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Déduction des loyers réglés au bailleur pendant la période de sous-location illicite. Par Virginie Audinot, Avocat.
Parution : mercredi 19 octobre 2022
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De façon surprenante, la Cour d’appel de Paris vient de décider que devaient être déduits des sommes issues de la sous-location illicite de son bien par un locataire sur la plateforme Airbnb (et devant être reversées au bailleur poursuivant), les loyers versés par ce locataire au bailleur au titre de la période de sous-location...

Dans un précédent article Que faire si votre locataire loue son appartement sur Airbnb ?, nous avions abordé le sort des fruits perçus par le locataire offrant à la location son logement sans l’accord préalable de son bailleur.

Depuis, la Cour Suprême, qui n’avait pas encore tranché le sujet, a confirmé pour la première fois dans un arrêt attendu du 12 septembre 2019 [1], que le bailleur peut obtenir le remboursement de l’intégralité des revenus perçus par son locataire qui a sous-loué son bien sur la plateforme Airbnb (valant pour d’autres par analogie bien sûr) sans son autorisation, sur le fondement des articles 546 et 547 du Code civil (qui concernent la question de l’accession des fruits civils).

A ce titre, la Cour a considéré en effet que les sous-loyers perçus par le locataire constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire : ainsi les sommes perçues par le locataire, découlant de la sous-location du bien pendant de nombreuses années sans l’accord du bailleur devaient être reversées au bailleur (en l’espèce, une somme de 27.295 euros).

Dans un récent arrêt du 11 octobre 2022 toutefois, la Cour d’appel de Paris ne suit pas pleinement cette tendance de la Cour de cassation, et adopte un raisonnement surprenant [2].

Dans cette affaire, un bail avait été conclu pour un deux-pièces au loyer de 1.575 euros par mois, outre une provision sur charges de 325 euros.

Le locataire, par courriel, a demandé au bailleur l’autorisation de sous-louer la chambre de l’appartement, demande à laquelle le bailleur s’est opposé par deux courriels de réponse.

Cela étant, le bailleur s’est rendu compte que, nonobstant son refus, le locataire avait pris la liberté de proposer la chambre de son logement à la location saisonnière, sur les sites Airbnb et Guestready.

Il ressort des pièces de la procédure que le locataire, par cette mise en location, avait perçu à ce titre une somme en tout de 14.352,57 euros.

Le bailleur a assigné le locataire devant le tribunal d’instance (aujourd’hui le tribunal judiciaire) de Paris, afin de voir prononcer la résiliation judiciaire du bail et obtenir le paiement des fruits civils ainsi perçus des sous-locations illicites, outre le versement de dommages-intérêts.

Par jugement du 24 janvier 2020, le tribunal a :
- condamné le locataire à régler la somme de 3.000 euros de dommages-intérêts en indemnisation du préjudice moral subi par le bailleur et la somme de 547,80 euros au titre de la serrure à changer,
- prononcé la résiliation judiciaire du bail et l’expulsion des occupants,
- condamné le locataire à devoir une indemnité d’occupation à compter du jugement et jusqu’à libération effective des lieux,
- condamné le locataire à 1.200 euros d’article 700 du CPC (frais de procédure) et les entiers dépens.

Mais le tribunal a en revanche débouté le bailleur du reste de ses demandes concernant l’attribution des fruits civils tirés de la sous-location illicite de l’appartement, au motif que le bailleur, selon les juges, a cherché ici à titrer un bénéfice des sous-locations prohibées.

Le bailleur a donc interjeté appel de cette décision.

Sur la demande de remboursement des fruits civils, la Cour a rappelé que le bailleur, sur le fondement des articles 546 et 547 du Code civil, est en droit de percevoir les fruits civils produits par le bien dont il est propriétaire, soit en l’espèce le montant des sous-loyers perçus par le locataire.

A ce titre, la Cour d’appel rappelle alors le principe confirmé par la Cour de cassation le 12 septembre 2019.

La Cour d’appel a par ailleurs affirmé que contrairement à ce qu’avait jugé le tribunal, le bailleur n’avait pas cherché à tirer un bénéfice de la sous-location illicite, mais avait au contraire refusé de donner son consentement à une telle activité puis a entrepris des démarches (constats d’huissier et sommation) pour y mettre fin, de sorte que son action ne trouve son fondement que dans le seul comportement illicite du locataire, dont il n’est nullement responsable et auquel il a justement voulu mettre un terme lorsqu’il en a eu connaissance.

Cela étant, le locataire a de son côté sollicité la déduction des loyers qu’il avait dû assumer pendant la durée de la sous-location, sur le fondement de l’article 548 du Code civil selon lequel les fruits produits par la chose n’appartiennent au propriétaire qu’à la charge de rembourser les impenses, c’est-à-dire les frais en argent ou en nature engagés pour obtenir ces fruits.

La Cour à cet égard, a considéré qu’il était vrai que le locataire avait dû assumer, durant les périodes de sous-location, le coût du loyer, lequel s’analysait alors en une dépense utile à la perception des fruits destinés au bailleur et qu’il convenait en conséquence de déduire des sous-loyers le montant des loyers versés par le locataire durant les périodes où il n’occupait pas lui-même le logement loué et le mettait à la disposition des sous-locataires.

A cela, le bailleur a fait remarqué à juste titre que le locataire ne sous-louant que la chambre du logement, le montant de ces loyers à déduire devraient dans ce cas tenir compte de la surface concernée par les sous-locations.

Etonnamment, la Cour a toutefois répondu que le logement concerné n’étant composé que de deux pièces principales, le locataire ne pouvait, pendant les périodes de sous-location, demeurer dans les lieux ...

Le bailleur avait tenté encore d’invoquer l’article 549 du Code civil pour contredire ce raisonnement, opposant la mauvaise foi du locataire. La Cour a toutefois répondu qu’il est de principe constant que l’article 549 du Code civil ne déroge pas à l’article 548 posant comme condition à l’acquisition des fruits par le propriétaire que ce dernier rembourse les impenses.

Ainsi, la Cour a donc déduit des 14.352,57 euros perçus par le locataire la somme de 11.160 euros au titre des loyers perçus pour cette même période par le bailleur, ramenant ainsi la somme à reverser au bailleur au titre de la sous-location illicite à 3.192,57 euros.

Cette décision ne suit pas la décision de la Cour de cassation en la matière, laquelle avait expressément jugé que les fruits civils devaient être remboursés au bailleur en cas de sous-location illicite de son bien par le locataire.

Si juridiquement, elle découle de l’application de l’article 548 du Code civil (lequel dispose que « les fruits produits par la chose n’appartiennent au propriétaire qu’à la charge de rembourser les frais des labours, travaux et semences faits par des tiers et dont la valeur est estimée à la date du remboursement »), il est permis de s’interroger sur la nature de « labours, travaux et semences » des loyers versés par le locataire de mauvaise foi au bailleur en vue d’une sous-location illicite des lieux...

In fine, cela revient à permettre finalement au locataire de se dispenser de régler des loyers au titre des périodes de sous-location, alors même que cette sous-location n’a pas été autorisée par le bailleur.

Virginie Audinot, Barreau de Paris Audinot Avocat www.audinot-avocat.com

[1Cass. 3° civ., 12 sept. 2019, n° 18-20.727.

[2CA Paris, 11 octobre 2022, n° 20/04285.