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Extradition des anciens brigadistes italiens : coopération politique et obstacles judiciaires. Par Matthieu Chavanne, Avocat et Colomba Grossi, Elève-Avocate.
Parution : vendredi 14 octobre 2022
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Regards sur la procédure d’extradition à la lumière de l’affaire des anciens brigadistes italiens.

Une volonté politique affichée.

Le 29 juin dernier, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris refusait l’extradition de dix anciens activistes d’extrême gauche italiens, condamnés en Italie pour des crimes commis dans les années 1970 et 1980.

Le Président Emmanuel Macron, gardien de l’indépendance de l’autorité judiciaire selon l’article 64 de la Constitution du 4 octobre 1958, indiquait toutefois dès le lendemain au ministère public la voie à suivre, en déclarant qu’il souhaitait qu’un pourvoi en cassation soit formé contre ces décisions. Pourvoi déposé par le parquet général trois jours plus tard, la Cour de cassation ne s’étant, à ce jour, pas encore prononcée.

Les enjeux politiques liés à cette affaire sont anciens et connus ; ils étaient d’ailleurs nettement apparus avant même que la demande d’extradition du gouvernement de Guiseppe Conte (gouvernement de coalition entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord) ne soit officiellement transmise à la France.

En effet, à l’occasion de l’arrestation de Cesare Battisti le 12 janvier 2019 en Bolivie, Matteo Salvini, alors ministre de l’intérieur en Italie, avait lancé un appel au gouvernement et au président français pour qu’ils

« restituent à l’Italie et à la justice italienne ceux qui ont tué des innocents, pour qu’ils ne finissent pas leur vie à boire du champagne sous la tour Eiffel mais en prison, comme cela est juste ».

Message reçu à l’Élysée qui avait justifié la transmission de la demande d’extradition au parquet général le 22 avril 2021 par la nécessité de « régler ce sujet » et « l’absolu besoin de justice des victimes ».

« Je n’ai strictement aucun état d’âme », avait pour sa part déclaré le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti au sujet de l’arrestation de dix individus âgés de soixante-cinq à quatre-vingts ans, le 28 avril 2021, par la sous-direction antiterroriste (SDAT).

« Je suis fier de participer à cette décision qui, je l’espère, permettra à l’Italie, après quarante ans, de tourner une page de son histoire, qui est maculée de sang et de larmes » avait-il ajouté en faisant référence aux « années de plomb », période d’actions violentes menées par l’extrême gauche et l’extrême droite en Italie de la fin des années 1960 aux années 1980.

L’extradition, une procédure diplomatique.

Autant d’interventions qui rappellent le caractère toujours politique de l’extradition. Si la procédure de mandat d’arrêt européen, applicable depuis 2002 entre pays membres de l’Union européenne, confie aux seules autorités judiciaires l’examen des conditions entourant la remise d’un individu d’un pays à un autre, l’extradition reste, elle, une affaire intéressant la diplomatie.

En application des articles 696 et suivants du Code de procédure pénale, la demande d’extradition est d’abord adressée au ministère des Affaires étrangères, puis transmise au ministère de la Justice, qui la communique au parquet général.

Une phase judiciaire est ainsi initiée, correspondant à l’examen de la demande par la chambre de l’instruction. Celle-ci doit s’assurer que les conditions prévues par la convention bilatérale d’extradition ou le Code de procédure pénale sont bien remplies (nature des faits, quantum de la peine encourue ou prononcée, respect des droits de l’homme et de la défense par le pays requérant…).

A l’issue de son examen, la Chambre de l’instruction émet un avis, favorable ou défavorable.

En cas d’avis défavorable, l’exécutif ne peut revenir sur cette décision, et seul le pourvoi en cassation est ouvert au ministère public.

En cas d’avis favorable cependant, l’exécution de l’extradition n’est pas automatique : un décret doit nécessairement être pris par le Premier ministre pour que la remise de l’individu à l’Etat requérant ait lieu.

Quels effets pour la « doctrine Mitterrand » ?

Dans le cas des affaires concernant les anciens activistes italiens, le changement de paradigme de l’exécutif est remarquable.

Pour mémoire, au cours des années 1980, plusieurs individus recherchés en Italie au titre de leur appartenance à divers mouvements d’extrême gauche (notamment les Brigades Rouges) se sont réfugiés en France. François Mitterrand leur avait alors octroyé la protection de la France contre l’extradition par trois discours prononcés en 1985, désignés aujourd’hui comme la « doctrine Mitterrand ». Cette dernière accordait un asile de fait à ces émigrés, à la condition d’avoir rompu avec le terrorisme et de ne pas avoir participé, de façon directe et avérée, à des crimes de sang.

Ces déclarations n’ont toutefois pas empêché l’Italie de formuler de nouvelles demandes d’extradition, certains individus faisant parfois l’objet de demandes répétées au fil des années. L’attitude de la France fut alors constante, et se traduisit par l’inaction ou l’opposition de l’exécutif. Inaction dans la mesure où la plupart des avis favorables ne furent jamais suivis d’un décret autorisant la mise en œuvre de l’extradition. Opposition du Président Nicolas Sarkozy qui rapporta, en 2008, le décret pris par son Premier ministre dans la procédure concernant Marina Petrella, ancienne dirigeante de la colonne romaine des Brigades Rouges installée en France.

Se posait cependant la question de l’effet juridique la doctrine Mitterrand : était-elle créatrice d’un véritable droit, pouvait-elle être opposée à de futures demandes d’extradition ?

Le cas de Marina Petrella apporte une réponse claire, la cour d’appel de Versailles ayant indiqué dans un arrêt du 14 décembre 2017 que « les déclarations politiques qui n’ont pas été concrétisées par l’octroi du statut juridique de réfugié politique étaient dépourvues de tout effet juridique ; le fait que Marina Petrella ait pu s’installer en France sans se cacher, en recevant un titre de séjour, ne pouvait lui donner un droit acquis et définitif à échapper à l’extradition demandée par les autorités italiennes ». Doctrine donc, et non coutume.

De l’inaction à la coopération.

La situation est aujourd’hui tout autre : l’exécutif semble résolu à abandonner son ancienne doctrine, mais se retrouve confronté à un obstacle désormais judiciaire !

La motivation des arrêts rendus le 29 juin dernier est ainsi fondée sur trois arguments.

D’abord un rappel de la double fonction de la peine : réinsertion autant que punition. En l’occurrence, ces dix individus ne possèdent plus d’attaches en Italie, vivent et travaillent en France depuis trente ou quarante ans, l’un d’eux, Raffaele Ventura, ayant même acquis la nationalité française et renoncé à sa nationalité italienne.

Leur insertion continuée au sein de la société française fait par ailleurs dire à la cour que l’extradition constituerait, sur le fondement de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale.

Au regard de l’article 6 de la même Convention, la cour note enfin que l’Italie n’a pas donné de garanties suffisantes permettant de s’assurer que ces dix individus pourront, une fois revenus dans leur pays, bénéficier d’un nouveau procès équitable (alors qu’ils ont été jugés en leur absence il y a plusieurs dizaines d’années).

Nul doute que l’appréciation par la Cour de cassation du caractère bien fondé de cet ultime argument, particulièrement cinglant à l’égard d’un de nos plus proches partenaires européens, est attendue avec autant d’attention par les juristes que d’inquiétude par les anciens brigadistes et leurs soutiens.

Dans cette perspective, il sera intéressant de voir si la Haute juridiction s’aventure à soutenir que l’arrivée au pouvoir en Italie de la coalition menée par le parti néofasciste de Giorgia Meloni, qui déclarait, à propos de la décision de la Cour d’appel de Paris en juin dernier : « Ces meurtriers n’ont jamais payé leur facture à la justice italienne et à la lumière de la décision d’aujourd’hui, ils ne le feront probablement jamais », est susceptible de fragiliser davantage ces garanties. Au risque de se voir reprocher une méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs… dans une procédure décidemment très politique.

Matthieu Chavanne, Avocat au Barreau de Paris Ancien Secrétaire de la Conférence [->chavanne@cw-avocats.com] et Colomba Grossi, élève-avocate