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Intelligence artificielle et droit d’auteur (Partie 1) : la protection des créations de l’IA. Par Tommaso Stella, Avocat.
Parution : vendredi 28 octobre 2022
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Le développement impressionnant de l’intelligence artificielle au cours des dernières années soulève de nouvelles questions dans tous les milieux. L’un des domaines les plus touchés, notamment grâce aux NFT et à la montée en puissance de l’art numérique, est le marché de l’art.

En laissant de côté pour l’instant les questions de la protection de ces œuvres sur la base du droit d’auteur et de la titularité de ces éventuels droits, il nous paraît raisonnable de convenir que l’intelligence artificielle est désormais capable de créer de véritables œuvres d’art originales, si ce n’est au sens juridique propre du terme, du moins au sens du langage courant.

Les œuvres créées par l’intelligence artificielle semblent également avoir un marché.

Il suffit de penser qu’en 2018, la maison d’enchères Christie’s a mis en vente une œuvre créée par une intelligence artificielle, qui s’est ensuite vendue pour environ 430 000 dollars [1].

Après avoir constaté l’existence de véritables créations de l’intelligence artificielle, il convient de répondre à deux questions : les créations de l’intelligence artificielle sont-elles protégeables par le droit d’auteur ? Qui est le titulaire légitime du droit d’auteur sur ces créations ?

Dans cette première partie, nous allons tenter de répondre à la première question : « Les créations de l’intelligence artificielle sont-elles protégeables par le droit d’auteur ? »

Le courant de pensée majoritaire considère que les créations d’intelligence artificielle ne sont pas dignes de protection car elles ne sont pas le résultat d’un processus créatif humain.

A cet égard, il nous semble nécessaire de faire une première distinction entre les œuvres créées à l’aide d’une intelligence artificielle (1) et les œuvres créées de manière autonome par une intelligence artificielle (2).

1- La protection des œuvres créées à l’aide de l’intelligence artificielle.

Dans la création de ces œuvres, l’intervention humaine et les choix artistiques de l’auteur jouent un rôle fondamental.

À notre avis, le cadre juridique actuel est parfaitement adapté pour accueillir et protéger ce type de créations.

En effet, malgré l’intervention de l’intelligence artificielle, ces créations sont le résultat de choix créatifs humains qui reflètent la personnalité de l’auteur et, à ce titre, sont dignes de protection.

Pour citer un exemple concret auquel a été confronté un Tribunal de Pékin, une personne avait attaché une caméra sportive à une montgolfière et, lors du lâcher du ballon, la caméra a automatiquement pris des photos des environs, puis a sélectionné de manière autonome les meilleurs clichés.

En se penchant sur la question de la protection de ces photos par le droit d’auteur, le tribunal a jugé que, bien que la caméra ait été en dehors du contrôle humain pendant le processus d’enregistrement automatique des images, il y a eu une intervention humaine décisive caractérisée par la sélection et le choix de facteurs tels que, par exemple, le type de caméra, le positionnement, l’angle de la caméra, le mode d’enregistrement vidéo, le format d’affichage vidéo et la sensibilité [2].

Tant que la technologie n’évoluera pas au point que les machines et les systèmes, y compris l’intelligence artificielle, puissent être totalement autonomes et fonctionner de manière indépendante, il ne semble pas nécessaire d’adapter le système actuel du droit d’auteur.

Toutefois, le discours changera avec la diminution progressive de l’intervention humaine, diminution qui a déjà lieu et qui conduira à des créations autonomes ou semi-autonomes par l’intelligence artificielle.

2- La protection des œuvres créées par l’intelligence artificielle de manière autonome.

Comme il a été dit précédemment, dans la plupart des pays, le cadre juridique actuel ne peut pas protéger les créations autonomes de l’intelligence artificielle du fait de l’absence d’un processus créatif humain.

Cependant, l’intelligence artificielle évolue très rapidement et nous pourrions bientôt être confrontés au problème de la protection d’un grand nombre de créations autonomes.

Pour citer un exemple, le modèle de langage appelé Generative Pre-trained Transformer (GPT), appartenant à OpenAI, une société américaine à but non lucratif cofondée en 2015 par Sam Altman et Elon Musk, une fois qu’il a reçu les énormes masses de documents sur lesquelles se baser et des entrées textuelles, est capable de générer des images (mais aussi du texte) sans avoir besoin d’autres indications [3].

Ce modèle, saisi avec l’entrée « une chaise en forme d’avocat », a généré différents modèles de chaise à forme d’avocat [4].

Nous estimons donc qu’il convient de réfléchir à la nécessité ou non de bâtir un nouveau cadre juridique pour protéger ces créations.

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec les principaux auteurs qui estiment que l’intelligence artificielle d’aujourd’hui ne peut être considérée comme équivalente aux processus de réflexion et de déduction du cerveau humain, mais plutôt comme la capacité des machines à apprendre, par des processus de modélisation, d’erreur et d’optimisation, en traitant d’énormes volumes de données.

Toutefois, à notre avis, l’exigence de « création humaine » nécessaire à la protection, d’une part, est l’héritage de la période historique de la rédaction du corpus normatif du droit d’auteur et, d’autre part, deviendra de plus en plus anachronique au fil des années, lorsque la technologie, l’intelligence artificielle et humaine se fondront de plus en plus dans le processus de création.

De plus, le simple fait que l’intelligence artificielle manque d’humanité ne justifie pas, à notre avis, que son processus créatif ne soit pas digne de protection. Déclencher un débat sur les processus créatifs ou logiques, sur les intelligences dignes d’être protégées en fonction de la définition d’humanité nous semble être une démarche stérile et dangereuse.

En effet, le droit d’auteur protège toute œuvre originale, qu’elle soit le résultat d’un processus créatif humain rationnel ou instinctif, conscient ou inconscient.

Pourquoi des œuvres incontestablement nouvelles, créées par un processus de sélection, de modélisation, d’erreur, d’optimisation ne seraient-elles pas dignes de protection pour la seule raison qu’elles ne proviennent pas d’un être humain ?

Peut-être la réponse ne se trouve-t-elle pas dans la loi mais ailleurs. D’autre part, le droit est un instrument qui permet d’atteindre une fin sociale, qui montre la voie à suivre, une fois que la fin a été déterminée.

Les créations de l’intelligence artificielle devraient mériter une protection par le biais du droit d’auteur ou d’un droit sui generis comme celui créé spécifiquement pour les bases de données si cette protection répond à des besoins et des objectifs sociaux et économiques.

D’une part, l’absence de protection pourrait fournir beaucoup de matériel pouvant être utilisé gratuitement par n’importe qui, d’autre part, elle pourrait décourager le développement de ces types d’algorithmes.

Le choix est à nous.

Tommaso Stella Avocat au Barreau de Paris Associé chez Lien Avocats https://www.lien.legal/fr/pageaccueil/

[2Beijing Intellectual Property Court (2017) Jing 73 Min Zhong No. 797 Civil Judgment. April 2, 2020.