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Annulation de vente aux enchères pour défaut d’authenticité d’un tableau acquis en 1988. Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : mardi 11 octobre 2022
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L’authenticité d’une œuvre d’art représente pour tout collectionneur une qualité substantielle. Aussi, la découverte du défaut d’authenticité d’un tableau entraîne généralement une procédure en annulation de vente fondée sur l’erreur sur les qualités essentielles de l’œuvre. Un abondant contentieux existe en la matière.

Dans cette affaire, à l’occasion d’une vente aux enchères s’étant tenue le 22 novembre 1988, un collectionneur a fait l’acquisition du tableau « La Seine à Paris » présenté comme étant du peintre néo-impressionniste Albert Lebourg. Souhaitant se dessaisir du tableau en mars 2014, l’adjudicataire découvrait à cette occasion que l’œuvre n’était pas authentique. Il a assigné en nullité de vente les deux commissaires-priseurs successifs.

L’action en annulation de la vente du tableau litigieux ainsi menée a permis à la cour d’appel de Versailles dans un arrêt rendu le 22 septembre 2022 de rappeler le régime de l’action en annulation de vente et notamment le point de départ du délai de prescription (I) pour déclarer l’adjudicataire recevable à agir directement contre le commissaire-priseur en sa qualité de prête-nom et ce, en l’absence de vendeur notoire (II).

I. Le délai pour agir en annulation d’une vente aux enchères publiques.

Souhaitant faire annuler une vente qui s’était tenue en 1988, l’adjudicataire s’est heurté aux arguments soulevés par le commissaire-priseur relativement à l’existence d’un délai butoir pour agir de 20 ans à compter de du jour de la naissance du droit, i.e. du jour de la vente.

Les débats sur la prescription avaient pour fondement la réforme sur le droit de la prescription intervenue en cours d’instance.
Il revenait donc aux juges de clarifier l’application de la loi dans le temps (A) et de préciser le point de départ du délai pour agir en annulation de la vente (B).

A. Conflit de lois dans le temps : réaffirmation du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle.

La loi du 17 juin 2008 porte réforme de la prescription en matière civile. Elle consacre ainsi l’article 2232 alinéa 1 du Code civil qui enferme l’action en annulation dans un délai butoir de vingt ans.

Dans l’affaire commentée, la requérante avait acquis l’œuvre en 1988 et assigné le commissaire priseur en annulation de vente en 2018. La partie adverse arguait de l’irrecevabilité de l’action en nullité de la vente, estimant celle-ci prescrite sur la base de cette loi nouvelle.

La cour d’appel de Versailles rejette cet argument. En s’appuyant sur le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle de l’article 2 du Code civil, elle fait en outre le constat de l’absence de dispositions transitoires fixées dans la loi de 2008. Elle conclut donc que le délai « n’est pas applicable à une situation où le droit est né avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2018 ».

Plus particulièrement, pour démontrer la recevabilité de l’action, la cour d’appel rappelle le fait générateur faisant concourir le délai de prescription.

B. Prescription : retour sur le point de départ du délai pour agir.

Il résulte de l’article 2224 du Code civil que l’action en annulation de la vente est soumise au délai de prescription de 5 ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

En l’espèce, selon les termes de la cour :

« il est de principe bien établi que le délai de l’action en nullité pour erreur ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non seulement soupçonnée ».

Ainsi, ledit délai court à compter du jour où l’acquéreur a connu le défaut d’authenticité du bien acquis. Or, à la date d’acquisition du tableau, soit en 1988, l’adjudicataire n’avait pas de doute quant à son inauthenticité. Ce n’est qu’en 2014, lors de la vente envisagée de l’œuvre que celle-ci s’est révélée fausse sous expertise privée et que cette inauthenticité a été confirmée en 2016 lors d’une expertise judiciaire.

La cour d’appel dispose donc que :

« c’est cette dernière date (jour du remise des conclusions de l’expert en 2014) qui doit être tenue comme constituant le point de départ de la prescription et le régime de la prescription applicable est celui issu de la loi du 17 juin 2008 , soit cinq années ».

En prenant comme point de départ donc la découverte de l’erreur en 2014, l’action de l’adjudicataire était prescrite en 2019. Par conséquent, « il en résulte que les assignations des 8 juin et 13 juillet 2018 ont été délivrées dans le délai de la prescription ».

Une fois l’action déclarée recevable, se pose dès lors la question du bien-fondé de la demande en annulation de la vente.

II. Le bien-fondé de la demande de nullité de la vente.

Dans le cadre d’une annulation de vente aux enchères, l’action en nullité doit être dirigée contre le vendeur et non contre le commissaire-priseur, sauf si ce premier est méconnu (A). En tout état de cause, il convient de démontrer que l’erreur de l’acheteur porte sur des qualités substantielles (B).

A. Le commissaire-priseur prête-nom en cas de défaut d’informations sur le vendeur.

Il est établi que le commissaire-priseur est lié avec le vendeur par un contrat de mandat selon les dispositions de l’article 1984 du Code civil. À comprendre ainsi que l’opérateur de ventes n’est lié contractuellement qu’avec le mandant, i.e. le vendeur.

Par conséquent, dans le cadre d’une vente aux enchères, l’acquéreur est lié contractuellement avec le vendeur. Corrélativement, en cas d’action en nullité, l’acheteur doit agir contre ce dernier.

Néanmoins, si le commissaire-priseur n’a pas révélé en temps utile le nom du vendeur à l’adjudicataire soit par négligence, soit sur instruction (désirant rester dans l’anonymat), il doit alors être considéré à l’égard de l’acquéreur comme prête-nom du vendeur.

En l’espèce, lors de la vente de 1988, l’opérateur n’avait pas dévoilé l’identité du vendeur privant de facto l’adjudicataire d’informations nécessaires à la défense de ses droits.

C’est pourquoi la cour d’appel de Versailles fait droit à l’action menée contre le commissaire-priseur. La cour fonde notamment son argumentation sur un arrêt du 31 mai 2007 de la Cour de cassation disposant que dans de telles circonstances, l’opérateur est le vendeur apparent donc tenu de la restitution du prix si la vente est annulée.

La vente ayant été déclarée nulle en l’espèce, le commissaire-priseur était donc personnellement partie au contrat avec l’acheteur et a été contraint de restituer le prix du tableau litigieux à l’adjudicataire, soit 25 918 euros.

B. Le cas classique de l’erreur sur l’authenticité d’un tableau.

Dans le cadre d’une vente d’œuvre d’art, l’erreur de l’acheteur sur l’authenticité, qualité substantielle de l’oeuvre, est un vice du consentement entachant le contrat de nullité en application de l’article 1132 du Code civil.

Dans cette affaire, la cour d’appel rappelle la règle de droit en soulignant que :

« l’authenticité d’une œuvre d’art est considérée généralement comme une qualité substantielle et il en va tout spécialement ainsi lorsque le tableau est vendu dans le cadre d’une vente publique sur catalogue ».

Effectivement, dans les faits de l’espèce, le catalogue désignait le tableau comme une oeuvre authentique portant en outre la signature du peintre. Aussi, la mise en vente était dépourvue de toute réserve et constituait une affirmation d’authenticité. L’adjudicataire s’étant fondé sur ces mentions, il s’est donc légitimement forgé une conviction erronée et excusable.

Les deux experts judiciaires ont conclu au défaut d’authenticité du tableau : « Le tableau litigieux ne peut âs être de la main d’Albert A. ; ce n’est pas une oeuvre préparatoire pour un tableau achevé de l’artiste. Il s’agit plutôt d’un pastiche, réalisé à partir d’éléments de tableaux existants, avec uns signature aporcryphe (…) »

La vente devait donc être annulée.

Béatrice Cohen www.bbcavocats.com