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Initiative Marianne : « Il est important d’incarner ce qu’est la défense des droits humains » (Alain Régnier).
Parution : vendredi 28 octobre 2022
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L’association Marianne pour les défenseurs des droits de l’Homme a été créée en décembre 2021, pour fédérer les acteurs français, publics et privés, engagés dans la protection des droits fondamentaux et des libertés civiques. L’initiative Marianne a vocation à la fois à soutenir celles et ceux qui s’engagent dans leurs pays et les aider dans leurs combats, et fédérer l’ensemble des acteurs français mobilisés.
Pour en savoir davantage, nous sommes allés à la rencontre d’Alain Régnier, Délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés.

L’initiative Marianne vise à renforcer l’action de la France dans la promotion et la défense des droits humains. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Alain Régnier : Bien sûr ! La question de l’universalité des droits humains a une acuité toute particulière aujourd’hui. Ce qui se passe en Ukraine, en Iran par exemple, ou ailleurs dans le monde, montre bien que le respect du droit international et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ne va pas de soi. La situation est très préoccupante dans un certain nombre d’États, qui considère que le rapport de force est la seule manière de résoudre les conflits et qu’il doit primer sur l’égalité, l’égale dignité de tous les êtres humains, la protection internationale et le droit d’asile.

Il était important pour la France de se mettre au même niveau que d’autres pays européens qui ont déployé depuis plusieurs années des initiatives un peu similaires à l’Initiative Marianne, marquées par la volonté d’accueillir, pour un temps, et d’aider des personnalités originaires d’autres pays qui combattent pour la défense des droits humains.

Nous avons ce discours récurrent d’être le « pays des droits de l’Homme ». L’Initiative Marianne permet de passer de la parole à l’acte.

Nous avons ainsi, avec le Quai d’Orsay et l’ambassadrice Delphine Borione, construit une initiative qui est fondée sur la volonté de coconstruire un projet avec tous les acteurs impliqués : collectivités, ONG, acteurs de la défense des droits (dont le barreau de Paris de Paris par exemple), personnalités du monde scientifique, etc. L’ensemble de ces « parties prenantes », si l’on peut dire, a construit l’association, officiellement créée fin 2021 afin de renforcer l’aide collective apportée aux défenseurs et défenseures des droits humains. Puisque nous avons ce discours récurrent d’être le « pays des droits de l’Homme », l’initiative Marianne permet de passer de la parole à l’acte.

C’est un projet d’abord politique. Quel est le rôle des institutions dans les activités de l’association ?

A. R. : L’initiative Marianne est en effet, d’abord, une initiative publique, présidentielle. Le président de la République actuel et ses prédécesseurs ont toujours eu la volonté de réaffirmer le rôle historique de la France par rapport à l’enjeu des droits humains que nous évoquions à l’instant.

Inutile de le cacher, nous avons rencontré une difficulté, liée au lancement de cette initiative en période électorale. Un certain nombre d’acteurs se sont légitimement posés la question « d’y aller » ou non. Chacun a pris de la hauteur, pour considérer que la promotion des droits humains universels nécessitait de dépasser ces aspects de politique politicienne – au sens de la vie de la cité –, et de faire un choix délibéré afin que tout le monde puisse se retrouver pour défendre ces valeurs au travers de l’initiative et des personnes et combats qu’elle soutient.

La promotion des droits universels humains nécessite de dépasser les aspects de politique politicienne.

L’association fonctionne aujourd’hui avec le support de la délégation que j’anime [1]. À terme, dans les deux ou trois prochaines années, le but est qu’elle soit autonome. L’État, avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère de l’Intérieur seront parties prenantes, mais je dirais que nous défendrons des préoccupations « à parts égales » dans l’objectif commun, co-construit avec les acteurs de la société civile et d’autres acteurs publics comme les collectivités locales.

Dès les premières réunions, il a d’ailleurs été intéressant de voir se réunir des acteurs qui ne l’avaient jamais été jusqu’à présent. C’est aussi, avec cette co-construction des politiques publiques – c’est un peu mon crédo ! –, une nouvelle manière de transformer l’action publique, afin qu’elle soit mieux comprise et plus légitime dans un monde qui n’est pas forcément très ouvert.

Quelles sont concrètement les actions de l’association ?

A. R. : Modestement, au travers de cette initiative, nous essayons d’apporter notre contribution à la défense des droits humains en donnant les moyens à des personnalités de toutes origines, d’âge, etc. d’agir, de faire porter leur voix plus loin et de consolider leurs projets pour les prochaines années.

En pratique, l’initiative Marianne comporte deux volets principaux. Un volet international d’abord : dans les pays d’origine ou au travers d’un appel à projets lancé par l’Agence Française de Développement, nous allons soutenir dans leur pays, des personnes et des projets qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux.
Dans le même temps, et c’est le second volet, qui se déroule en France, nous mettons en place un accueil et un accompagnement pour les défenseurs des droits humains. Puisque l’objectif principal de cette initiative est de soutenir leurs combats, ces personnes retourneront à l’issue du programme dans leur pays d’origine pour mettre en œuvre leurs projets, sauf exception en cas de changement politique ou des difficultés qui se posent chez elles, comme on le retrouve classiquement dans le droit d’asile.

Concrètement, la partie qui se déroule sur le territoire national est déployée en faveur de lauréat(e)s qu’un comité de sélection indépendant va sélectionner chaque année et auxquel(le)s nous offrons un programme de renforcement de capacités d’une durée de 6 mois. Il passe à la fois par des conditions matérielles et par des formations théoriques et méthodologiques pour approfondir leur projet de défense des droits.

Nous sommes présents à la fois sur la définition de projet intellectuel de haut niveau et sur l’apport d’une sécurité matérielle et psychologique.

Très concrètement, ce qui est garanti, c’est d’abord un toit et une bourse mensuelle pour assurer le confort matériel, régler des soucis « pratico-pratiques » et leur conférer une stabilité propice à la poursuite de leur combat.

Plus largement, l’objectif est de leur proposer un double axe de travail lié au combat qu’ils mènent dans leur pays d’origine. Le programme comporte un volet individuel d’abord, pour définir ce que nous pourrions leur apporter ainsi que les rencontres de personnalités et d’acteurs susceptibles de les aider ou qu’elles pourraient sensibiliser dans une logique de plaidoyer.
Il a aussi un volet collectif, qui passe par la mise en place d’un Hub, c’est-à-dire un lieu où les lauréat(e)s peuvent se retrouver et se former et où l’on peut organiser des actions collectives. Nous y prévoyons des formations, par exemple sur la prise de parole en public, de la construction de plaidoyers ou d’autres, comme l’apprentissage du français ou la gestion de la communication.

Nous sommes donc présents, avec des contacts quasi-quotidiens, à la fois sur la définition de projets intellectuels de haut niveau et sur l’apport d’une sécurité matérielle et psychologique très cohérente avec la finalité du projet.

Comment les candidatures ont-elles et vont-elles être sélectionnées ?

A. R. : La première promotion a été installée par le Président de la République le 8 mars 2022. C’est une promotion volontairement entièrement féminine, pour souligner l’engagement féministe de la diplomatie française. Nous travaillons à la deuxième promotion qui devrait être présentée, sous réserves du calendrier politique et international, le 10 décembre 2022, Journée mondiale des droits de l’homme. La prochaine promotion commencera sa « période française » de janvier à juin 2023.

Les candidatures à cette 2e promotion sont en cours d’examen. Nous en avons reçu environ 500, à la fois par le canal diplomatique (puisque l’appel à candidature proposait de passer par l’ambassade ou le consulat du pays d’origine) et, majoritairement, par la boîte contact de l’initiative Marianne. Nous travaillons actuellement au recensement de toutes ces candidatures, pour identifier les typologies de combat, l’origine géographique, etc.

C’est une lourde responsabilité pour le comité que de faire un choix entre les profils.

Un comité de sélection, composé de cinq personnalités non institutionnelles disposant d’une expertise d’une reconnaissance et d’une légitimité, va désormais sélectionner entre dix et quinze profils. Il n’avait pas été matériellement possible de le mettre en place pour la première promotion, mais ce sera le cas pour les suivantes. Les ministères préparent simplement au mieux le travail de sélection du comité, par exemple pour vérifier de la réalité des activités militantes et de l’engagement des candidat(e)s. Il y a effectivement un minimum de critères d’ordre public dont nous demanderons au jury de tenir compte dans son choix final, mais il n’y a pas de risque d’instrumentalisation si telle était votre question ! C’est quoi qu’il en soit une lourde responsabilité pour le comité que de faire un choix entre les profils de défenseurs engagés.

Avez-vous d’autres projets en cours au sein de l’association ?

A. R. : L’un des volets que nous allons développer – du moins je le souhaite ! – est évidemment de faire connaître ces initiatives de défense des droits humains, notamment vis-à-vis de la jeunesse française. Les débats sont aujourd’hui extrêmement polarisés, voire caricaturés, particulièrement sur les réseaux sociaux. Et je pense qu’il est important d’incarner, au travers de personnes et de leurs parcours, ce qu’est la défense des droits humains. Cela permet de comprendre ce que veut dire de défendre l’environnement au Soudan, de défendre les droits des femmes et combattre l’excision dans certains pays ou encore lutter pour qu’on puisse vivre comme tout le monde quand on est homosexuel.

Comme je vous le disais tout à l’heure, je crois que nous avons une responsabilité collective. Les professionnels du droit l’expliqueraient probablement mieux que moi, mais il a fallu un millénaire pour construire des systèmes où chacun est protégé par la loi et n’est pas victime du rapport de force. Je cite d’ailleurs souvent la charte de Jean sans terre. Il faut rappeler sans cesse ce qu’est un procès équitable, ce que sont des conditions d’exercice de la justice et pourquoi il faut continuer à se battre. Rien n’est gagné ni acquis, ces droits sont malheureusement réversibles.

Rien n’est gagné ni acquis, ces droits sont malheureusement réversibles.

Il est essentiel de voir comment intéresser davantage les jeunes à ces enjeux. Si l’on veut remettre en perspective l’initiative Marianne avec nos propres enjeux intérieurs, c’est au travers de la jeunesse. En expliquant pourquoi il a fallu attendre 1975 en France pour légaliser l’IVG, pourquoi il a fallu attendre François Mitterrand pour dépénaliser l’homosexualité. Les professions de droit et notamment les avocats contribuent tout particulièrement à faire œuvre collective.
Mais on voit que c’est très difficile de parler des choses parce que, encore une fois, vous être tout de suite catégorisé ; les choses sont vite caricaturées. Or je rappelle que c’est quand même une chance de vivre dans un pays où vous pouvez remettre en cause un haut fonctionnaire sans aller directement à la "case prison"…

Comment peut-on soutenir le projet ? Peut-on par exemple vous proposer du pro bono ou du mécénat de compétences ?

L’initiative se construit avec les parties prenantes de la société civile. Elle s’enrichira des propositions et contributions des organisations partenaires et en particulier de celles spécialisées dans le Droit et la Justice (centres de recherche, think tank, associations, cabinets d’avocats).
Aujourd’hui, l’association Marianne est encore en cours de maturation en quelque sorte, donc pour le moment, on y va doucement mais sûrement ! Cela étant, il n’est pas nécessaire d’en être membre pour apporter son soutien au projet, bien au contraire, toutes les aides sont les bienvenues. Donc oui, le pro bono et le mécénat de compétences sont une bonne idée. Je suis partant pour toutes les initiatives possibles !

Nous réfléchissons aussi à la meilleure façon d’associer les citoyens et les travailleurs à l’initiative afin de faire bénéficier l’association et surtout les personnes qu’elle soutient de l’engagement de ceux qui souhaitent aider.
En pratique, nous avons deux types de besoin où un soutien serait le bienvenu. Les lauréates de cette année sont dans une optique de plaidoyer et recherchent à sensibiliser le plus de personnes et structures possibles sur leur combat. Leur donner la possibilité de s’exprimer serait très précieux. Nous avons aussi des lauréates qui très souvent, à l’issue du programme, créent des associations pour mettre en œuvre leur projet et nous cherchons des personnes susceptibles de les accompagner dans la rédaction et/ou la relecture des statuts. Plus largement, toute forme d’expertise juridique sur les projets des lauréat(e)s serait très précieuse !

Alain Régnier, Délégué interministériel chargé de l'accueil et de l'intégration des réfugiés Propos recueillis par A. Dorange

[1Délégation interministérielle chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés