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Entretien choquant avec son employeur : c’est un accident du travail ! Par Sylvain Latargez, Avocat.
Parution : mardi 18 octobre 2022
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Face à la réticence des Caisses à reconnaitre comme AT (accident du travail) les accidents de type moral, mental ou psychologique au même titre que les accidents physiques, un point sur les règles applicables en matière de reconnaissance d’AT s’impose …

1) L’accident du travail : définition et charge de la preuve.

- L’article L411 du Code de la Sécurité Sociale définit l’accident du travail :

« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

De cette définition découle le régime juridique spécifique de la charge de la preuve d’un accident du travail.

En effet, cette définition institue en réalité un principe de présomption d’imputabilité dans la mesure où elle retient que tout accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail, est considéré comme un accident du travail.

Cette présomption d’imputabilité de l’accident au travail a pour effet de dispenser le salarié d’établir la preuve du lien de causalité entre l’accident et le contexte professionnel [1].

Il appartient à l’assuré victime d’un accident de rapporter « seulement » la preuve de :
- la survenance d’un accident au temps et au lieu de travail – ou à l’occasion du travail ;
- d’une lésion consécutive à cet accident.

- La Caisse Primaire d’Assurance Maladie peut tenter d’écarter cette présomption d’imputabilité.

Cette présomption est écartée si la Caisse démontre que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail.

Ainsi, il a été jugé que la Caisse ne démontrant pas que l’accident avait une cause étrangère au travail devra prendre en charge l’accident au titre de la législation professionnelle [2].

Pour renverser la présomption d’imputabilité, la Caisse doit rapporter seule la preuve d’une lésion totalement étrangère au travail.

Cette exigence est bien souvent oubliée par les Caisses, qui de manière assez laconique, utilisent toujours le même paragraphe pour refuser la reconnaissance d’un accident à un ou une assurée :

« Cet accident n’entre pas dans le champ d’application de l’article L411-1 du Code de la sécurité sociale pour le motif suivant :

Il n’existe pas de preuve de l’accident invoqué se soit produit par le fait ou à l’occasion du travail, ni même de présomptions favorables précises et concordantes en cette faveur.

Or, il incombe à la victime ou à ses ayants-droits d’établir les circonstances de l’accident autrement que par leurs propres affirmations ».

Tous les salariés ayant reçu un refus de reconnaissance de l’accident du travail déclaré ont lu ces quelques lignes.

Or, en application de la présomption d’imputabilité, il n’appartient pas à l’assuré d’établir les circonstances de l’accident.

La Caisse doit nécessairement établir que la lésion serait totalement étrangère au travail, preuve qu’elle ne peut que très rarement rapporter.

2) La reconnaissance d’un AT suite à un choc émotionnel / psychologique au travail.

Pour qu’il y ait accident du travail, il n’est pas nécessaire que le choc reçu soit physique.

L’accident peut être moral, mental ou psychologique.

Les traumatismes et chocs psychologiques sont pris en charge au titre d’un accident du travail s’ils apparaissent brutalement.

Cela a été admis dans le cas d’un malaise constaté au temps et au lieu de travail [3].

De même, une altercation ou une agression sur son lieu de travail remplit les conditions pour une prise en charge au titre de la législation professionnelle.

Présenté comme cela, cela semble plutôt évident …

Dans les faits, les chocs physiques (ex : tomber d’une échelle sur son lieu de travail, chuter dans les escaliers, subir une agression …) sont admis plus facilement par les Caisses que les chocs psychologiques, pour lesquels un refus est souvent opposé.

Pour autant, le recours contentieux suite aux refus des Caisses est nécessaire.

- Par un jugement du 8 avril 2022, le Tribunal Judiciaire - Pôle Social de Grenoble retenait qu’une salariée avait été victime d’un accident du travail suite à un entretien avec sa hiérarchie.

Concrètement dans ce dossier, en fin de journée, la salariée concernée était convoquée en entretien avec deux responsables pour modifier ses fonctions et son affectation.

Cet entretien était un entretien difficile pour la salariée qui se retrouvait seule face à deux responsables et devait subir de vives critiques.

A l’issue de cet entretien, la salariée rentrait à son domicile en pleurs.

Deux jours après cet entretien, la salariée suspendait son activité professionnelle.

Son médecin diagnostiquait un stress post traumatique.

La Caisse refusait de reconnaître cet entretien comme constitutif d’un accident du travail au motif que la teneur de l’entretien n’était pas établie.

Pour le tribunal, le contenu de l’entretien ne doit pas rentrer en considération pour l’application de la présomption d’imputabilité.

Le tribunal retenait que :
- le fait accidentel (entretien avec deux responsables hiérarchiques) était établi ;
- les lésions médicalement avaient été constatées chez l’assurée dans un temps proche de l’accident (deux jours après l’entretien) ;

En pareil cas, la Caisse devait rapporter la preuve d’une cause totalement étrangère au travail pour écarter la présomption d’imputabilité.

La Caisse ne rapportant pas cette preuve l’accident du travail est reconnu.

- Par un jugement du 19 avril 2022, le Tribunal Judiciaire - Pôle Social de Chambéry retenait également qu’une salariée avait été victime d’un accident du travail suite à un entretien avec son Directeur.

Ce jugement est peut-être encore plus significatif que celui évoqué ci-dessus puisque dans ce dossier, la salariée n’avait pas été convoquée par deux responsables et aucune modification de ses fonctions n’était en cause.

Dans ce cas d’espèce, la salariée était convoquée en entretien par son directeur de magasin pour lui annoncer qu’elle allait recevoir une convocation à entretien préalable.

A l’issue de l’entretien, la salariée était bouleversée et devait suspendre son activité le jour même en raison d’un « choc émotionnel sur son lieu de travail ».

Le tribunal rappelle alors qu’un choc émotionnel constitue à lui seul un fait accidentel.

De même, une lésion constatée dans un temps proche de l’accident permet également selon le tribunal de confirmer son caractère professionnel.
Dans ces conditions, l’accident du travail est là encore reconnu par le tribunal.

- Ces décisions permettent de rappeler que la pratique de certains employeurs, qui vise à convoquer sans précaution des salariés en entretien, peut être requalifiée en accident du travail lorsque le salarié ressort affecté par cet entretien.

3) La reconnaissance d’un accident du travail : quelles conséquences ?

- Lorsque le salarié est en arrêt de travail, la reconnaissance d’un accident du travail se révèle importante voir indispensable à plus d’un titre :
- Elle permet déjà de faire reconnaître une situation de souffrance d’un salarié sur son lieu de travail ;
- Le salarié bénéficiera d’indemnités journalières de sécurité sociale majorées ;
- A l’issue de son arrêt de travail pour accident du travail, le salarié pourra voir ses séquelles évaluées et indemnisées par un capital ou une rente versée par la Caisse

L’enjeu et l’impact de la reconnaissance d’un AT dépassent très largement les rapports entre l’assuré et la Caisse Primaire d’Assurance Maladie.

- Cette reconnaissance sera également opposable à l’employeur et permettra au salarié de bénéficier d’un régime protecteur.

Ainsi, le salarié sera protégé pendant toute la durée de son arrêt de travail pour accident, c’est-à-dire que l’employeur ne pourra pas rompre le contrat de travail du salarié victime (sauf deux exceptions : faute grave ou impossibilité de maintenir le contra de travail du salarié).

Aussi, si le salarié ne peut reprendre son poste il pourra bénéficier des indemnités majorées pour les salariés déclarées inapte suite à un accident du travail.

Enfin, le salarié pourra aussi tenter de rechercher la responsabilité de son employeur si celui-ci a commis un manquement ayant participé à la survenance de l’accident du travail. (procédure en faute inexcusable de l’employeur et / ou contestation du licenciement pour inaptitude).

La reconnaissance d’un accident du travail est primordiale pour que l’ensemble des préjudices du salarié victime puisse être reconnu.

Sylvain Latargez, Avocat Barreau de Grenoble

[1Cass. 2e civ., 7 mai 2015, n° 13-16.463.

[2Cass. Soc., 6 juin 1996, n°94-18602.

[3Cass. civ. 2ème, 9/09/2021 n°17-11.527.

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