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Services sur cryptoactifs par un CIF : est-ce possible sans être PSAN ? Par Anne Raoul-Tardieu, Avocat.
Parution : mardi 18 octobre 2022
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L’objet de cet article est de présenter dans quelle mesure un conseiller en investissements financiers (CIF) ne disposant pas du statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) peut fournir des services financiers sur des cryptoactifs en l’état actuel de la réglementation et demain sous MICA (markets in crypto assets).

Pour investir dans des instruments financiers, un particulier ou une entreprise peut se faire conseiller par un conseiller en investissements financiers (CIF). Mais qu’en est-il lorsque les produits financiers en question sont des actifs numériques ?

Un CIF est autorisé à exercer d’autres activités que celle de conseiller en investissement, sous réserve de respecter la législation applicable à chacune d’entre elles [1]. En conséquence, il est autorisé à obtenir le statut de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) [2]. Mais à défaut d’avoir le double statut de CIF et de PSAN, un CIF est-il autorisé à exercer des services sur actifs numériques, et si oui, lesquels ?

La loi précise la nature des conseils que peuvent exercer les CIF dans le cadre de leur profession (partie 1). Elle précise également les services qu’ils sont autorisés à exercer à titre accessoire (parties 2 et 3).

1. Nature des conseils que peuvent exercer les CIF à titre principal.

Un CIF est un professionnel autorisé par la loi à donner à ses clients des conseils sur la façon de placer leur argent. Les conseils que les CIF sont autorisés à exercer à titre de profession habituelle [3] incluent le conseil en investissement sur instruments financiers, le conseil portant sur la fourniture de services d’investissement et le conseil portant sur la réalisation d’opérations sur biens divers [4].

a. Le conseil en investissement sur instruments financiers.

Autorisés à fournir des conseils sur instruments financiers, les CIF peuvent proposer à leurs clients des securities tokens [5]. En outre, les CIF peuvent proposer des produits d’épargne collective comportant comme actifs sous-jacents des cryptoactifs, tels que les fonds spécialisés professionnels (FSP) et les fonds professionnels de capital-investissement (FPCI). Toutefois, ces fonds ne pourront être proposés qu’à des investisseurs professionnels, à l’exclusion donc des investisseurs particuliers.

Certains dérivés sur cryptoactifs peuvent également être proposés par des CIF. Si la commercialisation des CFD [6] est soumise à un certain nombre de restrictions [7], la vente d’options binaires est complètement interdite à des investisseurs non professionnels. Les CIF ne peuvent donc pas les proposer des options binaires sur cryptoactifs à des particuliers.

b. Le conseil portant sur la fourniture de services d’investissement.

Pour investir dans des security tokens [8] ou dans certains dérivés comprenant comme sous-jacents des actifs numériques, les CIF peuvent aussi conseiller à leurs clients de s’en remettre à un prestataire de services agréé pour la fourniture de services d’investissement [9]. A titre d’exemple, un CIF peut très bien orienter son client vers un autre professionnel s’il estime ce dernier plus compétent que lui pour le conseiller sur ce type de produits financiers [10]

2. La fourniture à titre accessoire de conseils portant sur des actifs numériques.

Si le I de l’article L541-1 du Code monétaire et financier (CMF) fixe le périmètre des conseils que les CIF sont autorisés à exercer dans le cadre de leur professionnelle habituelle, le II du même article ouvre le champ d’exercice des CIF à d’autres activités que ces derniers peuvent exercer à titre accessoire.

Ainsi, la gestion de patrimoine visée au II de l’article L541-1 du CMF que peuvent exercer les CIF de façon accessoire à leur activité principale n’interdit pas d’y inclure le conseil aux souscripteurs sur actifs numériques défini au 5-3 de l’article L54-10-2 du CMF [11], dans la mesure où la loi n’apporte pas de restriction particulière sur la nature des activités qui peuvent être exercées par un CIF dans le cadre de ses activités en gestion de patrimoine.

En l’état actuel de la réglementation, le service de conseil aux souscripteurs d’actifs numériques ne nécessite pas d’enregistrement obligatoire en tant que PSAN auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF) [12]. Les CIF sont donc autorisés à titre accessoire à prodiguer des conseils sur des actifs numériques (crypto-monnaies ou jetons numériques) [13], sans avoir à solliciter le statut de PSAN [14].

Mais qu’en est-il des autres services sur actifs numériques qu’un CIF pourrait également être amené à vouloir proposer à ses clients à titre accessoire ?

3. La fourniture à titre accessoire de services sur actifs numériques autre que le conseil aux souscripteurs d’actifs numériques.

Parmi les services sur actifs numériques cités à l’article L54-10-2 du CMF qu’un CIF pourrait souhaiter proposer à ses clients (hormis le conseil aux souscripteurs d’actifs numériques déjà vu au paragraphe précédent), on peut citer : la conservation pour le compte de tiers d’actifs numériques, l’achat ou la vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal, l’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques, la réception et la transmission d’ordres (RTO) sur actifs numériques pour le compte de tiers et la gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers.

Or, aux termes de l’article L541-6 du CMF, un CIF ne peut ni recevoir d’instruments financiers de ses clients, ni recevoir de leur part d’autres fonds que ceux destinés à rémunérer son activité.

En considération de cette restriction, quels services sur actifs numériques s’inscrivent dans les activités qu’un CIF est autorisé à exercer ?

a. La réception et la transmission d’ordres sur actifs numériques.

En l’état actuel du droit, la RTO sur actifs numériques [15] peut être exercée librement, sans nécessiter pour le CIF d’être enregistré au préalable auprès de l’AMF [16]. A la différence d’une RTO sur instruments financiers, une RTO sur actifs numériques peut être fournie par un CIF, sans que celui-ci ait nécessairement fourni au préalable un conseil relatif à ces actifs numériques [17].

Les ordres du client doivent toutefois être transmis pour leur exécution auprès d’un PSAN dûment autorisé à fournir en France des services d’exécution sur actifs numériques.

b. La conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers.

La conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers implique de la part du prestataire qui la fournit une manipulation des actifs numériques du client en ses lieu et place [18].

Outre le fait que ce service soit soumis à enregistrement obligatoire [19] [20], l’exercice de la conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers n’apparaît pas compatible avec l’interdiction faite aux CIF par l’article L541-6 du CMF de recevoir des instruments financiers ou des fonds de leurs clients [21].

Cette lecture qui va au-delà de la lettre du texte [22] s’inscrit, il nous semble, dans l’esprit de l’interdiction légale qui n’autorise pas un CIF à entrer en possession des avoirs de ses clients, aux fins de protection de ces derniers.

c. La gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers.

A la différence du conseil aux souscripteurs d’actifs numériques qui laisse le client seul responsable de la constitution de son patrimoine financier composé de cryptoactifs, la gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers [23] a pour objet de permettre à un client de confier à un professionnel le soin de décider des choix d’investissements et de désinvestissements de son portefeuille individuel dans le cadre d’un mandat discrétionnaire [24].

Or, la gestion de portefeuille implique pour le gérant de mouvementer des actifs numériques en lieu et place du client qui seront en pratique conservés via un wallet tenu par le professionnel en charge de la gestion.

L’exercice de la gestion de portefeuille sur actifs numériques apparaît ainsi peu compatible avec l’interdiction légale applicable aux CIF qui induit dans l’hypothèse la plus vraisemblable l’exercice d’un service de conservation d’actifs numériques, également incompatible avec l’activité d’un CIF.

d. L’achat ou la vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal ou l’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques.

L’interdiction de recevoir de la part de ses clients CIF d’autres fonds que ceux destinés à rémunérer son activité [25] implique-t-elle pour le CIF l’interdiction d’exercer les services d’achat ou de vente d’actifs numériques contre de la monnaie légale [26] ou d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques [27] ?

Nous ne pensons pas dans la mesure où, bien que :
- le service d’achat et de vente induise la réception de fonds du client (dans le cas d’un achat d’actifs numériques) ; et
- le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques et le service d’achat et de vente (dans le cas d’une vente d’actifs numériques) induisent la réception d’actifs numériques du client,

ces opérations emportent un transfert immédiat de propriété (fonds et actifs numériques) dès l’accord sur le prix et sur la chose [28]. Il n’y a donc pas lieu de considérer que le CIF entre en possession des avoirs de son client [29].

Toutefois, si les modalités de fourniture du service d’achat ou de vente d’actifs numériques ont pour effet de matérialiser un encaissement de fonds pour le compte de tiers [30], l’exercice de ce service par le CIF ne sera pas compatible avec l’interdiction légale faite aux CIF de détenir des fonds de leurs clients. Dans cette hypothèse, le CIF recevra de la part de son client des fonds de son client en violation de l’interdiction légale opposable au CIF.

Le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques qui n’induit jamais un encaissement de fonds pour le compte de tiers puisqu’il n’implique jamais, quant à lui, un flux de monnaie fiat n’apparaît pas quant à lui incompatible avec l’interdiction faite aux CIF de ne pas détenir les avoirs de leurs clients.

Et demain sous MICA ?

Le vote du règlement MiCA le 5 octobre dernier par le Conseil de l’Union européenne va appeler des changements dans le mode de fonctionnement des CIF qui réalisent une activité de PSAN. En effet, les services de RTO et de conseils aux souscripteurs d’actifs numériques, par exemple, vont être soumis à agrément obligatoire auprès de l’AMF.

Le régime de transition prévu par MiCA sera l’occasion pour les PSAN de repenser leur mode de fonctionnement et pour les CIF leurs liens avec les PSAN. Nous sommes confiants qu’il existe des solutions afin que les CIF continuent de pouvoir accompagner leurs clients sur les actifs numériques à la condition d’une anticipation raisonnable avec leurs conseils.

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Anne Raoul-Tardieu Avocat à la cour (Paris) Arao Avocats https://www.arao-avocats.com [->a.raoul@arao-avocats.com]

[1Cf. point 1.5 de la Position AMF n° 2006-23 - Questions-réponses relatives au régime applicable aux conseillers en investissements financiers.

[2Cf. point 2.2 de la Position AMF - DOC-2020-07 - Questions-réponses relatives au régime des prestataires de services sur actifs numériques.

[3Respectivement aux points 1°, 3° et 4° du I de l’article L541-1 du CMF.

[4Bien que les biens divers puissent en théorie inclure des actifs numériques selon les caractéristiques qui les composent, les conseils sur des opérations en biens divers n’ont pas vocation à permettre aux CIF de recommander des actifs numériques sur ce fondement juridique.

[5Les security tokens sont des actifs numériques qui ont pour caractéristique de répondre également à la qualification d’instruments financiers. Ils ont la particularité à la différence des instruments financiers « traditionnels » d’être inscrits sur la blockchain (article L211-7 du CMF). Pour les recommander, les CIF doivent respecter les règles applicables à la commercialisation d’instruments financiers.

[6Pour « Contracts for difference ».

[7Voir site internet de l’AMF « Options binaires et CFD : l’AMF adopte des mesures d’intervention à l’échelle nationale. »

[8Dans le cadre par exemple d’une STO. L’abréviation « STO » désigne l’offre de security tokens lors de leur émission (pour « security token offering »).

[9Les services de réception et la transmission d’ordres pour le compte de tiers, l’exécution d’ordres pour le compte de tiers, la gestion de portefeuille pour le compte de tiers et le conseil en investissement sont parmi les services d’investissement ceux qui apparaissent les plus pertinents qu’un CIF puisse recommander. Ces services sont définis à l’article D321-1 du CMF.

[10Sous réserve que ce professionnel soit autorisé à exercer ces services.

[11« 5-3. Constitue le service de conseil aux souscripteurs d’actifs numériques le fait de fournir des recommandations personnalisées à un tiers, soit à sa demande, soit à l’initiative du prestataire qui fournit le conseil, concernant un ou plusieurs actifs numériques » (article D54-10-1 du CMF).

[12Cf. article L54-10-3 CMF (périmètre des services sur actifs numériques soumis à enregistrement) et article L54-10-5 du CMF (périmètre de l’agrément PSAN).

[13Dans le cadre par exemple d’une ICO. ICO pour « initial coin offer ».

[14Le CIF se doit de respecter toutes les obligations qui lui incombent en tant que conseiller et notamment de s’assurer de l’adéquation au profil du client des actifs numériques qu’il conseille à ce dernier, en application de l’article L541-8-1 du CMF.

[15Aux termes du 5-1 de l’article D54-10-1 du CMF constitue le service de réception et transmission d’ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers le fait de recevoir et de transmettre des ordres portant sur des actifs numériques pour le compte d’un tiers.

[16Cf. article L54-10-3 du CMF.

[17La fourniture d’un service de RTO sur actifs numériques sans fourniture au client d’un conseil préalable à un investissement en actifs numériques semble toutefois peu recommandée pour cette classe d’actifs risquée et souvent très volatile, tant au regard de la sauvegarde des intérêts du client que de la potentielle mise en cause de la responsabilité civile professionnelle du CIF. Bien que ces deux services sur actifs numériques ne soient pas soumis à enregistrement, il est recommandé au CIF qui souhaite la fournir d’adapter son dispositif de connaissance client tant au regard des profils d’investissement de ses clients qu’au regard de la réglementation en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Il doit également adapter les informations destinées à sa clientèle portant sur les actifs numériques objets de la RTO.

[18« 1° Constitue le service de conservation d’actifs numériques pour le compte de tiers le fait de maîtriser, pour le compte d’un tiers, les moyens d’accès aux actifs numériques inscrits dans le dispositif d’enregistrement électronique partagé et de tenir un registre de positions, ouvert au nom du tiers, correspondants à ses droits sur lesdits actifs numériques. […] » (article D54-10-1 du CMF). Cette notion est précisée au point 9.1 de la position-recommandation de l’AMF 2020-07.

[19Cf. article L54-10-3 du CMF.

[20Ce qui obligerait le CIF à solliciter un enregistrement en tant que PSAN auprès de l’AMF pour pouvoir l’exercer.

[21Cette interdiction apparaît liée au statut des CIF dont l’immatriculation reste une formalité moins contraignante que les obligations qui s’imposent aux acteurs autorisés à manipuler les avoirs de leurs clients et qui nécessitent l’octroi d’un agrément et le respect de règles exigeantes destinées à protéger les avoirs de la clientèle.

[22Dont l’interdiction vise littéralement les instruments financiers et les fonds des clients et pas les actifs numériques.

[23Aux termes du 5-2 de l’article D54-10-1 du CMF constitue le service de gestion de portefeuille d’actifs numériques pour le compte de tiers le fait de gérer, de façon discrétionnaire et individualisée, des portefeuilles incluant un ou plusieurs actifs numériques dans le cadre d’un mandat donné par un tiers.

[24En respectant notamment et bien évidemment le profil du client et ses objectifs d’investissement.

[25C’est-à-dire en pratique ses honoraires de conseil voire de RTO.

[26« 2° Constitue le service d’achat ou de vente d’actifs numériques en monnaie ayant cours légal le fait de conclure des contrats d’achat ou de vente pour le compte d’un tiers portant sur des actifs numériques en monnaie ayant cours légal, avec, le cas échéant, interposition du compte propre du prestataire de service ; » (article D54-10-1 du CMF).

[27« 3° Constitue le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques le fait de conclure des contrats prévoyant l’échange pour le compte d’un tiers d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques, avec, le cas échéant, interposition du compte propre du prestataire de service ; » (article D54-10-1 du CMF).

[28Comme tout contrat de vente classique. En effet, aux termes de l’article 1583 du Code civil, « [La vente] est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé. » Le projet de règlement européen MiCA (markets in crypto assets) utilise expressément la notion de conclusion de contrats d’achat et de vente pour qualifier le service d’échange d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques.

[29L’acheteur aura la charge à l’issue de la conclusion du contrat de payer le prix et le vendeur de livrer la chose, sans que l’absence de livraison n’ait d’incidence sur le transfert de propriété.

[30Selon les modalités de fourniture de ce service par le CIF. L’encaissement de fonds pour le compte de tiers aura pour impact de matérialiser l’exercice de services de paiement soumis à agrément. Cf. position 2014-P-01 de l’ACPR qui précise que « dans le cadre d’une opération d’achat/vente de Bitcoins contre une monnaie ayant cours légal, l’activité d’intermédiation consistant à recevoir des fonds de l’acheteur de Bitcoins pour les transférer au vendeur de Bitcoins relève de la fourniture de services de paiement ». Cette qualification aurait à la fois pour effet d’obliger le CIF à obtenir de l’ACPR un agrément de prestataire de services de paiement (PSP) (établissement de crédit, établissement de monnaie électronique ou établissement de paiement) ou de devoir être mandaté comme agent/distributeur par un PSP (cf. point 10.1 de la position AMF 2020-07).

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