Village de la Justice www.village-justice.com

Succession de contrats à durée déterminée et rupture de relation commerciale établie. Par Manon Francispillai, Avocate.
Parution : vendredi 28 octobre 2022
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/succession-contrats-duree-determinee-rupture-relation-commerciale-etablie,44038.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Retour sur la notion de rupture de relation commerciale établie, et plus particulièrement sur l’interprétation du caractère « établi » d’une relation commerciale.

Au rang des pratiques commerciales déloyales entre entreprises, le Code de commerce a consacré le fait de rompre, de manière brutale, une relation commerciale établie avec un partenaire.

L’article L442-1 II du Code de commerce prévoit en effet que :

« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

Pour faire simple, un cocontractant ne peut pas mettre un terme à une relation commerciale de longue durée sans accorder à son partenaire commercial un préavis tenant compte de la durée des relations, pour lui permettre de se retourner.

Pour autant, le texte ne précise pas ce qu’il faut entendre par « relation commerciale établie », et c’est à la jurisprudence qu’il est revenu de définir, au cas par cas, les relations commerciales pouvant entrer dans le champ d’application de ce texte.

Dans un arrêt du 28 septembre 2022 [1], la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir sur 2 notions déterminantes en matière de rupture de relations commerciales établies :
- Le caractère « établi » d’une relation,
- La « brutalité » de la rupture de la relation commerciale, et plus particulièrement la « prévisibilité de la rupture » en raison d’une succession de contrats précaires.

En l’espèce, la relation commerciale dont il était question reposait sur une succession de contrats de collaboration artistique à durée déterminée, lesquels avaient été conclus pour des durées aléatoires en fonction des années, entre 1996 et 2015. Ces contrats « précaires » n’étaient chapeautés par aucun contrat-cadre.

Il s’agissait donc simplement d’une succession de contrats de courte durée sans possibilité de reconduction.

L’une des parties a souhaité mettre un terme à la relation commerciale et a adressé à son cocontractant un courrier par lequel elle l’a « formellement averti du caractère précaire de la relation commerciale », avant de mettre un terme aux relations qui avaient durée près de 20 ans…

Évidemment, la partie lésée n’a pas manqué de saisir le tribunal pour obtenir une indemnisation sur le fondement d’une rupture de relation commerciale établie en raison de l’absence du moindre préavis.

La Cour d’appel a considéré qu’en raison du caractère précaire des contrats à durée déterminée, et surtout de l’envoi d’un courrier rappelant ce caractère précaire de la relation commerciale, aucune rupture de relation commerciale établie ne pouvait être caractérisée et ouvrir droit à indemnisation.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 28 septembre 2022, a cassé l’arrêt d’appel en procédant à une application rigoureuse de la notion de relation commerciale établie et en établissant que la rupture avait été brutale.

La Haute Cour a en effet estimé qu’une succession de contrats ne suffisait pas à exclure le caractère établi de la relation commerciale, ceci même en l’absence de contrat cadre.

Par ailleurs, elle a rappelé de manière didactique que le caractère prévisible de la rupture d’une relation commerciale en raison de la durée déterminée des contrats conclus ne prive pas celle-ci de son caractère brutal. En tout état de cause, la rupture doit être actée et faire courir un préavis raisonnable.

Pour rappel, le préavis raisonnable s’entend en fonction de la durée de la relation, l’importance du courant d’affaires, la spécificité des investissements réalisés par la victime au profit de l’auteur de la rupture, l’état de dépendance économique, l’existence d’un accord d’exclusivité…

Ce qu’il faut retenir de cette décision :
- Une succession de contrats précaires n’exclut pas qu’une relation commerciale soit considérée comme établie ;
- Seul un acte positif de la part du partenaire commercial manifestant une volonté de rompre la relation commerciale, avec un préavis suffisant tenant compte de la durée des relations, permet de s’assurer du respect du texte.

Manon Francispillai Avocate associée | Cabinet Primo Avocats Barreau de Paris [->mf@primo-avocats.fr] https://www.primo-avocats.fr

[1Cass. Com. 28 sept. 2022, n°21-16.209.