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[Point de vue] La médiation, l’avocat et le débat. Par Elisabeth Moutach-Thène, Médiateur.
Parution : jeudi 13 octobre 2022
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Le dossier du justiciable est avantageusement servi par l’avocat accompagnant en médiation grâce à une solution juste et rapide, si peu que chacun ouvre son esprit à bien vouloir saisir les nuances importantes entre transiger et médier.

Introduction de Françoise Housty, Présidente de Daccord-Médiation.
« Le débat dans tous ses états : facilitons le dialogue… dans le désaccord » est le thème retenu pour cette saison 2022 de la Semaine de la Médiation. D’actualités en questionnements ainsi va cette semaine pour Daccord-Médiation.
« Le dialogue (en médiation) doit dire quelque chose qui est l’action, qui est la raison pour laquelle le dialogue est dit. On oublie trop souvent cela », s’exprimait René Clément soucieux de saisir sur la pellicule l’instant qui dit tout.
Parce qu’un dialogue ce n’est pas que des mots, c’est aussi ce chemin qui est un sens, voici un billet d’humeur proposé par un avocat médiateur, quelque fois heureux, mais encore assez souvent désappointé par l’accueil fait par les avocats à la médiation.

Depuis maintenant de nombreuses années de plus en plus d’avocats se forment à la médiation. Ils deviennent alors avocat-médiateur ou médiateur-avocat.
Si le rôle essentiel d’un avocat est de défendre les intérêts de son client il n’est pas toujours simple pour celui-ci de trouver sa place en tant qu’avocat d’une des parties dans une médiation ou il ne sera pas le médiateur mais l’avocat accompagnateur de son client devenu médié.
Il va devoir ainsi envisager de participer aux débats et discussions qui peuvent s’engager avant même que ne démarre le process de médiation, pour ensuite participer ou pas aux débats qui se dérouleront au sein de l’espace de médiation et à ceux qui se poursuivront peut-être à la fin du processus.

I- L’entrée ou non en médiation génère le débat.

A- Lorsqu’un avocat reçoit son client que lui propose-t-il à la suite de leur entretien : médiation ou procédure ?

C’est à ce moment-là que le débat s’ouvre entre le client et son conseil. Le pour et le contre de chaque possibilité peuvent être débattus et devraient l’être : si l’avocat est également médiateur il existe à priori plus de possibilités pour que celui-ci propose à son client une médiation préalable. Mais cela est loin d’être un fait acquis semble-t-il.
Le client peut être réfractaire à tout ce qui n’est pas procédure et l’avocat peut le conforter ou non dans cette attitude qu’il soit également médiateur ou non.
La difficulté peut venir du fait que le client et ou son conseil aient des difficultés à appréhender et à accepter de recevoir en direct l’expression, les émotions et les mots de l’autre et que ce faisant il leur soit difficile de se projeter dans un débat à plusieurs.
D’où la nécessité de débattre clairement avec son client des opportunités dont il dispose réellement et de la façon dont une médiation peut se dérouler.

B- Ensuite vient ce que l’on pourrait appeler la phase deux : discuter et débattre avec l’autre partie, via son conseil si elle en a un, de l’opportunité de la mise en place d’un processus de médiation.

Cela peut s’avérer compliqué voir fastidieux car il sera courant d’entendre : la médiation ne sert à rien… je suis sûr de gagner mon dossier…
Bref, avant même que le processus de médiation ne démarre il faut débattre à nouveau pour tenter de convaincre l’autre partie de l’utilité de cette mesure.
Et lorsque nous y parvenons, on peut se dire que les échanges ont été productifs et que la suite des débats va se présenter sous les meilleurs augures (on l’espère en tout cas !!!!)

II- Les débats durant les réunions de médiation.

Ils peuvent être positifs et enrichissants pour tous ou difficiles sinon éprouvants !

A- Echanges et débats positifs.

L’avocat qui apprécie de débattre, c’est-à-dire débattre sans chercher impérativement à imposer son point de vue, va accompagner son client à chaque étape, sans prendre sa place, en l’aidant à s’exprimer, tout en le laissant parler (à sa façon), à reformuler, et à résumer son point de vue, ses demandes, ses vrais besoins.
Il est un atout majeur du débat puisqu’il l’alimente et peut permettre de préserver la sérénité de celui-ci.
La discussion et l’écoute sont les grands principes de ces débats ; quand bien même de nombreux points de désaccord subsisteraient.
Il va de soi que lorsque chacun des médiés est assisté d’un avocat « accompagnateur » le processus peut vraiment se dérouler dans de bonnes conditions ; que la solution émerge ou pas à la fin de celui-ci.
Par contre il en va tout autrement lorsque l’un ou l’autre des médiés est assisté d’un avocat « non accompagnateur ».

B- Echanges et débats difficiles.

Il arrive encore souvent que, le ou les conseils qui assistent les médiés ne soient, ni à l’aise dans les débats, ni n’aiment le débat en tant que tel ; privilégiant avant tout la facette conflit de leur dossier.

C’est à ce moment-là que les débats deviennent difficiles : refus tacite du débat, alors que l’entrée en médiation a été acceptée ; absence d’ouverture vis-à-vis des propos de l’autre, posture de refus de tout ce qui n’est pas « sa vision » de la situation.
L’avocat n’aide pas son client ; aucun des deux ne joue le jeu et n’a de cesse de se retrancher derrière des arguments dits « juridiques ».
Le côté humain des débats est bloqué, disparait ; le médié calant sa posture sur celle intransigeante de son conseil et ne se laissant pas aller à exprimer son vrai ressenti.
Là, le processus de médiation va tourner au ralenti jusqu’à ce que le ou les médiés et leurs avocats admettent que débattre est ce qui permettra vraiment à leur dossier d’avancer.
Mais quelque fois le ralenti va conduire à l’arrêt du processus, le vrai débat n’ayant pas eu lieu. La médiation s’arrête.
Malgré ce il arrive que les débats constructifs qui n’ont pu avoir lieu démarrent mais hors du cadre de la médiation

III- La fin du processus clos le débat ou aliment le débat futur.

Les médiés ayant pu déterminer ensemble une solution, ce sont leurs conseils respectifs qui vont mettre en forme leurs accords via un protocole lequel sera soumis ou non à l’homologation du tribunal.
Cependant il peut s’agir d’une solution partielle et en ce cas la possibilité pour les parties de poursuivre leurs discussions hors champ de la médiation existe.
Enfin il est également possible après des rencontres en médiation houleuses et improductives que les médiés et conseils réfléchissent différemment. Et ce faisant au final décident d’entamer de nouvelles discussions qui aboutiront ou pas…

En définitive il est clair que la médiation ne peut exister sans débats ; ceux-ci sont essentiels car eux seuls permettront aux médiés d’avancer.
Sans débats pas de médiation et l’assurance de laisser le conflit se perpétuer.

Le chemin est encore encombré de lourdes embûches !

Elisabeth Moutach-Thène, Médiateur, Avocat, Membre de Daccord-Médiation,