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Premier éclairage de la réforme des contrats spéciaux.
Parution : mardi 25 octobre 2022
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Le droit commun des contrats a été modernisé en profondeur par l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations et par la loi de ratification du 20 avril 2018.
En revanche, les dispositions relatives à certains contrats, dits spéciaux, régis par le code civil, datent pour beaucoup de 1804 et ne correspondent plus aux besoins de la vie économique et sociale du XXIe siècle. Pourtant, ces contrats sont utilisés quotidiennement, pour la pratique des affaires ou pour des besoins d’ordre privé.

Ces dispositions doivent être rénovées pour les mettre en conformité avec les évolutions jurisprudentielles et modernisées afin qu’elles reflètent davantage l’importance acquise par certains contrats considérés comme mineurs en 1804.

Pour réfléchir à une telle réforme, la direction des affaires civiles et du sceau a mis en place un groupe de travail en avril 2020, dont la présidence a été confiée au professeur Philippe Stoffel-Munck, et composé d’universitaires et de praticiens, pour proposer une réforme des dispositions relatives à la vente, à l’échange, au bail, au louage d’ouvrage ou contrat d’entreprise, au prêt, au dépôt et au séquestre, aux contrats aléatoires et au mandat.

C’est ainsi que la commission a élaboré un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux dont la diffusion s’est déroulée en trois temps :
• en avril 2022, ont été communiqués les avant-projets de réforme touchant aux contrats portant sur une chose, accompagnés d’une présentation des textes ;
• en mai 2022 ont été communiqués, selon les mêmes modalités, les avant-projets relatifs aux contrats de service (dépôt et contrat d’entreprise)
• en juillet 2022, l’ensemble de l’avant-projet de réforme a été officiellement soumis à consultation publique, enrichi des explications ayant présidé, article par article, au choix des règles et formules retenues.

La commission vient de rendre public l’avant-projet de réforme, actuellement soumis à consultation jusqu’au 18 novembre 2022.

Une fois la période de consultation terminée, la chancellerie sera à même d’élaborer un avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux.
Un premier éclairage de la teneur de la réforme s’impose, au travers de contrats spéciaux emblématiques …

La vente

Actuellement, l’article 1582 du Code civil définit le contrat de vente comme la convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer.
Avec la définition proposée, la Commission a souhaité mettre l’accent sur les éléments caractéristiques de la vente : un transfert de propriété en contrepartie d’un prix.

Le deuxième alinéa définit le prix comme une somme d’argent, ce qui permet de distinguer la vente de l’échange : la contrepartie du contrat de vente est principalement monétaire, alors que l’élément monétaire n’est pas dominant dans l’échange (cf. Article 1702).

De même, si le prix dans le contrat de vente peut être complété également par un service, ce n’est qu’à la condition que le prix reste majoritaire, et que le service ne soit que complémentaire.

La vente peut porter sur tout bien, qu’il soit corporel ou incorporel. Il peut s’agir, dans ce second cas, d’un droit ce qui explique la précision énoncée à l’alinéa 3.

On souligne que le terme de bien a été préféré à celui de chose – qui est employé pour d’autres contrats spéciaux, tel le bail, car ce qui définit un bien est notamment son appropriation, ce qui inclut la titularité du droit si on adopte une conception large de la « propriété » (dominium), ainsi qu’une partie de la doctrine la soutient et comme la Cour européenne des droits de l’homme la conçoit. L’emploi de ce terme est alors en cohérence avec l’objet du contrat de vente.

Sur la garantie d’éviction :

La Commission a souhaité rationaliser les dispositions relatives aux sanctions de la garantie d’éviction, qui se trouvent aujourd’hui aux articles 1630 et suivants du Code civil.

L’article 1630 proposé offre ainsi une option à l’acquéreur évincé de la totalité du bien.

Il peut choisir de se faire restituer la somme correspondant à la valeur du bien estimée d’après son état au jour de l’éviction. Il est alors prévu que celle-ci ne peut être inférieure au prix de vente augmenté du taux d’intérêt légal (Article 1630 al. 1er).

Celui-ci constitue logiquement le minimum dû à l’acheteur afin qu’il ne sorte pas appauvri de l’opération. Ce plancher trouve son intérêt quand le bien s’est déprécié depuis la vente. Celui-ci peut néanmoins avoir intérêt à se faire rembourser non la valeur du bien mais les dépenses nécessaires ou utiles qu’il a effectuées, c’est-à-dire celles relatives à l’entretien ou à l’amélioration du bien. Ces sommes s’ajouteront alors au prix à restituer (Article 1630 al. 2).
L’option proposée trouve son intérêt lorsque le montant des dépenses est supérieur à la plus-value apportée au bien.

En cas d’éviction partielle, les règles sont les mêmes, appliquées à la portion du bien dont l’acquéreur est évincé, sauf si ce dernier préfère demander la résiliation de la vente (article 1631 qui remplace les articles 1636 et 1637).

L’article 1632 proposé reprend, quant à lui, en substance l’actuel article 1630 du Code civil.

L’échange

Depuis 1804, le contrat d’échange est défini à l’article 1702 comme le transfert de la propriété d’un bien contre celle d’un autre bien.

La Commission a décidé de faire entrer dans le contrat d’échange le transfert de la propriété d’un bien contre un service. L’échange réciproque de deux services relèvera en revanche de la qualification de contrat d’entreprise.

En cohérence avec ce que prévoit l’article 1582 al. 2, proposé plus haut, il convient, pour que le contrat soit un échange et non une vente, que le montant de la soulte n’excède pas la moitié de la valeur du bien fourni ou du service rendu.

La location

L’article 1709, qui a conservé son numéro, définit le contrat de location.

Les choix sémantiques opérés (« location », « bail », « bailleur », « locataires ») illustrent la volonté de la Commission de montrer que ce contrat n’est pas cantonné à la matière immobilière : les termes de « preneur » et de « loueur » n’ont pas été retenus étant, pour l’un, trop connoté par la matière immobilière et faisant, pour l’autre, trop référence à la profession exercée (loueur de voitures, loueur de costumes…). Comme la Commission Capitant, les appellations de « bail » et de « location », familières aux juristes, ont été conservées.

L’article fait référence aux éléments essentiels du contrat : une chose mise à disposition, un certain temps et un certain loyer. De longs débats ont porté sur l’emploi du mot « bien » ou « chose » et la Commission a varié sur ce point, d’autant que la terminologie juridique n’est pas arrêtée nettement en la matière. La réforme du droit des biens pourrait être une heureuse occasion de fixer le sens des mots. Pour les raisons exposées dans le texte de présentation de ce titre, la Commission a finalement conservé l’emploi du mot « chose », qui est sans doute le plus général qu’on puisse trouver. Dans l’esprit de la Commission, il inclut notamment les droits.

La question s’est posée de savoir si un alinéa devait être consacré à la convention d’occupation précaire. La formulation suivante a été proposée : « Les dispositions afférentes au contrat de location s’appliquent en tant que de raison à la convention d’occupation précaire ». Il a toutefois semblé aux membres de la Commission qu’il ne leur revenait pas, en définissant le contrat de bail, de définir ou d’évoquer le régime de conventions voisines, consacrées par la loi ou la jurisprudence. La référence à un « certain » temps permettra d’exclure la qualification de bail, et de retenir celle de précaire, lorsque le locataire n’aura aucune certitude quant à la stabilité de sa jouissance.

Le contrat d’entreprise

Le particularisme du contrat d’entreprise réside dans le fait que l’utilité du contrat résulte, non pas de l’utilité d’un bien, mais de de la mobilisation de l’activité humaine, peu important que celle-ci se niche ou non dans un bien. Le centre de gravité du contrat d’entreprise se trouve ainsi dans la notion d’ouvrage, qui se conçoit à la fois comme l’activité de l’entrepreneur et son résultat. L’activité en jeu peut consister à travailler sur un bien ou être une pure création de l’esprit, sans exclure qu’elle revête un caractère hybride.

Le résultat qui en découle est un bien lorsqu’il est susceptible d’appropriation ; à défaut, il est un service.

Ces deux summa divisio sont apparues suffisamment cardinales pour permettre d’explorer l’immense variété des contrats d’entreprise.

En outre, l’indépendance de l’entrepreneur est un critère essentiel du contrat d’entreprise, que l’avant-projet se propose d’introduire dans le Code civil.
Historiquement, le contrat de travail s’est détaché du louage d’ouvrage par l’émergence du critère de la subordination ; le critère d’indépendance ne figurant dans aucun texte. Il s’impose désormais comme le reflet symétrique du lien de subordination. Dès lors, tout ce qui ne relève pas de la subordination au sens du droit du travail est indépendance, aucune catégorie interstitielle n’est envisagée.

Enfin, les termes « maître de l’ouvrage » et « client » sont tous deux retenus dans un souci de respect des habitudes de langage et, partant, d’intelligibilité de la règle de droit. Ils sont utilisés comme synonymes mais, selon que l’ouvrage est matériel ou intellectuel, consiste en un bien ou un service, porte sur un immeuble ou un meuble, une appellation prévaudra sur l’autre. En outre, si le « client » est un terme générique qui n’est pas propre au contrat d’entreprise, la plupart des cocontractants d’un prestataire de service ne sauraient se reconnaître dans le vocable de « maître de l’ouvrage ». Ainsi, par exemple, du client de l’avocat.

Les prêts

Comme il a été expliqué dès la présentation des textes sur les prêts, la distinction entre le commodat ou prêt à usage et le prêt de consommation s’infère de la nature de la chose prêtée et a donc vocation à perdurer. Dans le même sens, la Commission a choisi d’inscrire l’avant-projet de réforme dans la continuité du Code civil quant au vocable utilisé. Ainsi, le terme « commodat » est maintenu à sa place actuelle, résultant de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009.

Le critère de distinction entre les deux espèces de prêts reste la consomptibilité de la chose prêtée. Par conséquent, le commodat peut porter sur une chose fongible, pourvu qu’elle ne se détruise pas par l’usage que l’emprunteur en fait.

Le dépôt

Cette définition insiste sur la finalité économique de l’opération : garder, conserver, restituer. Dans l’esprit de la Commission, garde et conservation ne sont pas redondants. La garde consiste à protéger la chose déposée contre les interventions malfaisantes des tiers ; la conservation cherche surtout à protéger la chose déposée contre sa propre tendance à la détérioration.

À l’instar de ce qui a déjà été fait pour le bail et le prêt, l’emploi du mot « chose » supplante celui de « bien », car le dépôt peut porter sur une chose qui n’est pas appropriée. Par la même occasion, cette disposition admet implicitement que le dépôt puisse porter sur une chose appartenant à un autre que le déposant. Il n’a donc pas paru utile de reprendre l’actuel article 1938 du Code civil.

Le séquestre

Le Code civil ne règle le séquestre qu’à titre supplétif.
Il en admet deux formes : le séquestre conventionnel et le séquestre judiciaire.

Quelles seront les prochaines étapes ?

La consultation publique prend fin le 18 novembre 2022. Il n’a pas été fixé de calendrier pour la suite. C’est à la Chancellerie de le décider en fonction de l’importance des réponses à traiter et du climat politique.

Si la réforme entre en vigueur d’ici la fin du quinquennat, ce sera bien.
Les conditions intellectuelles sont réunies pour que ce projet soit bouclé dans les 18 prochains mois. Mais la volonté politique sera-t-elle là ? Y aura-t-il une fenêtre dans l’agenda législatif pour soumettre un tel projet ?

Il n’y a pas nécessairement beaucoup d’obstacles politiques mais il est difficile de savoir combien de temps la Chancellerie mettra pour faire aboutir le projet définitif.

Autre incertitude : quelle forme prendra la réforme ?
Ordonnance ou dépôt d’un projet de loi ?
Il est difficile de se prononcer et ce choix aura un effet très sensible sur le calendrier de la réforme.

Philippe Gérard Avocat fondateur du cabinet PGA Formateur Lefebvre-Dalloz

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