article L1237-1-1 du Code du travail n’entreront en vigueur qu’après la publication du décret d’application qui prévoira les modalités pratiques d’application du texte.

Le décret n° 2023-275 du 17 avril 2023 est relatif à la mise en œuvre de la présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié.

Le décret insère une section 4, intitulée « démission », au sein du chapitre VII du titre III du livre II de la première partie du code du travail.

Au sein de cette section 4 ; figure l’article R1237-13 qui dispose que :

« l’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission prévue à l’article L1237-1-1 le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste.

Dans le cas où le salarié entend se prévaloir auprès de l’employeur d’un motif légitime de nature à faire obstacle à une présomption de démission, tel que, notamment, des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait prévu à l’article L4131-1, l’exercice du droit de grève prévu à l’article L2511-1, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation ou la modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, le salarié indique le motif qu’il invoque dans la réponse à la mise en demeure précitée.

Le délai mentionné au premier alinéa de l’article L1237-1-1 ne peut être inférieur à quinze jours. Ce délai commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure prévue au premier alinéa ».

Ce décret entre donc en vigueur le 19 avril 2023.

Ce décret d’application vient apporter plusieurs précisions sur le régime de l’abandon de poste valant présomption de démission.

Ainsi, bien que ce soit l’employeur qui décide du délai de réponse dont dispose le salarié après réception de la mise en demeure, ce délai ne peut pas être inférieur à 15 jours à compter de la date de présentation de la mise en demeure.

Par ailleurs, le décret prévoit une liste d’exceptions à la présomption de démission :
Des raisons médicales ;

L’adverbe « notamment » ayant été utilisé, cette liste n’est pas limitative, et il reviendra donc à la jurisprudence de découvrir d’autres exceptions à cette présomption de démission.

Le décret laisse donc une place à un potentiel contentieux futur.

Sources.

Décret n° 2023-275 du 17 avril 2023

Questions-Réponses - Présomption de démission en cas d’abandon de poste volontaire du salarié [3]

Présomption de démission en cas d’abandon de poste : que prévoit le décret n°2023-275 du 17 avril 2023 ?

Loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022 portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi

Conseil constitutionnel décision n° 2022-844 DC du 15 décembre 2022.

Affaire 2022-844 DC Loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi (saisine du conseil constitutionnel du 18 novembre 2022).

Amendement n°276 du 30 septembre 2022.

Projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, n° 219.

Projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

Projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi adopté par le sénat le 17 novembre 2022.

- Combien de salariés abandonnent leur poste et que deviennent-ils ?

- Décret abandon poste chômage

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum
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