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Droit à réparation des « faux vacataires » et contractuels non renouvelés de la fonction publique. Par Simon Williamson, Avocat.
Parution : lundi 31 octobre 2022
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Au fil de ses décisions, le juge administratif dessine les contours d’un droit à réparation des « faux vacataires » de l’administration employés par voie d’arrêtés ou de contrats successifs.

Cette jurisprudence a pour objet de limiter le recours à l’emploi précaire dans la fonction publique et concoure à la réalisation des objectifs de la directive 1999/70 du Conseil du 28 juin 1999 concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, qui imposent aux Etats membres de fixer une durée maximale totale aux contrats de travail à durée déterminée successifs et au nombre de leurs renouvellements, afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de tels contrats.

Sous l’effet de cette jurisprudence ainsi contrainte par le droit communautaire, une instruction ministérielle du 28 septembre 2021 est venue inviter les « préfets à sensibiliser les collectivités territoriales et leurs établissement publics quant aux risques contentieux encourus en cas de recours abusif à la qualité de vacataire, notamment les conséquences financières ».

L’analyse jurisprudentielle de ce droit à réparation ainsi reconnu aux agents victimes de ces conditions d’emploi s’articulera autour de quatre questions :
- qu’est-ce qu’un « faux vacataire » de la fonction publique ? (I.)
- quels sont ceux identifiés par le juge ? (II.)
- quel droit à réparation s’offre à eux ? (III.)
- ont-ils droit à la « CDisation" de leur contrat » ? (IV.).

I. Qu’est-ce qu’un « faux vacataire » de la fonction publique ?

Désignés ainsi parce qu’ils sont payés à la vacation, c’est-à-dire à la tâche, les vacataires sont définis en creux par l’article 1er du décret n° 88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents non titulaires de la fonction publique territoriale (FPT) qui exclut de son champ les « agents engagés pour une tâche précise, ponctuelle et limitée à l’exécution d’actes déterminés ».

La définition est identique dans les décrets relatifs aux agents non titulaires des autres fonctions publiques Fonction publique de l’Etat (FPE) : décret n° 86-33 du 17 janv. 1986 ; Fonction publique hospitalière (FPH) : décret n° 91-155 du 6 fév. 1991. et recouvre indistinctement les agents recrutés par voie d’arrêté ou de contrat à durée déterminée (CDD) renouvelé abusivement.

La conséquence de la qualification de vacataire est donc simple : l’exclusion des garanties offertes aux agents contractuels par ces décrets : les compléments obligatoires de rémunération Les agents non titulaire des collectivités territoriales occupant un emploi permanent ont droit à un traitement fixe en fonction de cet emploi, ce qui exclut leur rémunération sur la base d’un taux horaire appliqué au nombre d’heures de travail effectuées et à l’exclusion du versement de tout complément de rémunération [1].

Le juge administratif identifie les « vrais » emplois de vacataire des « faux » s’ils satisfont à trois conditions cumulatives : « spécificité de l’acte (le vacataire est recruté pour exécuter un acte déterminé), discontinuité dans le temps (l’emploi ne correspond pas à un besoin permanent) et rémunération attachée à l’acte » [2].

A défaut de l’une de ces conditions, l’agent est considéré comme agent non titulaire relevant des dispositions protectrices de l’un des trois décrets statutaires.

II. Quels sont les « faux vacataires » reconnus par le juge ?

Il en va ainsi des conditions d’emploi suivantes qui prennent la forme d’arrêtés ou de contrats courts successifs :
- un professeur de solfège d’un conservatoire municipal pourvu d’une service de 4 heures par semaine sur une période de 14 ans [3] ;
- un professeur de formation musicale d’une école municipale de musique et de danse sur une période de 2 ans [4] ;
- un professeur de musique d’un conservatoire municipal sur une période de 28 ans [5] ;
- un professeur de de chant d’un conservatoire municipal sur une période de 9 ans [6] ;
- un professeur de piano d’un conservatoire municipal au service de 4 heures hebdomadaires sur une période de 8 ans [7] ;
- un animateur d’ateliers d’arts plastiques d’un musée municipal sur une période de 22 ans [8] ;
- un agent employé au sein d’une bibliothèque municipal sur une période de 6 ans [9] ;
- un animateur périscolaire sur une période de 12 ans d’un 1 an [10] ;
- un animateur sportif d’une commune sur une période de 14 ans [11] ;
- un orthophoniste d’un centre de santé municipal sur une période de 24 ans [12] ;
- un médecin-radiologue d’un dispensaire municipal au service de trois demi-journées hebdomadaire sur une période de 13 ans, « alors même (…) qu’il exerçait parallèlement, une activité médicale à titre libéral » [13] ;
- deux ouvreuse de théâtre et/ou d’un opéra sur des période de 10 [14] ou 2 ans [15] ;
- un gardien d’installations sportives municipales sur une période de 17 ans [16] ;
- un gardien de résidences destinées à l’accueil de personnes d’un centre communal d’action sociale sur une période de 10 ans [17] ;
- un gardien d’immeubles municipal sur une période de 3 ans [18] ;
- une aide cuisinière devenue agent d’entretien de lycée sur une période de 4 ans [19] ;
- un agent d’entretien municipal sur une période de 11 ans [20] ;
- un agent d’entretien devenu adjoint des services techniques au sein du service d’un restauration scolaire municipal sur une période de 12 ans [21] ;
- un agent d’entretien d’un rectorat pour une période de 3 ans [22] ;
- un agent d’entretien sur un emploi saisonnier sur une période de 7 ans [23] ;
- un agent d’entretien d’un institut médico-éducatif municipal sur une période de 8 ans [24] ;
- un agent d’un centre hospitalier municipal sur une période de 5 ans [25] ;
- une préparatrice en pharmacie d’un centre hospitalier intercommunal sur une période de 7 ans [26] ;
- un ingénieur de l’Inserm sur une période de 5 ans [27] ;
- un surveillant d’interclasse et d’adjoint technique de 2e classe d’une école communale sur une période de 8 ans [28] ;
- un adjoint territorial de 2ème classe d’une commune devenu rédacteur territorial sur une période de 7 ans [29] ;
- un agent technique territorial d’une commune sur une période de 6 ans [30] ;
- un rédacteur au sein d’un service technique communal sur une période de 12 ans [31] ;
- un guide-conférencier d’une commune sur une période de 7 ans ou 11 ans [32].

III. Quel droit à réparation pour les « faux vacataires » ?

La reconnaissance par le juge administratif d’une succession abusive de contrats courts ouvre droit, lorsque l’agent voit son dernier contrat non renouvelé, à une réparation équivalente aux « avantages financiers auxquels l’agent aurait pu prétendre en cas de licenciement s’il avait été employé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée », c’est-à-dire à une indemnité de licenciement [33], déterminée par chacun des décrets applicables aux agents contractuels des trois fonctions publiques à raison de la moitié de la rémunération mensuelle nette pour chacune des douze premières années de service et à raison du tiers pour les années suivantes [34].

La jurisprudence ouvre également à l’agent victime de contrats courts abusifs de réparer son préjudice moral né de la situation de précarité professionnelle que ces conditions d’emploi génèrent.

L’indemnisation de ce préjudice varie entre 1 000 et 10 000 euros en fonction notamment de la durée de la période d’emploi [35]. La réparation de ce préjudice moral a atteint 50 000 euros s’agissant d’une chargée de cours à l’Ecole nationale des travaux publics de l’Etat (ENTPE) sur une période de 30 ans [36].

Il n’est pas hasardeux de considérer que le montant moyen des sommes ainsi accordées pour ces deux chefs de préjudice, ne remettent pas en cause l’intérêt économique résultant pour les employeurs du recours à long terme à un « faux vacataire ».

Or, la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) faisant application de l’accord-cadre précité, estime que les ordres juridiques nationaux doivent adopter des sanctions effectives et dissuasives à l’encontre de cette pratique [37].

C’est pourquoi, le juge administratif ouvre la possibilité à l’agent victime de cette situation de solliciter également de son employeur le versement des sommes qu’il aurait perçu si la qualité d’agent contractuel lui avait été reconnue depuis sa prise de fonction [38].

Une animatrice d’un atelier d’arts plastiques au sein d’un musée municipal employée chaque année scolaire à raison de 15 à 16 heures hebdomadaire sur une période de 6 ans a ainsi été indemnisée à hauteur de 15 000 euros du préjudice que représente l’absence de congés annuels payés durant cette période [39].

Un « faux vacataire » qui avait pour fonction le remplacement de gardiens titulaires sur une période de trois ans a obtenu de son employeur condamné à régulariser rétroactivement cette situation, la somme de 29 142,89 euros au titre d’un rappel de salaires [40].

Il a également été jugé que l’agent victime de tels contrats a le droit de percevoir, pour toute la période de recrutement irrégulière, l’indemnité de résidence, la prime « métier », la prime de fin d’année… [41].

On notera par ailleurs que l’agent pourra également demander le remboursement de ses frais de transport (une prise en charge partielle du prix des titres d’abonnement de transport en commun au sens des dispositions du décret n°2010-676 du 21 juin 2010) si depuis sa prise de fonction son employeur n’y a pas procédé ; ce droit est ouvert aux vacataires en cette simple qualité [42].

Enfin, il convient de préciser que le délai de prescription de cette action indemnitaire court à compter de la date où l’agent « a été placé dans une situation régulière » - ce qui permet aux agents concernés de réclamer le remboursement des primes et indemnités qui ne leurs ont pas été versées depuis leur prise de fonction [43].

IV. Existe-t-il un droit à la Cdisation des « faux vacataires » ?

Au droit à réparation des préjudices patrimoniaux et moral subis par un « faux vacataire » relevant de la fonction publique territoriale, s’ajoute la possibilité d’obtenir la transformation de ses engagements en CDI sur le fondement de l’article 21 de la loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 dite « Sauvadet ».

Cette requalification est toutefois subordonnée à ce que l’agent ait été au service du même employeur public, sur le fondement de l’article 3 de la loi n°84-53 du 26 janvier 1984 dans sa version antérieure à celle résultant de la loi Sauvadet, pendant au moins 6 ans, entre le 13 mars 2004 et le 12 mars 2012 [44].

En revanche, parce que l’agent dans cette situation n’a pas été recruté postérieurement à cette date sur des emplois permanents, il a été jugé qu’il ne pouvait pas se prévaloir de l’article 3-4 de la loi du 26 janvier 1984 (cf. CGFP, art. L332-10) qui permet aussi la « CDIsation » au-delà de cette durée maximale de six ans [45].

Cette restriction à la « CDIsation » ne s’applique pas aux praticiens adjoints contractuels de la fonction publique hospitalière au statut dérogatoire [46].

En conclusion, le droit à réparation des agents employés dans le cadre de contrats courts successifs, qu’ils soient ou non encore en activité, est donc aujourd’hui largement reconnu par le juge administratif même si l’on peut regretter que les conditions posées à leurs « CDIsation » soient trop restrictives.

Simon Williamson Avocat au Barreau de Paris Docteur en droit [->sw@williamson-avocat.com]

[1Cette règle ne s’applique pas aux agents contractuels de la fonction publique de l’Etat et, par extension, à ses établissements publics. (supplément familial de traitement, indemnité de résidence et primes et indemnités prévues par les textes législatifs ou réglementaires), le droit au travail à temps partiel, le droit aux congés - annuels, de maladie, de maternité et d’adoption, non rémunérés pour raisons familiales ou personnelles -, le droit à la formation, ainsi que le droit à des indemnités de licenciement.

[2Cf. notamment, s’agissant des agents non titulaires des collectivités, CE, 2 décembre 2019, n° 412941, Rec. T. ; s’agissant des agents non titulaires de l’Etat, CE, 11 février 2013, n° 347145, Rec. T. p. 668.

[3CE, 4 janvier 1995, M. Daniel X., n°135589, Rec. T.

[4CAA Paris, 28 juin 1996, Commune de Roissy-en-France, n°95PA03856.

[5CAA 09 décembre 2021, n°19PA01509. Voir aussi, CAA Paris, 24 avril 2019, n°18PA02868.

[6CAA Douai, 24 oct. 2019, n°18DA00876.

[7CE, 15 janvier 1997, Commune d’Harfleur, n°141737.

[8CAA Paris, 16 juin 2020, n° 18PA02990.

[9CAA Marseille, 30 mars 2018, n°16MA03170.

[10Respectivement, CAA Paris, 19 nov. 2013, n° 12PA04439 et TA Châlons-en-Champagne, 19 août 2014, n°1300290. Cf. aussi, CAA Paris 28/05/2015, n°15PA00361.

[11CAA Paris, 28 mai 2015, n°15PA00361.

[12CAA Versailles, 1er juin 2017, n°15VE00510.

[13CAA Paris, 5 décembre 1989, n°89PA00948, Rec. T.

[14CAA Nancy, 6 juillet 2021, n° 20NC00377.

[15CAA Marseille, 14 novembre 2006, n°03MA02422.

[16CAA Bordeaux, 4 mai 2018, n° 16BX01184.

[17CE, 2 décembre 2019, n° 412941, Rec. T.

[18CE, 7 février 2020, n°420567.

[19TA Nancy, 9 février 2021, n°1902122.

[20CAA Paris, 26 juin 2019, n° 18PA01755. Cf. aussi, CAA Versailles, 28 mars 2019, n° 16VE03427.

[21CAA Marseille, 13 juill. 2016, n° 14MA01848.

[22TA Toulouse, 21 décembre 2018, n°1605881.

[23CAA Paris, 5 juillet 2022, n°21PA02659.

[24CE, 20 mars 2015, n° 371664.

[25CAA Nancy, 2 juillet 2015, n° 14NC00325.

[26CAA Lyon, 6 mai 2021, n° 19LY00687.

[27CAA Paris, 14 octobre 2014, n°13PA01164.

[28CE, 13 novembre 2020, n°428737.

[29CAA Marseille, 25 janv. 2019, n° 17MA03002.

[30TA Marseille, 4 octobre 2022, n°2004277.

[31CE, 20 mars 2017, n°392792, Rec. T.

[32Respectivement, CAA Douai, 5 juillet 2018, n° 17DA00514-18DA00186 et CE, 3 juillet 2020, n°423940.

[33CE, 20 mars 2015, n° 371664, Rec. T. p. 583, 722, 732 ; CE, 20 mars 2017, n° 392792, Rec. T. p. 506, 642.

[34FPE : décret n° 86-33 du 17 janv. 1986, art. 51 à 56 ; FPT : décret n° 88-145 du 15 fév. 1988, art. 43 à 49 ; FPH : décret n° 91-155 du 6 fév. 1991, art. 47 à 52.

[35Cf. notamment, CAA Marseille, 11 juin 2013, n° 10MA02802 ; TA Bordeaux, 31 janvier 2018, n° 1601080 ; CAA Bordeaux, 24 mai 2018, n° 16BX01184 ; CAA Paris, 24 avril 2019, n°18PA02868 ; CAA Paris, 26 juin 2019, n° 18PA01755 ; CAA Versailles, 17 oct. 2019, n° 18VE01948 ; CAA Douai, 16 févr. 2021, n° 19DA01642 ; CAA Paris, 9 décembre 2021, n°19PA01509 ; CAA Lyon, 15 avr. 2021, n° 20LY01766 ; CAA Lyon, 6 mai 2021, n° 19LY00687 ; CAA Paris, 5 juillet 2022, n°21PA02659.

[36CAA Lyon, 22 oct. 2018, n°17LY00182. L’affaire doit toutefois être rejugée en appel, CE, 1er juin 2021, n°427730.

[37Cf. notamment, CJUE, 26 nov. 2014, Raffaella Mascolo, aff. C - 22/ 13, § 79.

[38Cf. notamment, CE, 7 février 2020, n°420567, Rec. T. ; CAA Nancy, 6 juillet 2021, n°20NC00377 ; TA Marseille, 4 octobre 2022, n°2004277.

[39CAA Paris 16 juin 2020, n°18PA02990.

[40CAA Versailles, 28 décembre 2017, n°16VE01367.

[41CAA Nancy, 6 juillet 2021, n°20NC00377.

[42CE, 7 février 2020, n°420564, Rec. T.

[43CAA Douai, 25 mars 2021, n° 19DA02345.

[44Pour un exemple de requalification en CDI de contrats courts, CAA Douai, 24 oct. 2019, n°18DA00876.

[45Cf. CE, 20 mars 2015, n° 371664, Rec. T. p. 583, 722, 732 ; CE, 20 mars 2017, n°392792, Rec. T. ; CAA Nancy, 5 mars 2019, n° 17NC00932.

[46CAA Paris, 26 juin 2019, n° 17PA01226.