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Censure de France Soir par Google, le droit du plus fort. Par Arnaud Dimeglio, Avocat.
Parution : lundi 10 octobre 2022
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Le Tribunal de commerce de Paris non seulement valide la censure de Google mais rajoute à cette censure.

Par jugement en date du 6 septembre 2022, le Tribunal de commerce de Paris a débouté France Soir [1] de son action à l’encontre des sociétés Google, et l’a condamné à leur payer plus de 70 000 euros de frais de justice (article 700 du CPC) [2].

France Soir demandait le rétablissement de ses articles dans Google Actualité, de sa chaîne Youtube, et de ses services de publicité (Admanager et Adexchange).

A l’origine de cette censure : l’application de ses règles par Google interdisant de diffuser tout contenu contraire au consensus de l’OMS et des autorités locales, en lien avec l’épidémie de Covid.

70 000 euros d’article 700 !

La condamnation de France Soir à payer 70 000 euros de frais de justice aux sociétés Google pourrait à elle seule justifier de faire appel.

Il s’agit d’un véritable record.

En effet, lorsque les sociétés Google sont condamnées à payer ces frais, leur condamnation ne dépasse généralement pas les 20 000 euros [3], et atteint exceptionnellement les 50 000 euros [4].

Pourquoi condamner les sociétés France Soir à une telle somme, si ce n’est pour pouvoir les censurer encore davantage ?

A la censure de Google, s’ajoute ainsi désormais la censure du tribunal.

Comme si France Soir, et la société Shopper Union France qui l’édite, n’étaient pas déjà assez mutilés, affaiblis.

Le pouvoir de s’exprimer librement.

Il faut croire que France Soir doit avoir un sacré pouvoir pour que l’on tente de l’anéantir à ce point.

Il est vrai qu’il détient un certain pouvoir, celui de s’exprimer librement.

On peut ne pas partager ses idées, mais de là à bannir France Soir de Google Actualité et Youtube, il n’y a qu’un pas, que Google, puis le tribunal, ont franchi.

Mais qu’est ce qui justifie une telle condamnation de France Soir ?

Hélas, nous avons beau lire le jugement, aucun argument ne la justifie vraiment.

La censure de Google est unique par son ampleur, sa violence.

Elle nous rappelle les pires moments de l’histoire, avec l’inquisition, ses autodafés, et autres bibliocaustes : plus de 55 000 articles désindexés de Google Actualité, et une chaine Youtube de 277 000 abonnés, intégralement supprimée.

Mais les sociétés Google ne sont pas les seules à vouloir museler France Soir.

Tout le monde a intérêt à l’évincer :
- Google et les autres sociétés du groupe Alphabet, en partenariat avec l’OMS et/ou les grands laboratoires pharmaceutiques,
- L’Etat qui défend « quoi qu’il en coûte » sa politique sanitaire du « tout vaccin »,
- Les médias concurrents qui font passer France Soir pour un vulgaire « blog » sans journaliste, complotiste, voire d’extrême droite.

Le pire est que France Soir n’a pas à se battre contre un seul, mais contre les 3 à la fois, lesquels sont eux-mêmes liés par des partenariats, des intérêts convergents, et forment donc un véritable monstre.

L’absence de « loi ».

La censure des sociétés Google est, tout d’abord, infondée. Elle ne repose sur aucune loi, aucun contrat.

Le Tribunal a cautionné la thèse des sociétés Google suivant laquelle, sa règle d’interdiction de contenu contraire au consensus, serait de nature contractuelle.

Il déduit l’acceptation par France Soir des règles de Google Actualité du seul fait de l’insertion de la balise « max snipet » dans son code source, et des règles de Youtube du seul fait de la création d’une chaîne.

Concernant l’insertion d’une balise, pas besoin d’être juriste pour comprendre qu’elle ne peut valoir acceptation de règles. S’agissant de Youtube, le tribunal invente le fait que, pour créer une chaine, il faut « cliquer sur la formule en utilisant ce service, vous en acceptez les Règles ».

Ce que les sociétés Google, faute de preuve, elles-mêmes ne prétendaient pas… Le tribunal est donc allé jusqu’à inventer de nouvelles pièces. La cour d’appel appréciera.

Le tribunal a donc conféré aux règles de Google une nature contractuelle qu’elles n’ont pas.

Une règle abusive.

Même à supposer que la règle de Google ait été acceptée par France Soir comment ne pas reconnaître qu’elle est abusive ?

En effet, rien n’est plus mouvant, subjectif qu’un consensus. Il ne s’agit pas d’une règle objective, prévisible.

Cette règle est en outre dangereuse car elle vise à priver tout débat, toute opinion contraire, toute critique scientifique, ou du pouvoir en place.

Elle est enfin absurde : pour atteindre le consensus, il faut débattre. Interdire de débattre revient ainsi à interdire le consensus.

Il est loin le temps de la démocratie athénienne laquelle invitait chaque citoyen à s’exprimer au travers de la question qui leur était posée : « Qui veut prendre la parole ? ».

Certes Google n’est pas la Pnyx, mais en raison de sa position dominante sur le marché de l’information, comment ne pas tenir compte de son impact sur la population, la démocratie même ?

Google n’est pas une simple plateforme, il est le principal moteur de nos sociétés fondées sur l’information.

De fausses informations ?!

Le fondement contractuel, et l’objectivité même des règles de Google étant contestables, le tribunal tente de justifier la censure de France Soir en validant une autre thèse de Google : France Soir diffuserait de « fausses informations », qualification crée par la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information.

Or la jurisprudence, tant du Conseil constitutionnel (Décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018), que des juridictions judiciaires [5] qualifient de fausses informations celles qui sont objectivement fausses, dénuées de tout lien avec la réalité, et diffusées de manière artificielle ou automatisée, massive et délibérée.

- Est-ce que France Soir nie l’épidémie ? Non, il conteste en revanche les discours alarmistes qui exagèrent sa dangerosité,
- Est-ce que France Soir nie la surmortalité ? Non, il critique les chiffres tout en ne niant pas qu’il y ait eu une surmortalité,
- Est-ce que France Soir affirme que les vaccins ARN modifient les gènes ? Non, il dit qu’il y a simplement un risque, et qu’aucune preuve scientifique n’apporte la preuve contraire,
- Est-ce que France Soir nie le bénéficie-risque des vaccins ? Non, il dit simplement que cette balance varie selon les personnes concernées, selon leur âge, et leur comorbidité,
- Est-ce que France Soir nie l’efficacité des tests PCR ? Non, il rappelle que son inventeur lui-même avait émis des doutes sur son efficacité,
- Est-ce que France Soir nie l’efficacité du port du masque ? Non, il explique que le masque peut être utile dans certains cas, à l’hôpital notamment, et inutile dans d’autres, quand, par exemple, vous vous promenez seul sur la plage,
- Est-ce que France Soir dit que les traitements alternatifs sont des solutions miracles ? Non, il dit qu’ils peuvent avoir une certaine efficacité au stade précoce de la maladie, ce qui repose sur des études scientifiques sérieuses.

Au lieu de tenir compte de ces nuances, de reconnaître que France Soir ne diffuse pas de fausses informations, au sens juridique du terme, le tribunal a repris en bloc les arguments de Google qui présente France Soir au travers de « petites phrases » décontextualisées, extraites de ses articles et vidéos, qui visent à faire peur, à diaboliser, à faire croire au grand méchant loup.

La blanche colombe.

De l’autre côté de la barre, rien ne serait à reprocher aux sociétés Google :
- Elles informeraient parfaitement leurs utilisateurs quant à leur ligne éditoriale « consensuelle »,
- Leurs règles seraient parfaitement acceptées par les éditeurs, tant dans Google Actualité du seul fait de l’insertion de la balise « max snipet », que dans Youtube du seul fait d’avoir créé une chaîne,
- La sanction des sociétés Google serait parfaitement nécessaire, proportionnée,
- Bien sûr les sociétés Google n’auraient aucun intérêt privé, seraient complétement désintéressées, et ne se battraient que pour le bien commun de l’humanité.

Pour me battre depuis 20 ans contre les sociétés Google, permettez-moi d’en douter un peu.

Après une longue bataille, le Tribunal judiciaire de Chambéry vient de nous donner raison en reconnaissant le caractère illicite d’une fiche Google My Business du géant américain (Voir l’article Fiche Google My Business : Google encore condamné.) [6].

Sans compter que les sociétés Google sont régulièrement condamnées notamment pour abus de position dominante, atteinte au droit des données personnelles, et non-respect du droit de la consommation.

Espérons que la cour d’appel ne sera pas ainsi dupe du discours de Google qui tente de justifier sa censure en prétextant de la qualité de son contenu, de son image de marque.

La censure de France Soir n’est donc pas fondée, justifiée, par un contrat ou une loi.

Une censure disproportionnée.

La censure des sociétés Google est ensuite disproportionnée.

Le seul fait que les autres réseaux sociaux comme Facebook, Twitter ou Instagram n’aient pas totalement banni France Soir montre à quel point la sanction de Google est disproportionnée.

Les règles de ces plateformes sont pourtant similaires : elles condamnent les contenus contraires au prétendu consensus dans le domaine sanitaire.

Mais la sanction est distincte : d’un côté la censure totale (Google/Youtube), de l’autre des mesures plus ciblées :
- Message d’avertissement (Facebook, Twitter, Instagram),
- Perte de visibilité de certains articles du fait de la suppression de l’image qui les accompagne (Facebook),
- Suppression ciblée d’un article, ou d’un post (Twitter, Instagram),
- Censure limitée dans le temps : pendant 24 h (Facebook).

Les sanctions des autres réseaux sociaux, bien qu’elles soient contestables en elles-mêmes, sont donc prises en fonction de chaque contenu, au cas par cas.

Elles ne vont pas jusqu’à éradiquer définitivement France Soir de leurs services, et ce pour une durée indéterminée.

Elles sont donc mesurées, graduées, calculées en fonction de chaque article, contenu.

Si de telles mesures pouvaient être prises par ces réseaux, elles pouvaient l’être aussi par Google.

Et ce d’autant qu’on peine à comprendre dans le jugement quel est le but véritable de cette sanction :
- Protéger les intérêts de Google (contractuels, image) ou
- Protéger les intérêts du public (protection de la santé, désinformation) ?

Sur ce point le jugement est particulièrement flou.

Ce qui explique qu’il n’ait pas pu procéder à une balance des intérêts, pourtant essentielle en la matière.

La censure du géant américain n’est donc pas nécessaire au sens de l’article 10.2 de la CEDH [7].

Une censure discriminatoire.

A cela s’ajoute que la sanction de Google est discriminatoire : on supprime le contenu de France Soir tout en laissant subsister des articles et vidéos identiques sur Youtube et Google Actualité.

Google a eu beau essayer de faire le nettoyage pendant toute la durée du procès, et couper les têtes, similaires à France Soir, qui dépassaient : il en reste encore, et pas des moindres.

La chaîne Youtube de l’IHU de Marseille se voit comme le nez au milieu de la figure [8].

Plus de 627 000 abonnés [9], et des millions de vues pour un contenu identique à celui de France Soir.

France Soir a été un des principaux soutiens de la chaine Youtube de l’IHU, et de son principal intervenant, le Professeur Didier Raoult.

Pour le tribunal, cela ne serait pas une preuve…

Pourtant la ligne de France Soir est identique à celle de l’IHU : critiquer sur de nombreux points le prétendu consensus sanitaire.

Non pas critiquer pour critiquer, dans un but purement politique, mais critiquer avec des arguments scientifiques dans le but de mieux éclairer les citoyens sur leur santé, et la politique sanitaire du gouvernement.

Appel.

La liste des arguments à l’encontre du jugement est longue, et nous ne voudrions pas abuser de la patience des lecteurs. Des explications complémentaires sont accessibles sur le site de France Soir [10].

Ce jugement devra selon nous être annulé en appel.

Il ne porte pas uniquement atteinte à la liberté d’expression, et d’entreprendre de France Soir.

Il illustre l’emprise des GAFAs, et de Google en particulier, sur notre système politique, juridique, économique. En un mot, sur notre démocratie.

Nous devons collectivement nous défendre face à cette invasion.

Ce n’est pas à Google de faire la loi, de nous juger, de nous dicter notre façon de penser, ou de nous exprimer, mais au géant américain de s’adapter à notre culture, à nos valeurs, à notre droit.

Il en va de notre souveraineté, de notre indépendance, de notre liberté.



Note de l’auteur : Maître Arnaud Dimeglio était partie à l’affaire commentée ci-dessus.

Arnaud Dimeglio, Avocat spécialiste en droit des nouvelles technologie, droit de l'informatique et de la communication

[1La société France Soir Groupe, titulaire de la marque France Soir et la société Shopper Union France éditrice du site www.francesoir.fr

[5Ordonnance de référé, Tribunal judiciaire de Paris, 17 mai 2019 : https://www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2019/05/19_53935.pdf

[7Convention Européenne des Droits de l’Homme.

[9Soit 3 fois plus que la chaine initiale de FranceSoir.

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